Escalade des tensions à Aden : la fin de l’alliance saoudo-émiratie au Yémen ?

Le gouvernement yéménite a accusé, le 29 août dernier, les Émirats arabes unis (EAU) – pourtant membre d’une coalition saoudienne qui le soutient contre les rebelles houthistes – d’avoir bombardé ses troupes à Aden, où des combats avec des forces séparatistes formées par Abou Dhabi ont eu lieu.  La situation sécuritaire à Aden s’est dégradée depuis le mois dernier après qu’un drone houthiste a tué un haut responsable militaire et des miliciens affiliés au Conseil de transition du sud (CTS), un groupe séparatiste qui revendique l’indépendance du Sud du Yémen. Le CTS avait accusé le parti al-Islah, allié du président Hadi de complicité et avait par la suite mené un assaut militaire contre les ministères du gouvernement Hadi et son palais présidentiel.

L’impasse a mis en évidence les différences entre les alliés régionaux, l’Arabie saoudite et les EAU dans le conflit au Yémen. Depuis 2016, Abou Dhabi soutient les forces séparatistes du CTS tandis que la monarchie saoudienne soutient les forces gouvernementales du président Hadi dans la lutte contre les Houthistes. En effet, le 11 août dernier, l’armée saoudienne avait conduit des frappes contre les forces du CTS. Par conséquent, il est nécessaire d’analyser si la fin de l’alliance saoudo-émiratie au Yémen approche.

(Une analyse de Kareem Salem, étudiant en relations internationales)

Abou Dhabi a toujours fait passer ses intérêts stratégiques au Yémen au premier plan. 

Depuis le début de l’opération militaire menée par l’Arabie saoudite « Tempête décisive », les EAU ont poursuivi leurs propres objectifs en priorité. Les EAU considèrent le sud du Yémen comme une zone stratégique clé dans le développement de ses intérêts régionaux. Coupé en deux entre les rebelles houthistes au nord et les séparatistes au sud, les EAU avaient compris dès le début de l’opération militaire que le nord du Yémen ne serait jamais reconquis, et qu’ils avaient tout intérêt à appuyer les spermatistes pour gagner en influence dans un Yémen du Sud autonome (Amir-Aslani 2019).

Pour arriver à cette fin, Abou Dhabi s’est efforcé d’armer et de financer les milices attachées au CTS (Cher-Leparrain 2018). Contrairement aux Saoudiens, les EAU ont déployé un corps expéditionnaire terrestre à base de quelques dizaines de blindés, d’artillerie et de véhicules de combat dans le sud du Yémen (Cher-Leparrain 2018).  En s’impliquant lourdement dans le conflit yéménite, les EAU ont réussi à prendre le contrôle de facto du golfe d’Aden leur permettant ainsi d’assurer la sécurité de cette zone où les EAU ont développé des intérêts économiques et stratégiques notamment au Somaliland (Frison-Roche 2019). Ces événements permettent aux EAU d’aspirer à devenir une puissance maritime de premier ordre.

L’hostilité des EAU face à la « salafisation » de la résistance armée aux houthistes.

Les EAU n’ont pas la même complaisance avec l’Arabie saoudite à l’égard des organisations terroristes au Yémen. Par exemple, Abou Dhabi ne partage pas la complaisance de Riyad à l’égard d’al-Qaïda au motif que ses milices combattent elle aussi les rebelles houthistes (Cher-Leparrain 2018). En effet, les forces émiriennes soutenues par leurs alliés du Sud ont notamment démis al-Qaïda de la ville portuaire d’al-Mukallā (Baron 2018).

Les EAU ont également été irrités par l’implication du parti al-Islah dans la lutte contre les Houthistes, car ils estiment que la composante du parti est proche des Frères musulmans (Malbrunot 2019). Ce point de vue est, en contradiction, avec leur allié saoudien, qui soutient la participation d’al -Islah à cette coalition et à un gouvernement du président Hadi, parce que les autorités saoudiennes considèrent que le parti est principalement composé d’éléments tribaux de l’extrême nord du pays (Lackner 2019). Pour les EAU, un retrait des forces liées à l’organisation al-Islah permettrait à Abou Dhabi de mieux sécuriser ses objectifs stratégiques dans les régions méridionales du Yémen. C’est pourquoi ils encouragent l’élimination de nombreux partisans al-Islah par leurs alliés du Sud (Lackner 2019).

Retrait des forces émiriennes.

Abou Dhabi a récemment pris la décision de retirer la majorité de ses forces militaires, confiantes que leurs alliés du Sud préserveront leurs intérêts stratégiques. En effet, les EAU ont déjà retiré la plupart de leurs troupes et matériel militaire notamment dans la province de Tihama (Lackner 2019).

Cette décision s’inscrit dans le cadre de la volonté d’Abou Dhabi de se désolidariser de l’allié saoudien dans sa guerre contre les Houthistes (Amir-Aslani 2019). Le contexte géopolitique fragile dans le golfe Arabo-Persique a incité les EAU à prendre une telle décision. En effet, les EAU redoutent d’être la cible de frappes iraniennes en cas de conflit dans cette région (Barthe 2019). Une guerre impliquant les EAU contre l’Iran infligerait de graves dommages au développement du modèle économique post-pétrole émirati, qui repose sur des investissements dans des secteurs à forte valeur ajoutée comme la biotechnologie (Boulanger 2009). Ainsi, Abou Dhabi par cette décision, vise à provoquer une révision de la stratégie saoudienne au Yémen.

Riyad et Abou Dhabi appellent au calme. 

Les deux alliés ont récemment souligné leur front commun, à travers leurs déclarations publiques appelant la fin des combats entre les différents acteurs à Aden. Avec le sud du Yémen plus ou moins sous contrôle des EAU et le retrait des forces émiriennes notamment de la province de Tihama, il est clair qu’Abou Dhabi veut mettre fin à leur participation à ce conflit, qui a fait des milliers de morts. L’Arabie saoudite n’a pas les moyens militaires de se fâcher avec les EAU, donc ils sont contraints de discuter, d’essayer de trouver une solution diplomatique à ce conflit.

La poursuite des affrontements, en particulier dans les zones d’intérêt d’Abou Dhabi, pourrait compromettre les relations entre les deux puissances. Le prince héritier saoudien Mohammed ben Salman ne peut pas se permettre de perdre un allié aussi important dans la transition économique post-pétrole du royaume.