Nous avons tous été très surpris de la guerre dialectique que Recep Tayyip Erdogan, président de la Turquie, a récemment déclarée à l’Europe, un continent qu’il a pourtant toujours convoité espérant un jour ou l’autre intégrer la famille européenne. Les chances d’une telle intégration étaient jusque-là toujours possibles. Mais, le rêve d’une intégration de la Turquie au sein de l’Union Européenne s’est presque volatilisé ces 48 heures.
Les récentes déclarations du président turc y sont pour beaucoup et sa volonté d’introduire la peine de mort est jugée inacceptable par ses homologues européens. D’ailleurs, ce dimanche, Jean Claude Junker, Président de la commission européenne, n’a pas mâché ses mots. « Si la Turquie introduisait la peine de mort, cela équivaudrait à rompre les négociations », prévenait-il.
Alors, comment expliquer un tel changement de ton chez un homme dont le discours ces dernières années a été de ne ménager aucun effort diplomatique pour rejoindre l’UE ? L’explication est à chercher dans le refus catégorique des dirigeants européens d’accepter un pays (la Turquie) qui ne partage pas les mêmes valeurs qu’une Europe démocratique et judéo-chrétienne, la Turquie étant à majorité musulmane.
Là n’est pas la seule question. La Turquie est fragilisée par une forte aristocratie qui contrôle tout le pays, y compris l’armée. Le récent coup d’Etat du 15 au 16 Juillet 2016 et les purges menées par le régime d’Erdogan pour nettoyer au karcher une armée infiltrée par des partisans du PKK et des pro-Fethullah Gül confirme que l’aristocratie turque n’est pas prête à céder le pouvoir.
Autant de signes forts qui témoignent d’un régime faible, déstabilisé qui, à l’instar des régimes nazis, brandit toujours la menace étrangère pour museler toute une opposition. Des signes qui font peur à une Europe, fragilisée par une crise financière et une montée en puissance d’une immigration non régulée qui joue en faveur des extrêmes, et qui ne voudrait surtout se retrouver avec un régime islamique despotique en son sein.
L’autre facteur qui pourrait expliquer l’ire de Recep Tayyip Erdogan envers le monde occidental est à chercher dans le conflit syrien. La mission qui a été confiée à la Turquie a en effet été de renverser le gouvernement de Bachar al-Assad. La Turquie n’a jamais caché sa volonté de faire tomber Assad et ses nombreuses livraisons d’armes aux islamistes qui combattent en Syrie est un secret de polichinelle.
En novembre 2016, lors d’un déplacement à Jérusalem en Israël, Erdogan déclarait : « Nous sommes entrés en Syrie pour mettre fin au régime de Bachar al-Assad ». Quelques mois plutôt, en avril 2016, les médias russes avaient annoncé que le Kremlin avait soumis des informations d’une importance capitale au Conseil de Sécurité des Nations-Unies dénonçant les livraisons d’armes à Etat Islamique par la Turquie, principale alliée des Etats-Unis.
Cependant, s’étant rendu compte que le régime Erdogan n’était pas en mesure de mener le « régime change » tant voulu par Washington, les services de renseignement américains, notamment la CIA, ont alors décidé de se débarrasser de lui. D’ailleurs, dès 2014, le changement de régime était sur la table. Deux ex ambassadeurs des Etats-Unis en Turquie (Morton Abramowitz et Eric Edelman) avaient en effet tiré la sonnette d’alarme demandant à Obama de prendre des positions strictes contre ce régime qui ébranle la démocratie dans la région.
Ce « regime change » avait alors été pris très au sérieux par Washington à la suite de la tentative d’Erdogan de normaliser ses relations diplomatiques avec la Syrie de Bachar al-Assad. Erdogan venait ainsi de franchir la ligne rouge. Le 17 juillet 2016, deux jours avant le coup d’Etat manqué, son premier ministre affirmait qu’il était nécessaire que la Turquie normalise ses liens avec Damas, tout en continuant de qualifier Assad de « terroriste ». Quelle contradiction !
Mais, la rupture avec l’Occident est arrivée le 15 juillet 2016, date à laquelle un coup d’Etat militaire avait éclaté en Turquie. Erdogan qui jouit d’un fort soutien de l’armée avait réussi à reprendre le contrôle du pays au bout de quelques heures, avant de procéder, dans les heures qui ont suivi, à une purge d’une rare violence. Enseignants, soldats, étudiants, fonctionnaires…personne n’est épargné. L’ennemi, pour lui, était partout.
A partir de là, les relations entre la Turquie et l’Occident (Etats-Unis, Europe) se sont considérablement détériorées. Deux semaines plus tard, Erdogan hausse le ton et accuse les Etats-Unis d’avoir perpétré le coup d’Etat manqué. Le 29 juillet, le journal britannique Dailystar.com cite un journal turc proche d’Erdogan qui accusait le général américain à la retraite, John F Campbell, d’avoir aidé les putschistes.
Moins d’un mois après le coup d’Etat manqué, la Turquie, ayant compris le petit jeu des Occidentaux, décide de s’affranchir et d’afficher clairement son amitié avec un de ses rivaux d’antan : la Russie. Lors d’une rencontre avec Poutine, Erdogan parlait de restaurer l’ « Axe d’amitié » entre les deux pays.
« Le fait que Monsieur Poutine m’ait appelé au lendemain du coup d’Etat a été un facteur psychologique très fort. L’Axe d’amitié entre Ankara et Moscou sera restauré », avait-il martelé. Un rapprochement qui n’a certainement pas plu à Washington. Je pourrais consacrer une dizaine de pages à parler de la situation actuelle entre la Turquie et l’Occident.
Néanmoins, un épilogue s’impose. Je résume donc que ce à quoi nous assistons aujourd’hui est l’incertitude d’un dirigeant politique (ici Erdogan) qui a perdu ses principaux soutiens et qui se console dans des décisions politiques très controversées cherchant sans doute à se repositionner sur l’échiquier politique international. Le discours belliqueux d’Erdogan contre l’Europe ces derniers jours prouve que le dictateur est fini.
Edito signé Cheikh DIENG, rédacteur en chef du site www.lecourrier-du-soir.com