(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG)
« Si on arrive devant l’Elysée, on rentre dedans ». Cette phrase prononcée par un gilet jaune sur le plateau de BFMTV a fait le tour des réseaux sociaux. Elle a été reprise en boucle par les médias de masse français qui, depuis les événements survenus ce 1er décembre sur les Champs-Elysées et à l’Arc de Triomphe, tentent de discréditer le mouvement.
Je condamne avec la plus grande fermeté toute cette violence qui a émaillé ces manifestations à Paris où des casseurs extrémistes s’en sont pris aux forces de l’ordre et aux biens de simples citoyens français qui n’ont rien fait pour mériter cela. Cette violence qui a terni l’image du mouvement pourrait bien le tuer.
Et je crains que ce ne soit déjà le cas. Les scènes de guérilla urbaine auxquelles nous avons assisté ce 1er décembre pourraient en effet être une aubaine pour Emmanuel Macron dont le gouvernement est très fortement fragilisé depuis le début de cette crise. Cette violence est la seule arme dont il dispose désormais pour désamorcer ce conflit social.
En France, les médias, perçus comme l’arme du système que combattent les gilets jaunes, savent désormais qu’ils ont tout à perdre. Menacés sur le terrain, insultés, crachés et même agressés, les médias qui ont tenté en vain de se rallier aux gilets jaunes au début du mouvement ont fait volte-face. Ils savent que sans un travail de propagande médiatique extrêmement sophistiqué, le pays pourrait basculer dans une guerre civile.
J’ai pu remarquer que dans les médias français, la priorité n’est plus donnée aux manifestants du mouvement qui, il y a une semaine, ont été nombreux à s’expliquer sur les raisons de leur colère sur plusieurs plateaux de télé. Depuis le 1er décembre, tout a basculé. Les médias ont changé de tactique. Après avoir allumé le feu, ils veulent l’éteindre.
Pour étayer mes propos, permettez-moi de fournir des exemples à l’appui. Ce 07 décembre, sur le plateau de Jean-Pierre Elkabbach, l’invité n’est autre que le général Richard Lizurey. Seul le volet sécuritaire a été abordé dans ce débat. Sur le plateau, le discours du général est sans détours. « Demain la journée, (nous allons) vers un engagement de 106 escadrons sur 109 sur la totalité du territoire national, qu’il s’agisse de la métropole ou de l’outre-mer », a-t-il révélé, soulignant qu’ « il n’y a aucun précédent de cette ampleur ».
Ce jeudi, sur le plateau de « Heure des pros » sur CNews, parmi les cinq invités, aucun gilet jaune. Et parmi les invités, un ancien commandant du centre d’entraînement des forces de la gendarmerie. Sur le plateau, le discours de l’ex commandant est clair et net : les forces de l’ordre iront au contact pour éviter le pire. « Là, on a eu affaire le 1er décembre à une situation inédite. (…) Le dispositif devra être plus dynamique, aller davantage au contact direct avec les éléments les plus radicaux », s’explique-t-il.
Je ne m’attarderai point sur les exemples, car ils sont légion. Toutefois, j’ai pu noter que depuis 48 heures, les termes « drame », « violence », « casseurs », « guérillas urbaines »…ont été largement utilisés par la presse. La stratégie, je vous le dis, consiste à jouer sur la peur des Français qui, depuis le 1er décembre, ont une autre image des gilets jaunes. Ces derniers ont brusquement cessé d’être des enfants de cœur. Ils sont devenus, malgré eux, des fauteurs de trouble.
Il faut aussi souligner que les images du 1er décembre ont particulièrement fragilisé ce mouvement. Les Français, dans leur large majorité, ont totalement désapprouvé ces scènes de violence et la tentative de certains gilets jaunes de s’attaquer aux monuments historiques. Ce fut une gravissime erreur pour ce mouvement qui paie cash son manque de structuration.
Les casseurs, qui représentent une infime partie du mouvement, ne l’ont-ils pas tué ? Je ne saurais répondre à cette question. Néanmoins, j’ai la certitude totale qu’ils ont offert une belle victoire aux médias pro-système et à Macron. L’Exécutif, qui a fini par abdiquer, en renonçant aux taxes, reprend du poil de la bête, en pointant du doigt les troublions.
Depuis une semaine, je note que les médias tendent un piège au mouvement en le radicalisant. Vous paraît-il logique qu’à 48 heures d’une manifestation qui pourrait déclencher une guerre civile en France que des médias dévoilent au grand public la stratégie militaire qui va être mise en place pour briser le mouvement ? Cela s’appelle « verser de l’huile sur le feu ».
Dans cette affaire des gilets jaunes, les médias ont réussi à instaurer un climat de terreur et de défiance entre gouvernants et gouvernés, entre pauvres et riches, entre élite dominante et peuple. Et tout ceci finira par jouer clairement en faveur d’un gouvernement désaxé qui a perdu la bataille, mais pas la guerre.
Le manque de structuration du mouvement des gilets jaunes qui rassemble à la fois de vrais patriotes (de gauche comme de droite) qui luttent pacifiquement pour un changement du système et des casseurs qui veulent mettre le pays à feu et à sang est la grande faille du mouvement.
Plus le mouvement se radicalise, plus les soutiens diminuent. Plus il se radicalise, mieux c’est pour Emmanuel Macron et les médias pro-système. Il faut dire que grâce aux médias qui se sont particulièrement focalisés sur les éléments radicaux, le président français est en train de reprendre en main une situation dont il avait carrément perdu le contrôle.