Coup de théâtre : un groupe de scientifiques français appelle, dans une tribune, à réduire la population mondiale

Dans une tribune publiée au journal Le Monde ce 09 novembre, 11 scientifiques membres du Collectif Démographie Responsable appellent ouvertement à une réduction de la population mondiale afin d’atténuer le réchauffement climatique

Lecourrier-du-soir.com vous invite à lire la tribune dans sa version originale

Excellente lecture

« L’année 2022 est marquée par l’avancée régulière et implacable du réchauffement climatique, dû à la combustion de ressources fossiles (charbon, gaz, pétrole) accompagnée de l’augmentation de la concentration du CO2 et d’autres gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Dans ce contexte, la priorité a longtemps été donnée à ce qui pouvait être fait pour stabiliser, voire inverser cette augmentation, afin d’atténuer le réchauffement.

Cependant, s’adapter à l’évolution climatique devient également une préoccupation majeure. Ainsi sommes-nous conduits à mener de front démarches d’atténuation et d’adaptation. Concrètement, cela revient à privilégier, au sein des démarches d’adaptation de plus en plus urgentes, celles qui vont en même temps dans le sens de l’atténuation du réchauffement climatique.

L’année 2022 est aussi celle d’une prise de conscience. La question des ressources se pose de façon brutale : en témoigne l’apparition répétée du mot « sobriété » dans le débat public.

Adéquation des ressources aux besoins

Déjà, l’enjeu des ressources alimentaires se trouvait au centre des travaux de Thomas R. Malthus, qui soulignait, en 1798, l’incapacité de la production de nourriture à augmenter à proportion de la population, et plaidait donc pour une limitation de la croissance de cette dernière. Cependant, l’explosion démographique mondiale (multipliée par 8 depuis Malthus) n’a pas produit la paupérisation massive pronostiquée ; mais l’accroissement de la productivité agricole, qui explique ce décalage, atteint aujourd’hui ses limites.

De fait, la question de l’adéquation des ressources aux besoins est loin d’avoir disparu, en ce début de XXIe siècle. Elle se polarise aujourd’hui principalement sur les besoins énergétiques, dont la satisfaction commande celle des besoins en biens et services : le conflit déclenché par l’invasion de l’Ukraine par la Russie fait ressortir à quel point les chaînes de production mondiales sont sensibles à la disponibilité des ressources fossiles et disposent de peu de marge de manœuvre.

En France et ailleurs, les tensions montent également sur les usages concurrents du sol : habiter, se nourrir, produire des biocarburants et de l’énergie renouvelable, conserver des zones sauvages. De même, le niveau et la répartition des ressources en eau suscitent des alarmes. Ce cas illustre d’ailleurs l’interconnexion des enjeux : la disponibilité de l’eau a un impact sur la production agricole, mais aussi sur les transports fluviaux, la réfrigération des centrales énergétiques productrices d’énergie…

Critiques vigoureuses

Un facteur majeur du réchauffement est incontestablement le nombre des humains. Réduire la population contribuerait simultanément à son atténuation, en diminuant les émissions de gaz à effet de serre puis leur concentration atmosphérique, et à notre adaptation, par exemple en facilitant l’évacuation des zones du globe les plus affectées par le réchauffement et ses conséquences. C’est pourquoi le franchissement de la « barre » des 8 milliards d’humains annoncé par les Nations unies, le 15 novembre 2022, incite à considérer l’opportunité et la capacité à agir sur ce facteur.

Cependant, les réflexions dans ce sens se heurtent à des critiques vigoureuses, à commencer par la vision strictement politique des enjeux – une population nombreuse et croissante est, par exemple, un facteur de puissance. Il est vrai aussi que, derrière l’émission moyenne de gaz à effet de serre par personne, se cachent de très fortes disparités. Faire porter l’effort de sobriété sur les catégories les plus émettrices, et donc les plus aisées, paraît évident. A terme, à mesure que les milliards d’humains en état d’extrême pauvreté accéderont à un niveau de vie décent, ce qui est souhaitable, la réduction d’émissions de GES imposée à une minorité de privilégiés ne pèsera guère.

Si des scénarios prospectifs concernant la population existent (voir, par exemple, les travaux de Vollset), il n’est pas aisé de trouver des simulations climatiques les prenant en compte. La question de la natalité est largement considérée comme relevant de la sphère privée ; elle est, de plus, parfois conditionnée par des préconisations religieuses.

Rôle de la démographie

La communauté scientifique n’est nullement indifférente au rôle de la démographie dans les enjeux environnementaux. Ainsi, un avertissement public signé par 15 000 chercheurs de tous pays liste plusieurs actions-clés. Deux d’entre elles concernent directement la démographie : « réduire encore le taux de fécondité en faisant en sorte qu’hommes et femmes aient accès à l’éducation et à des services de Planning familial, particulièrement dans les régions où ces services manquent encore » et « déterminer à long terme une taille de population humaine soutenable et scientifiquement défendable tout en s’assurant le soutien des pays et des responsables mondiaux pour atteindre cet objectif vital ».

Un effort de recherche approfondi afin de caractériser finement l’impact sur le climat des scénarios d’évolution démographique est indispensable. Surtout, il est essentiel que les décideurs prennent conscience du poids de la démographie face aux enjeux environnementaux, particulièrement face à l’évolution climatique.

Au niveau mondial, consacrer une petite part des sommes promises à la COP21 (100 milliards de dollars de dons des pays riches aux pays pauvres) pour financer l’accès à la contraception des femmes qui le désireraient et améliorer le système éducatif s’avérerait un effort particulièrement efficace. L’exemple des 17 pays africains qui se sont donné l’objectif en 2017, à Ouagadougou, de réduire leur fécondité à moins de trois enfants par femme en 2030 est à soutenir.

En France, il conviendrait de réviser à la baisse la politique nataliste. Il faut atteindre la ‘sobriété démographique’ ; cela conditionne l’avenir de l’humanité. »

Premiers signataires : Jean-Claude André, météo-climatologue ; Gilles Bergametti, directeur de recherche au CNRS ; Jean-Loup Bertaux, planétologue ; Roger-Maurice Bonnet, ancien directeur scientifique de l’Agence spatiale européenne ; Richard Bonneville, ancien directeur scientifique du Centre national d’études spatiales ; François Forget, planétologue ; Marc Gillet, ingénieur météorologue ; Alain Hauchecorne, atmosphériste ; Rosine Lallement, astrophysicienne ; Alessandro Morbidelli, astrophysicien du Système solaire ; Philippe Waldteufel, géophysicien. Retrouvez la liste complète des signataires sur https://demographie-responsable.org/