Validation du 3ème mandat du Président du Sénégal : dans un pays normal, le ministre de la Justice aurait été limogé immédiatement

Mais, à quoi joue Ismaïla Madior Fall?

Cette question semble avoir toute sa pertinence à la suite des propos scandaleux tenus, ces dernières heures, par celui qui est, au moment où j’écris ces lignes, le ministre de la Justice du Sénégal.

En effet, lors d’une rencontre avec des militants du parti présidentiel Alliance Pour la République (APR), à Rufisque, dans la banlieue de Dakar, le Garde des Sceaux et l’un des plus brillants constitutionnalistes du Sénégal s’est outrepassé de ses prérogatives de gardien de la Constitution pour enfiler son boubou de politicien en se prononçant sur une question extrêmement sensible qu’est l’éventuel troisième mandat de Macky Sall en tant que président du Sénégal.

Et les propos du ministre de la Justice sont tout simplement hallucinants. « Au Sénégali, certains se sont levés pour magnifier le bilan du président Macky Sall sur le plan économique, sanitaire… Et ces gens ont demandé au président de prolonger son mandat. D’autres se sont levés pour s’opposer au 3ème mandat », a-t-il déclaré.

Et de poursuivre : « le président Macky Sall a fait savoir que nous sommes sur le terrain politique. La politique est une affaire de terrain, de mobilisation, de représentativité. Si la majorité des Sénégalais veut que le président Macky Sall continue son mandat, nous nous mobiliserons pour voter pour lui en 2024 pour qu’il soit candidat et président de la République. Le président sera candidat et président de la République ».

Et le ministre de la Justice de nuancer ses propos : « nous n’allons pas parler de droit, nous n’allons pas aborder la question de savoir s’il peut ou pas se présenter à la tête du pays, nous n’allons pas nous prononcer sur la question de savoir si la Constitution est claire là-dessus. Ce sera au Conseil Constitutionnel de trancher ».

Dans un pays normal, un ministre de la Justice qui tient de tels propos dans un contexte politique extrêmement houleux (marqué par un virulent débat sur une hypothétique candidature du chef de l’Etat) ne peut plus être maintenu à son poste car cette sortie confirme qu’il n’est plus apte à être garant de la Constitution et à faire respecter ses dispositions le cas échéant.

Que les choses soient très claires : Ismaïla Madior Fall est un digne fils du Sénégal et en tant que citoyen sénégalais, il a tous les droits de soutenir la candidature de Macky Sall à la tête du pays en 2024. Ceci dit, sa fonction de ministre de la Justice ne lui donne pas le droit de valider une candidature qui pose un sérieux problème juridique. Autrement dit, la logique voudrait qu’il sache garder son sang-froid afin d’éviter d’envenimer un climat politique déjà délétère.

Les propos du Garde des sceaux sont d’autant plus périlleux que nous savons tous comment fonctionne la justice en Afrique, un continent où l’indépendance des organes juridiques n’a jamais existé. Le ministre de la Justice, le Conseil Constitutionnel et consorts obtempèrent tous aux ordres d’un seul homme : le chef de l’Etat.

Ainsi, en validant la candidature de Macky pour 2024, le ministre sénégalais de la Justice viole le principe sacro-saint de neutralité et d’impartialité qui doit constituer la pierre angulaire de sa fonction. Je précise qu’une telle violation (de ce principe) pourrait avoir des conséquences extrêmement graves pour le pays.

Ismaïl Madior Fall a raté une occasion de se taire.