(Article proposé par Hamid Enayat, journaliste iranien basé à Paris)
Amnesty international vient de publier un rapport accablant sur le massacre de 1988 en Iran en citant les noms de hauts dirigeants du régime accusés d’être impliqués dans un terrible crime contre l’humanité resté impuni.
Le rapport de 140 pages appelle l’ONU à mener enquête indépendante sur le terrible drame au cours duquel, selon certaines estimations, quelques 37 000 prisonniers politiques ont été décimés en quelques semaines dans les prisons iraniennes.
Le rapport inédit, intitulé « les secrets sanglants », cite les membres des « commissions de la mort » qui sont toujours au pouvoir et « continuent de mener une campagne pour nier, déformer la vérité et causer du tort aux familles des victimes. »
« Ces secrets sanglants du passé de l’Iran continuent de hanter le pays aujourd’hui. Ce rapport dévoile le tissu de dénégations et de distorsions que les autorités perpétuent depuis 30 ans, à l’intérieur du pays comme à l’étranger, afin de dissimuler la vérité : elles ont fait ‘’disparaître’’ et ont supprimé de manière systématique des milliers de dissidents politiques en quelques semaines entre fin juillet et début septembre 1988 », a déclaré Philip Luther, directeur de la recherche et du travail de plaidoyer pour le Moyen-Orient à Amnesty International.
« L’ONU et la communauté internationale ont gravement manqué à leur devoir envers les familles et les victimes », a estimé Amnesty international. La Commission des droits de l’homme de l’ONU de l’époque n’a pas condamné ces agissements, tandis que l’Assemblée générale de l’ONU n’a pas saisi le Conseil de sécurité de cette situation. Les autorités iraniennes se sont ainsi senties libres de continuer de nier la vérité et d’infliger des tortures et des mauvais traitements aux familles.
« Le fait que l’ONU et la communauté internationale n’aient pas œuvré en faveur de la vérité et de la justice pour les atrocités commises par les autorités iraniennes a eu des conséquences catastrophiques, pour les victimes et leurs familles, mais aussi pour l’état de droit et le respect des droits humains dans le pays. Les autorités ne doivent plus pouvoir esquiver l’obligation de rendre des comptes pour ces crimes contre l’humanité, a déclaré Philip Luther. En l’absence de perspective de justice pour les victimes en Iran, il est d’autant plus crucial que l’ONU mette sur pied un mécanisme international indépendant, impartial et efficace afin de contribuer à traduire en justice les responsables présumés de ces crimes ignobles. »
Parce que les autorités iraniennes refusent de reconnaître les massacres, de dire aux familles quand, comment et pourquoi leurs proches ont été tués et d’identifier et de restituer les dépouilles, les disparitions forcées se perpétuent à ce jour. Leur attitude inflige des souffrances terribles aux familles des défunts. Tant qu’elles ne reconnaissent pas les faits et ne révèlent pas publiquement le sort réservé aux victimes, ces crimes contre l’humanité perdurent, a déploré l’ONG.
Depuis 30 ans, les familles des victimes sont privées du droit d’inhumer leurs proches et de faire leur deuil. Ceux qui osent rechercher la vérité et réclamer justice sont constamment en butte au harcèlement, à l’intimidation, aux arrestations et détentions arbitraires, ainsi qu’à la torture et autres mauvais traitements. La profanation et la destruction de fosses communes sont également sources de grandes souffrances.
La majorité des victimes étaient membres de l’Organisation des Moudjahidine du Peuple d’Iran (OMPI) mais il y avait aussi des centaines de prisonniers affiliés à des organisations politiques de gauche et à des groupes d’opposition kurdes.
Pendant ce temps, les responsables de ces crimes contre l’humanité échappent à la justice et certains occupent aujourd’hui des postes de pouvoir en Iran. Alireza Avaei, actuel ministre de la Justice en Iran, était procureur général à Dezful, dans la province du Khuzestan, et était chargé de participer à la « commission de la mort » dans cette ville.
Récemment, lorsque de nouveaux éléments de preuve ont émergé sur cette page sombre de l’histoire iranienne, les massacres ont été célébrés dans le pays et les personnes impliquées saluées comme des héros.
Mostafa Pour Mohammadi, ministre de la Justice de 2013 à 2017, représentait le ministère du Renseignement au sein de la « commission de la mort » à Téhéran. En août 2016, il a été cité comme s’étant vanté d’avoir joué ce rôle : « Nous sommes fiers d’avoir accompli le commandement de Dieu à l’égard de l’[OMPI] » et a ouvertement déclaré qu’il n’avait « pas perdu le sommeil pendant toutes ces années » au sujet de ces assassinats.