Dans une interview accordée au journal français L’Express et lue par Lecourrier-du-soir.com, Vincent Crouzet, ancien collaborateur de la DGSE (service de renseignement français), livre son avis sur les récents événements qui ont secoué l’Afrique ces derniers jours, notamment les coups d’Etat au Niger et au Gabon. Au regard de ce qui se passe sur le continent noir, le spécialiste de l’Afrique n’écarte pas l’hypothèse que le Sénégal et la Côte d’Ivoire tombent
Lecourrier-du-soir.com vous invite à lire l’interview dans sa version originale
Excellente lecture
L’Express : Après celui au Niger, le 26 juillet, le coup d’Etat en cours au Gabon, ce mercredi 30 août, ne semble pas avoir été anticipé. Y avait-il des signes avant-coureurs ?
Vincent Crouzet : On a observé des tensions pendant la période électorale. Ali Bongo était contesté. La mauvaise gouvernance donne prise à des critiques dures et au populisme. Mais il est inacceptable d’affirmer qu’une mauvaise gouvernance légitime un coup d’Etat.
Même si nombre de démocraties africaines sont imparfaites, il existe tout de même des exemples plutôt positifs, comme au Kenya, en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Il faut s’accrocher à ces signes d’espoir, parce que chaque fois que des militaires prennent le pouvoir par un putsch, des gens qui n’ont absolument aucune compétence pour gouverner, aucune compétence diplomatique pour négocier – comme on le voit au Niger – tirent le continent vers le bas.
En quoi ce coup d’Etat s’inscrit-il dans la logique des putschs récents au Mali, au Burkina Faso et au Niger ?
Les militaires gabonais ont malheureusement pris exemple de ce qui s’est passé au cours des dernières années en Guinée, au Mali, au Burkina Faso, et tout récemment au Niger. A partir du moment où personne n’a été capable de mettre un arrêt ferme et définitif à ces coups d’Etat, le risque s’est diffusé ailleurs. C’est un très mauvais signal envoyé. Et d’autres pays pourraient suivre.
En tant qu’ancienne puissance coloniale, nous sommes en permanence dans le repentir. Nous n’assumons pas le fait que pour rester une puissance d’envergure, nous devons conserver une influence politique, économique et militaire en Afrique, face notamment à la présence chinoise et russe sur le continent. Nos concurrents n’ont pas ces scrupules.
Nous perdons pied sur ce continent. Il faudrait avoir la volonté politique de renverser la tendance. Je suis très sceptique sur les racines du sentiment anti-français. Je crois qu’il est en partie véhiculé par les élites panafricaines et qu’il ne répond pas à quelque chose de réel, au sein des populations, en Afrique sahélienne.
L’ère Bongo, père et fils, pourrait se terminer, après 55 ans de règne…
Il est tout à fait normal que l’ère Bongo se termine un jour ou l’autre. Comme se terminera l’ère Déby au Tchad. Cela semble inéluctable, mais cela ne peut raisonnablement pas se terminer par un coup d’Etat. Après le Niger et le Gabon, si l’on rentre dans cette logique, le Sénégal pourrait tomber demain, puis la Côte d’Ivoire…
Même si on peut déplorer de la mauvaise gouvernance, le Niger et le Gabon sont de véritables États, qui, malgré tout, fonctionnent, et disposent d’élites politiques, de sociétés nationales. Un délitement de ces Etats serait extrêmement dangereux.
Quels sont les risques principaux ?
Cela laisserait la porte ouverte au djihadisme, mais aussi à toutes sortes de systèmes criminogènes, à des guerres civiles, mais aussi à des influences néfastes dans un contexte de rivalité globale avec la Russie.
Outre ses richesses pétrolières, le Gabon est un grand producteur de bois. Wagner a démarré une activité importante de ce type en République centrafricaine à travers la compagnie Bois Rouge qui lui apporte énormément de profits. Les ressources en bois du Gabon pourraient à leur tour faire l’objet d’une prédation russe.