(Une analyse de Serigne Chouébou DIONE)
Dernièrement, si je me suis souvent tenu à l’écart du débat juridique, c’est que je considère que toutes les questions juridiques soulevées en ces temps au Sénégal ne se résolvent nulle part ailleurs que sur le terrain politique, au sens de pouvoir de décision du peuple.
Après, la énième sortie médiatique de Macky Sall à propos de sa possible candidature à l’élection présidentielle, je n’ai toutefois pu me retenir d’émettre quelques considérations juridiques.
Macky SALL soutient une cascade d’affirmations juridiquement erronées :
- Faire croire qu’il y a, au sens strict, une loi nouvelle sur le nombre de mandats ;
- Faire croire qu’il était constitutionnellement contraint de suivre un avis consultatif du Conseil constitutionnel (Décision n° 1-C-2016 du 12 février 2016 portant avis sur le projet de loi portant révision de la Constitution) ;
- Faire croire qu’il a rédigé une disposition transitoire ;
- Faire croire que le Conseil constitutionnel ne compte pas le premier mandat alors que cette juridiction se concentre sur la durée de ce premier mandat (et pour parvenir à cette dernière aberration, M. Sall et certains de ses conseillers entretiennent volontairement la confusion en accordant une importance plus grande à la motivation de l’avis au détriment de son DISPOSITIF).
Je vais, ci-dessous, essayer de faire quelques mises au point.
- Mise à part l’interdiction de réviser cette limitation, il n’y a pas de loi nouvelle sur la limitation du nombre de mandats que peut faire un Président du Sénégal
L’énoncé Le mandat est renouvelable une seule fois, contient la norme il est interdit d’avoir 3 mandats consécutifs ;
L’énoncé Nul ne peut faire plus de deux mandats, contient la norme, il est interdit d’avoir 3 mandats consécutifs.
La norme contenue dans ces dispositions est exactement la même. L’opération juridique dans la loi constitutionnelle 2016-10 du 5 avril 2016 s’apparente à une codification à droit constant.
La conséquence est que depuis la Constitution du 22 janvier 2001, tout Président élu au Sénégal l’est sous le coup de la limitation du nombre de mandats à deux consécutifs.
- Macky Sall n’était pas contraint, ni par le Constitution, ni par le Conseil constitutionnel, de suivre l’avis consultatif du 12 février 2016
Décision applicable et décision contraignante sont deux choses différentes en droit.
Une Chose élémentaire mais tellement essentielle s’agissant des décisions de justice est la suivante : le dispositif indique la valeur juridique de l’œuvre du juge.
Le dispositif dit le droit en termes simples et performatifs. Après avoir longuement argumenté (motivation), le juge donne en des termes claires et très concises sa réponse dans le dispositif selon la démarche suivante : en raison de tous ces arguments que j’ai exposés [Motivation], moi, juge, je décide que [Dispositif d’une décision] ou bien j’ordonne que [Dispositif d’une ordonnance] ou bien je suis d’avis que [Dispositif d’un avis ou, ce qui signifie la même chose, décision en “matière consultative”, selon l’expression consacrée par le Conseil].
Ainsi, « décision en matière consultative » signifie aussi AVIS CONSULTATIF. Et ce, au moment où Macky Sall posait la question de la durée du mandat au Conseil constitutionnel.
- Macky SALL n’a jamais rédigé une disposition transitoire sur la durée de son mandat
Monsieur Sall insiste sur le fait qu’il aurait lui-même proposé une disposition transitoire selon laquelle “cette disposition [la réduction du mandat de 7 à 5 ans] s’applique au mandat en cours”.
Un juriste sérieux et rigoureux sait pertinemment que ces règles constitutionnelles, qu’on le précise ou pas, s’appliquent immédiatement aux situations en cours (et c’est là que la notion d’applicabilité a du sens).
Ce que l’on appelle DISPOSITION TRANSITOIRE dans une Constitution, c’est la disposition qui s’énonce négativement comme, par exemple, « telle règle nouvelle NE VAS PAS S’APPLIQUER tout de suite à la situation en cours« , ou qui, en tout cas, organise une chose ne pouvant pas se déduire directement de la nouvelle disposition.
Le genre de disposition que M. Sall appelle « disposition transitoire » dans le projet déposé en 2016, le Conseil constitutionnel l’avait qualifié en 2012 (et dans une véritable décision contraignante) de « DISPOSITION SUPERFÉTATOIRE ». C’est-à-dire qui ne fait que répéter ce que le texte contient déjà. Le lecteur pourra se référer à la décision qui avait validé la candidature de Abdoulaye Wade en 2012. Le candidat Macky Sall était, d’ailleurs, parmi les requérants contre le Président sortant :
“10. Considérant que cette volonté souveraine est traduite par l’article 104 de la Constitution qui dispose que : « le Président de la République en fonction poursuit son mandat jusqu’à son terme » ; 11. Considérant que le même texte précise dans l’alinéa 2 que toutes les autres dispositions de la Constitution lui sont applicables ; 12. Considérant que cette précision, du reste superfétatoire, vise, entre autres, la limitation du mandat du Président de la République à un seul renouvellement consacrée par l’article 27 de la Constitution ;” .
[Décision 14-E-2012 du 29 janvier 2012 affaires n° 3 à 10 et 12 à 14-E-2012].
En d’autres termes, préciser que des dispositions nouvelles sur le mandat s’appliquent à la situation en cours est quelque chose d’inutile dans la mesure où c’est l’applicabilité immédiate de la disposition nouvelle qui constitue la règle en la matière.
Par conséquent, M. Sall a fait croire aux Sénégalais qu’il voulait sincèrement réduire son mandat. En veillant, pour ce faire, à glisser cette disposition superfétatoire dans le projet (au lieu de simplement réduire directement son mandat dans les faits). Toute autre juridiction constitutionnelle, un tant soit peu sérieuse, lui aurait aussi demandé d’enlever cette disposition qui ne sert absolument à rien d’autre qu’à semer la confusion dans l’esprit des honnêtes citoyens non expérimentés en droit public.
- Macky Sall fait croire que le Conseil ne compte pas le premier mandat alors que le Conseil se concentre sur la durée de ce premier mandat.
Voici comment est libellé le considérant n°30 de l’avis :
“Considérant qu’il résulte de ces précédents, initiés sans texte lors de la révision de la Constitution de 1963 par la loi constitutionnelle n° 91-46 du 6 octobre 1991 et consolidés lors de l’adoption de la nouvelle Constitution du 22 janvier 2001 et de la loi de révision constitutionnelle n° 2008-66 du 21 octobre 2008, avec le soutien de dispositions transitoires destinées à différer l’application de la règle nouvelle, que le mandat en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi de révision, par essence intangible, est hors de portée de la loi nouvelle”.
- Sall se réfère à la formule de clôture de ce considérant pour entretenir la confusion. Pourtant, l’intangibilité que le Conseil constitutionnel évoque dans cet avis vise le mandat en cours mais exclusivement quant à sa durée.
En premier lieu, les considérants 19 à 32 se trouvent sous le point 2.2 de l’avis intitulé ainsi : “La durée du mandat du Président de la République”. Le Conseil indique par là qu’il traite de la durée du mandat. Le considérant n° 32 qui clôt ce point 2.2 de l’avis le répète encore :
“…ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée”.
Dans la motivation de l’avis, il est donc seulement question de la durée du mandat. Et le Conseil s’y penche pour déterminer s’il est constitutionnel de réduire ou prolonger cette durée.
Par ailleurs, M. SALL et certains de ses conseillers entretiennent volontairement la confusion en accordant une importance plus grande à la motivation de l’avis au détriment du DISPOSITIF de l’avis.
Il y a deux parties essentielles dans un acte juridictionnel : la motivation et, surtout, le dispositif. Si, par conséquent, contradiction dans les termes il devait y avoir entre la motivation de l’avis et le dispositif de l’avis, il convient de s’en remettre au dispositif, non à la motivation.
Or, M. Sall et ses “juristes” omettent le dispositif de l’avis ainsi libellé :
“La disposition transitoire prévue à l’article 27 dans la rédaction que lui donne l’article 6 du projet et aux termes de laquelle, “Cette disposition s’applique au mandat en cours” doit être supprimée ; elle n’est conforme ni à l’esprit de la Constitution, ni à la pratique constitutionnelle, la loi nouvelle sur la durée du mandat du Président de la République ne pouvant s’appliquer au mandat en cours” (article 3).
Doit-on leur rappeler que le Conseil critique le recours aux motifs décisoires qu’il qualifie de “pratique controversée” ?
On parle de motifs décisoires lorsque la ou les réponses légales contenues dans une décision de justice ne se trouvent pas dans le dispositif de l’acte juridictionnel mais dans la partie servant au juge à présenter ses arguments de droit (la partie motivation).
Le Conseil a critiqué cette pratique, par obiter dictum (c’est à dire un soit dit en passant), lors d’un dialogue tendu avec le juge ordinaire concernant la procédure de l’exception d’inconstitutionnalité (décision n° 3-C-1995 du 19 juin 1995).
De manière plus éclatante encore, le Conseil a rappelé cette nécessité de s’en remettre au dispositif, dans sa décision 3-E-2019 du 20 janvier 2019 (affaires n° 13 à 24-E-2019) concernant des requêtes de candidats évincés à l’élection présidentielle du 24 février 2019.
El Hadji Malick Gakou estimait encore recevable sa candidature après une précédente décision qui l’avait pourtant éliminé de la course. Pour lui, “sa candidature est recevable dans la mesure où le Conseil constitutionnel a invalidé la candidature de « Malick GAKOU » et non celle de « El Hadji Malick GAKOU »”. Ce à quoi le Conseil constitutionnel va répondre ce qui suit dans les considérants n° 12 et 13 :
“Considérant que la demande d’El Hadji Malick GAKOU tend également à faire tirer par le Conseil constitutionnel les conséquences de l’omission de l’un de ses prénoms ; Considérant que le prénom El Hadji est certes omis dans le considérant n° 33 de la décision n° 2/E/2019, mais il figure dans les considérants précédents ; que du reste, le dispositif, qui est la partie décisoire de la décision, mentionne que c’est la candidature d’El Hadji Malick GAKOU qui est déclarée irrecevable et non celle de Malick GAKOU”.
Le dispositif de l’avis de février 2016, dans son article 3, est donc clair sur le contenu. Devant le Conseil constitutionnel, il était ainsi exclusivement question de durée du mandat.
Dans l’hypothèse où les soutiens de M. SALL voudraient, à tout prix, que le décompte des mandats soit aussi concerné par cet avis, alors on ne pourrait légitimement qu’en tirer le propos ci-après : la sécurité juridique et la stabilité des institutions s’opposent à ce qu’un mandat démocratique régulièrement fixé au moment où il a été conféré ne soit pas décompté.
En effet, en l’examinant de plus près, l’argument de l’intangibilité tel qu’exposé par le Conseil n’est finalement d’aucun secours pour éviter que le premier mandat soit décompté. La motivation sur la durée du premier mandat contient un raisonnement qui anéantit tout “non décompte”.
Les fondements argumentatifs invoqués par le Conseil sont la sécurité juridique et la stabilité des institutions. Il nous dit, dans le considérant n° 32 de l’avis que “…ni la sécurité juridique, ni la stabilité des institutions ne seraient garanties si, à l’occasion de changements de majorité, à la faveur du jeu politique ou au gré des circonstances notamment, la durée des mandats politiques en cours, régulièrement fixée au moment où ceux-ci ont été conférés pouvait, quel que soit au demeurant l’objectif recherché, être réduite ou prolongée”.
Notons, juste pour clore cette question, qu’il y a, du point de vue de la théorie constitutionnelle, relativement au principe démocratique, un aspect critiquable dans cette formule du Conseil constitutionnel. Le problème de la réduction du mandat ne doit pas être placé au même plan que celui de sa prolongation, si on s’attache rigoureusement aux implications du principe démocratique. Le peuple, en qui réside essentiellement la souveraineté, pourrait à tout moment, juridiquement, reprendre le mandat qu’il a conféré. Ceci explique, l’applicabilité immédiate des lois constitutionnelles et par suite, la nécessité de prévoir des dispositions transitoires ayant pour but de déplacer dans un futur les effets desdites lois (j’ai déjà expliqué la notion de disposition transitoire dans ce qui a précédé).
Juridiquement, la question de son mandat est donc réglée, en revanche, pas dans le sens où abonde M. Sall.
Je referme cette mise au point par quelques propos à l’endroit du peuple sénégalais.
- Sall peut annoncer qu’il se représente ou qu’il ne se représente pas, toutefois, l’essentiel, à mon sens, demeure qu’un mot d’ordre conforme à la liberté de ce peuple a toujours été : « Moom du bokk, te du tere kenn bokk« .
Or, l’enjeu prioritaire aux yeux de cet homme consiste à bloquer les candidatures qu’il ressent comme un danger à son égard à la suite de son départ de la fonction présidentielle. Nous comprenons ses peurs, somme toute, humainement concevables.
Pourtant ce n’est pas à M. Sall de retailler à sa guise les principes démocratiques ainsi que de la souveraineté du peuple sénégalais. Les enjeux dépassent les états d’âme d’un homme qui sont imputables à ses propres décisions et actes de gestion.
C’est notre dignité de peuple libre qui est dès lors questionnée par ses postures peu respectueuses.
Serigne Chouébou DIONE
France, 03 juillet 2023.