Jean Fall : « notre objectif est de faire revenir les cinémas africains en salle en France »

Lecourrier-du-soir.com est allé à la rencontre de CineWax, association basée à Paris et qui a pour but de promouvoir le cinéma africain. Ce 30 novembre, nous avons été reçus dans les locaux de cette jeune entreprise ambitieuse située dans le 20ème arrondissement de Paris

(Reportage signé Cheikh DIENG)

Nous sommes le 30 novembre 2016 à 14h35, en plein hiver. Je sors de la station métro « Pyrénée » dans le 20ème arrondissement de Paris pour me diriger aux locaux de CineWax. A deux minutes de marche, je tombe sur la rue Belleville. Au 130, je compose le code d’entrée d’un grand bâtiment parisien, porte d’entrée en bois.

Au bout de la cour, je descends les escaliers qui donnent sur un local en sous-terrain. Je me perds un petit moment avant de retrouver finalement, grâce à un monsieur, l’endroit que je cherchais : le bureau où je dois effectuer une interview avec Jean Fall, Français d’origine sénégalaise qui vient de lancer son projet pour la promotion du cinéma africain.

Après quelques hésitations (je pensais m’être trompé de lieu), je pousse la porte en verre d’un grand local divisé en trois parties. A l’entrée, se trouve une cuisine bien équipée. Après la cuisine, on traverse un grand bureau avant de se diriger vers celui de Jean. Mais déjà, l’accueil chaleureux qui m’a été réservé par une jeune demoiselle me donne envie de rester plus de temps dans un endroit très aéré et où il fait (il faut bien le dire) un peu froid.

Après avoir brièvement fait connaissance avec les employés de l’association, chacun les yeux rivés sur son ordinateur, la demoiselle me conduit timidement vers un grand bureau où m’attendait le fondateur de l’association. A l’ouverture de la porte, je me retrouve nez à nez face à un jeune homme métis d’une grande taille, coupe cheveux afro, visage long, dents toute blanches. Il m’accueille dans son grand bureau avec un sourire qui, très vite, me met à l’aise.

Jean m’invite à prendre place sur un siège placé en face de son bureau. Voyant que je n’étais pas très à l’aise à cause du froid, il me propose d’allumer le chauffage. Une proposition que je ne pouvais pas décliner. Après un petit échange sur le Sénégal, Jean m’offre un café bien chaud pour me requinquer. La discussion se poursuit entretemps, toujours autour de notre pays d’origine : le Sénégal.

Cependant, il fallait bien que nous allions droit au but. Il fallait en effet que nous abordions le sujet sur CineWax, motif de mon déplacement. Après avoir rechargé les batteries de mon enregistreur et vérifier que tout allait bien, me voilà prêt à ouvrir le débat. La première question ne s’est pas fait attendre. Jean, qui tenait une tasse de café dans la main, est entretemps venu s’assoir sur une chaise en face de moi. Il accroche le micro sur son T-shirt noir et l’interview commence.

« Le deuxième objectif est de créer un pont culturel entre les pays grâce au cinéma »

Dès la toute première question, Jean Fall, plein de vitalité, se montre prolixe. Les pieds entrecroisés, il rétorque : « j’ai créé le projet l’année dernière à l’âge de 23 ans.  C’est à travers mes voyages au Sénégal quand j’avais 19 ans que j’ai découvert mon pays d’origine. A travers mes voyages, je me rendais compte des difficultés structurelles du pays surtout dans le domaine de la culture. Je me suis rendu compte qu’il n’y avait plus de cinéma, qu’il y a beaucoup de chômage chez les jeunes qui veulent tous quitter le pays. J’ai eu l’idée d’apporter une ouverture culturelle et créer un lieu où on pouvait regarder le cinéma du monde entier. C’est comme cela que le projet a commencé. On essaie toujours d’apporter de l’emploi, des activités culturelles et en faisant la promotion de ce qui se passe localement mais aussi à l’extérieur du pays ».

Sur les objectifs de son projet, Jean en énumère deux qu’il a tenu à détailler. « Il y a un double objectif. Tout d’abord, au Sénégal, l’objectif est de créer un réseau de salles de quartier solidaires et innovantes qui peut amener un accès à la culture, montrer des films du monde entier et offrir de l’emploi. Ce réseau sera un tissu culturel qui permettra de soutenir la culture locale. Il n’y aura pas que du cinéma. Il y aura un espace de restauration, bibliothèque, espace de co-working… L’objectif est aussi d’utiliser le cinéma comme outil d’éducation en faisant par exemple des cours de langues grâce au cinéma, outils de sensibilisation en utilisant les films documentaires et enfin de permettre (grâce à nos revenus) de soutenir le réseau de professionnels de cinéma localement. La salle c’est l’aboutissement du processus cinématographique. Le problème du Sénégal est le manque de structures pour soutenir la production du film, sa distribution, son exploitation (la diffusion). Nous voulons aussi créer une plateforme qui sera la première plateforme de mise en valeur des cinémas au Sénégal. Le deuxième objectif est de créer un pont culturel entre les pays grâce au cinéma. Notre but est de faire revenir les cinémas africains en salle. Aujourd’hui, il y a moins d’1% des films qui sont montrés en salle en France et qui sont d’origine africaine. Alors que 60% des films sont américains ».

Le fondateur de CineWax tente d’expliquer cette situation. A la question de savoir s’il s’agit d’un désintérêt vis-à-vis de l’Afrique, Jean, sirotant son café, dira : « là, c’est la grosse question. Pour que le cinéma africain soit plus visible, on veut être l’acteur majeur qui va mettre en valeur les séances de films africains. Il y a beaucoup de festivals sur le cinéma africain qui ne sont pas montrés et que nous connaissons ».

« Il n’y a pas d’industrie du cinéma en Afrique »

Pour Jean, il y a en effet deux problèmes qui expliquent l’absence de cinémas africains dans les salles en France. « Le premier problème vient de la production des films. Il n’y a pas d’industrie du cinéma en Afrique. L’accès au film est compliqué. Pour faire voyager un film de l’Afrique vers la France, il y a tout un tas de procédés qui vont ralentir le processus et augmenter le coût. C’est un problème économique et culturel. Le deuxième problème vient de l’ouverture culturelle qu’on a ici. En France, les films ne sont pas soutenus. Pour obtenir des aides à la diffusion et à la distribution, c’est tout un parcours du combattant. De plus, la plupart des distributeurs ne sont pas convaincus que les films africains puissent toucher une audience française. Ce qui n’est pas vrai du tout. Ce n’est pas justifié », commente-t-il.

Jean Fall avoue avoir sollicité du soutien financier auprès des autorités sénégalaises, mais regrette n’avoir reçu aucun retour de leur part pour l’instant. A la question de savoir si le fait de ne pas recevoir ces soutiens ne risque pas d’affecter le bon fonctionnement de son projet, la réponse est mitigée. Au bout d’un court silence, Jean lance : « oui et non. Oui parce qu’au bout d’un certain niveau d’avancées d’un projet, il est nécessaire que l’Etat s’implique pour faire prendre conscience aux gens que cela a une réelle utilité publique et que c’est bénéfique pour tout le monde. Non, parce qu’aujourd’hui, on est conscient qu’un certain nombre de projets, surtout dans la culture, s’autogère en fait. Ces initiatives vont chercher leur propre public et le public va chercher ces initiatives. L’intervention de l’Etat n’est pas obligatoire au départ ».

« Moi, je n’ai qu’une envie, c’est de continuer »

Jean Fall n’hésite pas à citer l’exemple de la plateforme AfroStream qui, selon lui, fonctionne tout seul sans l’intervention de l’Etat. A la fin de l’interview, le fondateur de Cinewax nous a détaillé les différents événements organisés par son entreprise. « En France, on a plusieurs cinéclubs et plusieurs événements. Parmi les cinéclubs, vous avez ‘Univerciné’, qui se déroule à Paris 3 et qui a été financé par l’Université Paris 3. ‘Univerciné’ est dédié à l’exploration des cinémas africains à travers des thèmes. On a un deuxième cinéclub qui s’appelle ‘Clap Afrique’ qu’on a commencé en février 2013 et qui se passe au cinéma Lilas une fois par mois. C’est un panorama des cinémas africains et chaque mois on montre un film. On choisit le film qui est le plus susceptible de plaire au public et qui fonctionne bien ».

Un an après le lancement du projet, Jean Fall reste optimiste. Il juge son bilan jusque-là positif. « Le bilan est positif. On a progressé, on a beaucoup appris. Cette année, l’objectif est de passer à la vitesse supérieure, de faire plus d’événements, d’attirer plus de publics. Le seul obstacle auquel on fait face est la communication. La ressource financière est aussi capitale et on a encore des difficultés avec cela, mais c’est pour cela que l’on travaille, pour continuer. Moi, je n’ai qu’une envie, c’est de continuer ».

Si Jean Fall veut continuer, l’interview, elle, doit prendre fin. Jean m’accompagne ainsi à la sortie. Là, je repasse dans les deux premiers bureaux où je m’étais présenté aux employés de l’entreprise à mon arrivée. Mais, ce n’est pas tout. Une belle surprise m’attendait. Dans la cuisine, à un pas de la sortie des locaux, Jean, en bon Sénégalais, me propose un bon jus de Bissap que j’ai savouré avec délectation.   

 

 

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Cheikh Tidiane DIENG est fondateur et rédacteur en chef du site www.lecourrier-du-soir.com. Diplômé en Médias Internationaux à Paris, en Langues et Marché des Médias Européens à Dijon et en Langues étrangères (anglais et espagnol) au Sénégal, ce passionné de journalisme intervient dans des domaines aussi divers que la politique internationale, l’économie, le sport, la culture entre autres. Il est aussi auteur du livre : "Covid-19 ; le monde d'après sera une dictature". Contact : cheikhdieng05@gmail.com