Dans une interview accordée à France Info, le politologue français Michel Galy, professeur de géopolitique à l’Institut Libre d’Etude des Relations Internationales de Paris, est revenu sur la crise institutionnelle qui secoue le Sénégal depuis l’annonce, faite ce 03 février, par le président Macky Sall de reporter la présidentielle
Le géopolitique français ne mâche pas ses mots. Pour lui, c’est bel et bien « un coup d’Etat institutionnel »
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Excellente lecture
Dès l’annonce du report des élections, l’opposition sénégalaise a appelé à la mobilisation, quand l’Union européenne s’inquiète d’une « période d’incertitude » dans le pays. Faut-il craindre un basculement au Sénégal ?
Oui, absolument. Ça paraît fort, mais c’est effectivement un coup d’État constitutionnel. Le problème dans toute cette Afrique de l’Ouest, c’est que ces coups d’État constitutionnels, que ce soit le report des élections, des annulations, souvent des troisièmes mandats… , amènent parfois, et de plus en plus, comme en Guinée et au Mali, à des coups d’État militaires. C’est ce que craint sans le dire la communauté internationale.
Depuis son indépendance en 1965, le Sénégal avait plutôt la réputation d’être l’une des démocraties les plus stables d’Afrique de l’Ouest. Le pays peut-il basculer dans la violence comme ses voisins ?
Absolument. Le Sénégal est un pays qui a une réputation très justifiée de stabilité, où d’ailleurs son président fondateur, Léopold Sédar Senghor, s’est retiré lui-même du pouvoir, ce qui en Afrique subsaharienne, est très rare et les élections jusqu’ici ont été respectées. En tout cas, leurs dates ont été respectées et ça s’est passé plutôt bien. Effectivement, ce n’est pas du tout pareil que, par exemple, le Mali qui a des traditions, comme le Burkina aussi, de type régime militaire. Mais aujourd’hui, Dakar entre dans une période de flou constitutionnel, légal, voire une crise de légitimité où tout peut se passer. Et ça commence par des soulèvements de rue. Mais aussi tout le monde peut se poser la question de l’attitude de l’armée s’il y a des troubles de plus en plus importants.
Avec cette colère populaire, on peut de nouveau constater une remise en cause des élites, de la classe politique du pouvoir en place…
Il y a effectivement une sorte d’insurrection de la jeunesse. Le Sénégal est un pays très jeune, avec 75% population qui a moins de 25 ans. Mais ça n’est pas une exception sénégalaise. On constate aussi que ce sont des pays toujours un peu sous tutelle internationale, voire française, notamment au Mali, au Burkina, au Niger récemment. Au fond, il y a une contagion transfrontalière : à l’heure d’Internet, tout le monde sait ce qu’il se passe dans les pays à côté. Il y a donc effectivement, sans parler de théorie des dominos, des possibilités d’imitation des pays où l’ordre constitutionnel n’existe plus ou a été complètement bouleversé.
Et on voit d’ailleurs que les que les étudiants au Sénégal sont extrêmement mobilisés…
La cause profonde, c’est toujours pareil : que le président au pouvoir, Macky Sall, ne se représente pas. Mais son parti ne veut pas céder le pouvoir. L’opposant principal Ousmane Sonko a été mis à l’écart, mis en prison et extrêmement touché par sa détention. Et au fond, quand il n’y a pas d’alternative légale électorale, c’est la rue qui s’exprime. Et bien que ce soit un pays stable, il y a toujours eu des manifestations extrêmement violentes par à-coups, si ce n’est sanglantes.
Crise politique, crise sociale, dites-vous, avec tout ce que cela peut engendrer sur le plan économique pour ce pays…
Le Sénégal est considéré, avec la Côte d’Ivoire, comme des pôles de stabilité économique. Mais s’il y a des émeutes dans la capitale et si, par exemple, les axes routiers, le port, etc., sont bloqués, ça peut, à moyen terme, se traduire par une paralysie du pays. Et, cela, et ce n’est pas anecdotique, en pleine Coupe d’Afrique des Nations.