France : à 5 mois de la présidentielle, Manuel Valls détruit la gauche : « la gauche meurt », dit-il dans une tribune

Dans une tribune au vitriol publiée ce 12 décembre dans le Journal du Dimanche (JDD), Manuel Valls, ex premier ministre de la France, s’est durement attaqué à la gauche, l’accusant d’avoir renié à ses valeurs et à son histoire

Lecourrier-du-soir.com vous propose de lire la tribune dans sa version intégrale

Excellente lecture 

« Le spectacle affligeant que la gauche donne d’elle-même ces derniers jours relève davantage de l’évidence que de la surprise. Elle n’est pas en train de succomber, en réalité elle meurt chaque jour un peu plus, et ce, depuis des années. C’est non sans nostalgie et amertume que je constate que la gauche s’éteint par reniement de ses valeurs et de son histoire. Ce n’est pas faute de m’être battu pour que ce moment n’arrive pas. J’ai formulé, des années durant, de multiples avertissements, me valant les critiques d’authentiques tartuffes, drapés dans des postures de prétendus sages.

Lorsque j’ai averti que la gauche pouvait mourir, je voulais provoquer un électrochoc. Parlant de gauches irréconciliables, je cherchais à ce que les républicains se distinguent définitivement des communautaristes. Parce qu’elle refuse de voir le réel et ostracise tous ceux qui veulent l’affronter, la gauche meurt.

Elle meurt de son aveuglement. Conseiller de Michel Rocard durant l’affaire du voile de Creil en 1989, j’ai vu une partie de la gauche troquer ses valeurs contre une paix sociale, voire électorale, précaire et illusoire. Maire d’Évry, j’ai prêché dans le désert sur l’abandon des quartiers populaires au communautarisme, sur la montée de l’insécurité, sur l’émergence de l’islamisme. Député, je fus l’un des rares membres de mon groupe à voter la loi d’interdiction de la burqa. Ministre de l’Intérieur puis Premier ministre, j’ai été esseulé dans mon propre camp lorsqu’il s’agissait de défendre la crèche Baby-Loup ou les maires interdisant le burkini sur les plages, ou critiqué quand j’invitais à questionner nos politiques migratoires. Cantonnée à des discours déresponsabilisants et arc-boutée au « pas de vague » par crainte de l’extrême droite, la gauche n’a jamais fait son aggiornamento.

La gauche meurt de son passéisme. Elle s’obstine à voir l’entreprise sous le prisme de la lutte des classes, jouant de vieilles lunes et d’épouvantails, des 35 heures au travail du dimanche. En s’opposant à ma volonté d’améliorer la compétitivité, les frondeurs savaient qu’ils condamnaient les salariés au chômage. Refusant de reconnaître la valeur émancipatrice du travail, la gauche n’a que des fantasmes : revenu universel, 32 heures… L’obsession antinucléaire de certains l’empêche de voir le potentiel de cette énergie bas carbone et la divise sur un sujet majeur.

La gauche meurt de sa paresse. Qu’a-t-elle fait en cinq années d’opposition? A-t-elle quelque chose de tangible à proposer aux Français sur les thématiques qui sont historiquement les siennes comme la lutte contre les inégalités, l’école, la laïcité, la protection des plus modestes ou la défense des services publics? La gauche ne réfléchit plus à l’avenir et une partie d’entre elle se fourvoie dans la décroissance ou le wokisme. Sa complaisance vis-à-vis des racialistes fait honte à son républicanisme originel.

Face à ces contradictions et en l’absence d’une culture de gouvernement, la gauche ne peut être qu’inaudible. Elle pourra imaginer tous les subterfuges, organiser toutes les primaires, se réunir autour de partis moribonds ou de tribuns déclinants, se jeter dans les bras de figures tutélaires fantasmées qui sont à l’origine de sa perte, elle a déjà perdu. Elle a abandonné ce qui faisait son utilité et sa force : la nation aux nationalistes, l’assimilation aux xénophobes. Face à l’anti-républicain Zemmour qui attaque son héritage, elle se perd, honteuse, en propos verbeux.

Pourtant, jamais ses idées originelles n’ont été aussi essentielles et attendues. Nos valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de laïcité doivent beaucoup à ce camp politique qui a su les consacrer puis les décliner de façon concrète, au service du peuple. Alors qu’elles sont menacées et fragilisées, c’est aux véritables républicains des deux bords de s’unir pour les défendre et leur redonner du sens.