Crise sociale en France : le New York Times s’interroge : « est-ce le début de la fin de Macron ? »

Lecourrier-du-soir.com vous propose une excellente analyse du New York Times sur la crise politico-sociale qui secoue la France. Le média nord-américain émet des doutes quant aux capacités de résistance de Macron face à la crise et pense que la gauche peut saisir une occasion en or pour reprendre le pouvoir

Très bonne lecture

« Ces dernières séries de grèves sonnent-elles le début de la fin pour Emmanuel Macron ?

La France est paralysée. Depuis le début d’une grève générale entamée ce 5 décembre, les avions ont été retenus au sol, la poste a cessé de livrer des courriers, les écoles sont fermées et les trains restent dans leurs dépôts. Même les avocats ne bougent plus de chez eux.

En effet, environ 800 000 personnes ont arpenté les rues du pays jeudi dernier et une autre grande manifestation est prévue aujourd’hui en pleine grève. Comme l’a si bien dit un blogueur du site d’information français Médiapart, les manifestations de masse sont un rejet « de Macron et de son monde ».

Le soulèvement auquel nous assistons est une réponse à la proposition de Macron de réformer drastiquement le système des retraites. Ce n’est pas la première mobilisation syndicale contre Macron depuis son arrivée à la présidence du pays. De telles mobilisations avaient eu lieu contre la réforme du code du travail fin 2017 mais aussi contre la réforme de la SNCF et le Parcoursup. Cependant, cette dernière mobilisation semble être la plus importante et nous invite à nous poser la question : changera-t-elle catégoriquement le panorama politique de la France ?

Avec un tel taux de participation, les syndicats pensent pouvoir répéter la grève générale de 1995, date à laquelle la France avait été paralysée pendant plusieurs semaines par une mobilisation qui avait fini par faire plier Jacques Chirac et son premier ministre d’alors, Alain Juppé, lesquels avaient été contraints d’abandonner le projet de réformes des retraites.

Les syndicats espèrent que la menace d’un blocage économique qui va durer jusqu’aux vacances de Noël mettra le gouvernement dos au mur et le poussera à capituler et ils pensent aussi que ces mobilisations affaibliront considérablement la crédibilité d’Emmanuel Macron pour le restant de sa présidence.

Macron (qui a longtemps pensé qu’il allait réussir là où ses prédécesseurs ont échoué) espère, une fois encore, résister à la tempête. Malgré la fréquence des grèves et des manifestations depuis son arrivée au pouvoir, les partis d’opposition ont échoué à convertir cette colère en un sérieux défi politique. Une fois que le conflit aura connu une fin, les plus grosses retombées de la prochaine élection qui se tiendra en 2022 se joueront encore une fois entre M. Macron et son agenda technocrate de centre droit et Marine Le Pen, leader de l’extrême-droite qui d’ailleurs a perdu de sa popularité.

Macron ne pourrait éviter la grande détestation à son égard de la part d’une grande partie du peuple français. Cependant, s’il arrive à survivre aux grèves, il pourrait bien demeurer l’option la plus convenable dans le terrain d’une opposition politique faible. A moins d’une victoire claire dans les rues, alors, les opposants à la politique de Macron auront à utiliser cette grève afin de créer une alternative politique au choix binaire qui s’impose entre la politique d’austérité de M. Macron et le néofascisme xénophobe de Marine Le Pen.

Cela exige désormais d’inclure dans l’équation les Gilets Jaunes qui se sont fait connaître il y a tout juste un an lors de leurs manifestations contre l’inégalité économique et le coût très cher de la vie. Ces manifestants, durant une grande partie de l’année dernière, ont refusé de rejoindre les syndicats et les partis politiques.

En effet, les Gilets Jaunes avaient refusé les tactiques habituelles des mouvements de protestations, préférant occuper les zones rurales plutôt que de marcher sur les grands boulevards parisiens. Les manifestations Gilets Jaunes qui avaient drainé des gens de la classe moyenne et du monde rural, ont apporté de nouvelles personnes dans le monde politique dont certaines se sont vite radicalisées en raison de la répression policière.

Le mouvement Gilet Jaune a réussi là où le mouvement syndical et l’opposition de gauche ont pour le moment échoué : en faisant reculer Macron et son premier ministre, Edouard Philippe qui, l’année dernière, ont accepté de geler la taxe carbone qui avait provoqué les manifestations. Macron et son premier ministre, sous la pression des Gilets Jaunes, avaient annoncé le déblocage de plusieurs milliards d’euros afin d’augmenter le pouvoir d’achat du français moyen.

Cependant, le mouvement qui s’engage profondément à faire appliquer la démocratie directe à travers le RIP (Référendum d’Initiative Populaire) a été incapable de traduire une colère de masse en une opposition politique concrète, en rejetant toute tentative de la part des politiciens, des syndicalistes ou quelconques institutions de les représenter. D’ailleurs, lorsqu’une jeune Gilet Jaune du nom d’Ingrid Levavasseur a essayé de créer un parti politique Gilet Jaune pour les Elections Européennes l’année dernière, elle a très vite renoncé à ce projet après avoir été insultée dans les rues par des manifestants Gilets Jaunes.

Jeudi dernier, à la suite des manifestations syndicales, les Gilets Jaunes ont repris du poil de la bête, faisant croire aux politiciens de gauche que les deux mouvements finiront par s’unir contre M. Macron. Les deux dernières années ont, néanmoins, démontré qu’il n’existe pas une issue facile pour les opposants au président afin de traduire ces mouvements en un défi électoral.

Jusqu’ici, de nouvelles coalitions dans le champ politique français pourraient faire valoir leurs arguments. Ainsi, François Ruffin espère bâtir une « alliance éco-populiste » qui unira les électeurs écologistes et les électeurs vivant dans des zones désindustrialisées où la colère n’a cessé de monter. De telles initiatives, tout comme M. Ruffin lui-même, sont relativement non prouvées.

Mais, étant donné que la politique de coalition est généralement plus viable au niveau local en France et que le parti LREM de Macron a très peu de représentants municipaux, les élections municipales du mois de Mars pourraient se présenter comme une opportunité pour essayer une telle coalition innovatrice entre la gauche et les verts. Une telle stratégie pourrait même ressusciter la maire de Paris, Anne Hidalgo, membre du Parti Socialiste qui, aujourd’hui, devance le candidat favori de Macron après avoir obtenu le soutien des Verts.

A l’instar des manifestations Gilets Jaunes, la grève a mis en lumière un rejet général du « Monde de Macron » et une volonté des gens ordinaires d’entrer dans l’arène politique pour s’y opposer. Si la gauche française veut saisi sa chance pour prendre de l’élan dans ces moments de crise, elle devra alors se poser comme une vision alternative du monde.

Cela voudra dire ne pas seulement appeler à la préservation des acquis sociaux mais aussi apporter un nouveau message de ce à quoi ressembleront ces acquis dans un avenir durable sur le plan environnemental. Cela voudra dire non seulement mener les manifestations  avec les syndicats mais aussi parler directement aux gens ordinaires qui ont le sentiment d’avoir été abandonnés par les politiques. En l’état actuel des choses, la gauche est politiquement faible au niveau national, mais elle a une chance de commencer à construire une nouvelle coalition.

Il convient de rappeler que même après avoir perdu les grèves de 1995, M. Chirac avait remporté haut la main les élections de 2002 face à Jean-Marie Le Pen, à l’époque chef de file du Front National. Que le grèves fassent reculer le gouvernement ou pas, les opposants à la politique de Macron devront se focaliser sur une vision alternative afin d’améliorer le bien-être économique des personnes ordinaires.

Macron espérera tourner la page de la grève et recentrer le débat national sur l’immigration, la culture, l’identité nationale…, des sujets sur lesquels il pense pouvoir montrer la grande différence entre sa politique et celle de Marine Le Pen. Si la gauche française échoue à entreprendre un nouveau dialogue, en s’érigeant comme une option viable au centre et à l’extrême-droite, même vaincu (par les grèves), Macron pourrait bien se faire réélire. »

Cet édito publié par le New York Times est rédigé par l’analyste Jacob Hamburger, spécialiste de la politique française.

L’édito a été intégralement traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com

Pour lire l’édito dans sa version originale, cliquez ici : The New York Times