(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG)
« CRS avec nous ! », « La police avec nous ! ». Qui n’a pas encore vu ces images sur les réseaux sociaux où de nombreux gilets jaunes ont tenté de rallier les CRS et la police à leur cause ? Dans certains endroits de la France, notamment à Bordeaux, on a vu des CRS soutenir le mouvement en enlevant leurs casques. Dans d’autres endroits, ils ont décliné l’invitation des manifestants, préférant rester fidèles au gouvernement en place.
Face à la pression des médias qui se sont particulièrement focalisés sur les éléments radicaux pour casser le mouvement, il risque de devenir très difficile pour les gilets jaunes de gagner du terrain. Le soutien des français aux gilets jaunes reste encore très fort, mais la diabolisation menée par la presse depuis quelques jours pourrait bien tuer le mouvement.
La violence notée dans certains endroits de la France, notamment à Paris, a fortement terni l’image du mouvement. Désormais, les critiques sont nombreuses à leur égard. Et cette situation, tant qu’elle durera, jouera clairement en faveur d’un gouvernement totalement dépassé par les événements.
J’avais souligné, dans ma dernière analyse, cette tentative des médias de radicaliser le mouvement. C’est d’ailleurs le seul moyen pour eux de le discréditer. En France, certains médias qualifient les gilets jaunes de « fachos », « d’Antifas ». D’autres (plus manipulateurs) veulent nous faire croire qu’il y a une infiltration d’islamistes dans le mouvement.
Les scènes de violence qui ont tourné en boucle depuis l’acte 3 du mouvement, c’est-à-dire ce 1er décembre, ont été une véritable aubaine pour le gouvernement en place, mais également pour les médias de masse qui avaient fortement et ouvertement fait campagne pour Emmanuel Macron.
Sans ces scènes de violence, le quinquennat de Macron aurait déjà pris fin. Car, il faut dire qu’à son retour du G20, en Argentine, le gouvernement n’avait plus le contrôle de la situation. D’ailleurs, le discours d’Edouard Philippe, annonçant la suspension des taxes, était un signe évident que Macron et ses collaborateurs étaient à genoux.
Ces scènes de guérilla urbaine attribuées à des casseurs extrémistes qui cherchent le chaos par tous les moyens ont atténué la vitalité du mouvement. Ces casseurs, qui représentent une infime partie des milliers de gilets jaunes non violents et pacifistes, doivent être identifiés et tenus à l’écart. Leur présence est une nuisance totale à ce projet sur lequel se joue le destin politique de la France.
Face à cette violence gratuite qui a affaibli le mouvement, il faut bien reconnaître que Macron est en train de reprendre le contrôle de la situation. D’ailleurs, si vous remarquez bien, le discours de l’exécutif n’est plus focalisé sur les revendications des gilets jaunes, mais plutôt sur les éléments radicaux que les médias appellent les « casseurs ».
Ce discours très axé sur la sécurité des institutions de la République et des patrimoines historiques français a légitimité un déploiement policier spectaculaire. On se croirait dans un pays en guerre ! D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que ce déploiement a été qualifié d’ « exceptionnel » par l’actuel premier ministre français.
Pour avoir une idée sur ce déploiement, voici quelques chiffres : sur les 60 compagnies de CRS que compte la France, 55 ont été déployées ; 100 escadrons de la gendarmerie sur les 109 ; 89 000 policiers mobilisés sur l’ensemble du territoire français. Dans la presse, on parle de 12 000 fonctionnaires mobilisés.
Cette stratégie qui consiste à installer une psychose dans la tête des citoyens français est d’une extrême efficacité. Jouer la carte de la radicalisation du mouvement a permis aux médias et à l’Exécutif de nous préparer au pire, en nous servant le même discours : les gilets jaunes sont majoritairement des extrémistes.
Je souligne que cette stratégie a également permis de diviser pour mieux régner. Car, en plus d’une légère baisse au niveau des soutiens aux gilets jaunes (de 75% à 68%), les médias ont tenté en vain de promouvoir les gilets rouges ou foulards rouges qui sont nombreux à dénoncer la violence dans les rangs des gilets jaunes.
Aujourd’hui, la seule chose qui peut provoquer une chute rapide de Macron est la participation des forces de l’ordre (police, CRS, armée) dans ce mouvement, tel que ce fut le cas lors des printemps arabes de 2011 quand des policiers tunisiens et égyptiens avaient rejoint le peuple exigeant le départ sans condition de leurs dirigeants.
Je ne pense pas que ce scénario puisse se réaliser en France. Toutefois, la répression policière notée ce samedi 8 décembre dans certaines villes du pays, accompagnées d’un nombre très important d’interpellations (1723) et de personnes placées en garde à vue (1220) pourraient bien changer la donne.
Je me souviens de la réaction d’Emmanuel Todd qui, ce 3 décembre, évoquait un « coup d’Etat ». Pour l’heure, rien ne prédit que nous y allons car les institutions de la République restent encore très fortes. Cependant, cette stratégie de violence voulue par l’Exécutif et ses médias afin de briser le mouvement pourrait se retourner contre Macron.
Les policiers, les militaires et les CRS qui sont déployés sur le terrain ne sont nullement des robots. Ce sont des êtres humains (pères, mères de famille, époux ou épouses) vivant dans une société qui va très mal. Ils souffrent probablement autant voire plus que les gilets jaunes.
Jusqu’ici, ils obtempèrent aux ordres émanant du pouvoir. Cependant, si jamais ils rejoignent le peuple (ce qui peut bien arriver), ce sera la fin de Macron. Emmanuel Macron a bien compris cela et c’est pour cette raison particulière qu’il a déjeuné avec des policiers et des CRS ce lundi 3 décembre à Paris.