« Suicide d’une masculinité toxique » est le premier livre de Marc Sinclair, et celui-ci ne peut pas passer inaperçu. Dans ce récit, nous suivons la vie de Daniel, son personnage principal, un misogyne qui mène une vie dans l’outrance. L’auteur nous fait découvrir la masculinité toxique dans ses actes les plus sombres avec une plume accrue de détails et de réflexion littéraire.
Propos recueillis par Emma Diedhiou.
Comment vivez-vous la sortie de votre premier livre ? Peut-on le qualifier d’autobiographie ?
C’est incroyable, grisant. J’ai envie de dire que c’est surréaliste. Je ne m’attendais pas à un tel retentissement dans le monde de la littérature. Il s’agit de mon premier livre, donc bien entendu, je ne pensais pas me retrouver à faire autant d’interviews, de séances photo et tout le reste. J’ose croire, imaginer que les écrivains à succès vivent cela. Il s’agit plus d’une autofiction. Une combinaison de mon histoire, de mon vécu avec une approche sociologique. Je devais être capable de retranscrire les personnes dans leur milieu social et également de décrire les lieux pour y apporter un regard critique social. C’était très important dans le projet du livre de faire ressortir les trois ou quatre endroits où le personnage évolue et d’en faire un matériau critique.
Comment l’idée vous est-elle venue d’écrire cette autofiction ?
Ce livre vient du plus profond de moi. Il émerge de la réflexion, des discussions à ce sujet. Lorsqu’un grand nombre de personnes autour de vous, vous encouragent à écrire votre vie, on finit par se poser sérieusement la question. Vous savez, on dit qu’en France, chaque Français a un manuscrit caché dans un tiroir, eh bien c’était mon cas aussi. J’avais mon manuscrit dans lequel je travaillais ma plume à travers mes ressentis et mes histoires quotidiennes. C’est à force de réflexion sur mon parcours et sur ses enjeux que je me suis dit que j’avais un matériel d’écriture, et je me suis lancé.
Comment définissez-vous la masculinité toxique ?
J’ai écrit tout un livre pour décrire dans toutes ses profondeurs la masculinité toxique. Mais pour expliquer le plus simplement, je dirais que c’est un comportement qui se comprend à travers le prisme du rapport de domination. Il faut qu’il y ait un dominant et un dominé. La masculinité toxique, c’est un complexe de supériorité, un rapport de force constant. Mais je ne suis pas le premier à avoir écrit sur le sujet. Si vous voulez en apprendre plus sur les hommes, la toxicité masculine, lisez Sade et bien d’autres auteurs, tout est expliqué en détail. Comme disait Camus, « L’homme est la seule créature qui refuse d’être ce qu’il est », ça se résume à cela.
Vous avez fait le choix d’aborder la masculinité toxique à travers le prisme d’un personnage masculin dont on suit la plongée de plus en plus profonde dans cette pensée misogyne et centrée sur le pénis. Pourquoi ?
Il représente la quintessence de ce qu’est la masculinité dans ces années-là. Dans la culture populaire à cette époque-là, nous étions très loin du #metoo. Dans ces années, ce comportement était la norme, il était véhiculé et même encouragé dans les médias. Si en 2024, mon personnage Daniel, représente un être abject, à l’époque, c’était un homme comme un autre. C’est aussi une manière de représenter la masculinité toxique au quotidien. On a tendance à n’en parler que à travers les cas médiatisés, mais cela se vit au quotidien également.
La notion de voyage est aussi omniprésente dans votre roman, pouvez-vous nous en dire plus sur le choix des destinations ?
Nous avons Paris, mais je dirais qu’on n’a même plus Paris, on a le parisianisme. Pour mon personnage, Paris, c’est le rêve. Cette culture parisienne m’a personnellement toujours attiré, à travers les yeux de mon personnage, je vis le fantasme d’une vraie vie parisienne, avec toute sa littérature et sa philosophie. J’ai voulu recréer mes expériences parisiennes avec mes endroits fétiches et recréer la vie si fascinante des Parisiens.
L’Argentine, Buenos Aires, car c’est une ville qui fait plutôt rêver. Je voulais montrer qu’à côté des grands et luxueux hôtels, il existe aussi une pauvreté très accrue. C’est à ce moment-là que mon personnage prend conscience des clivages sociaux. Je le fais pénétrer dans des endroits de pauvreté extrême, il découvre un univers qu’il ne connaît pas et qu’il ne pensait pas possible d’exister.
Il y aussi Miami, celui des années 90 où la déchéance était à son paroxysme. Montrer le côté sombre du Miami Beach de ces années-là, où la drogue et le sexe sont au cœur de tous les échanges. A travers la vie de mon personnage, je pointe du doigt cette perversion. Elle n’est pas seulement dans la jet-set, elle touche tout le monde. Mon personnage se retrouve dans cette boucle où l’extrême est au contrôle.
Le marquis de Sade comme l’autrice Nelly Arcan ont une place importante pour Daniel, pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette relation qui tend vers l’idéologie ? Ce sont également des auteurs qui vous inspirent ?
La relation de Daniel avec Nelly Arcan est une sorte de passion virtuelle. L’autrice est présente tout le long dans le roman en étant partout et nulle part à la fois. C’est une relation fanatique, mon héros a une relation de transfert avec cette autrice. En s’appropriant les mots de Nelly, il les interprète comme il le veut et justifie alors son comportement et ses actes, car Nelly est une femme. Il trouve chez cette autrice une approbation féminine. Sade comme Nelly gravitent autour du héros, mais ils sont invisibles. C’est d’ailleurs pour cela que j’ai décidé de les faire se rencontrer dans une scène onirique. Cette scène était comme une pause où je me suis amusée dans le livre.
Sade m’a effectivement beaucoup inspiré pour la création de ce livre. Au quotidien, il m’a toujours fasciné, mais pas pour les bonnes raisons. Plus jeune, j’étais impressionné, fasciné par ce que pouvait raconter Sade. Aujourd’hui, je lis Sade par un prisme inverse, je veux connaître la philosophie de Sade. Mais sinon, il y a tous les auteurs comme Bukowski, Céline, Walter, et bien d’autres ! J’adore ces écrivains qui écrivent de façon crue.
Pourquoi faire le choix de décortiquer l’actualité économique, sociétale comme politique dans laquelle évolue votre personnage ?
Le but était de montrer que la masculinité toxique est universelle. Si vous voulez comprendre la toxicité masculine de cette époque, il faut la retranscrire dans l’époque, et cela inclut les conversations sociétales, économiques et philosophiques ! Pour moi, la masculinité toxique a un rapport direct avec l’économie, l’argent, la drogue, toutes ces choses qui viennent appuyer ce comportement. Je tenais à être très critique socialement, à présenter le réel, de manière crue si nécessaire. Je ne voulais pas être dans la retenue ou l’édulcoré, car à l’époque, la parole était telle que je l’écris. À travers Daniel, j’essaie de faire le grand écart en lui tenant discours d’homme instruit, lettré, qui parle et débat sociologie tout comme des discours beaucoup plus trash, voire grossier.
La mort comme la sexualité sont des sujets omniprésents dans votre roman, pourquoi ?
Le sexe, la mort, la vie, la passion, font partie des grands enchantements de la vie et de la littérature. La mort a toujours été une finalité, inévitable. Dans mon livre, elle est présente tout du long, elle vient, elle part et se montre sous toutes ses formes, avec en dernier acte ce qui est pour moi le pire : le suicide.
Est-ce finalement une rédemption ?
Cet impératif de justification… Effectivement, la chute de mon livre, la grande révélation explique tout le chemin parcouru dans le livre. On pourrait dire que la fin commence le livre. Je ne dis pas que le comportement toxique de Daniel est justifiable, qu’il faut à tout prix qu’il y ait un événement tragique pour engendrer ce type de comportement, mais dans ce cas-là, ça a été le point de non-retour, de bifurcation. La révélation finale est surtout là pour montrer qu’il y aura toujours des conséquences dramatiques. J’ai envie d’écrire quelque chose qui continuerait la réflexion sur la toxicité masculine mais cette fois-ci sous le prisme d’un auteur connu.
Vous considérez-vous comme féministe ?
Oui.