(Une analyse du journaliste, Cheikh DIENG)
La France peut-elle toujours continuer à donner des leçons de démocratie au reste du monde ? Je pose cette question après avoir pris connaissance du bilan des arrestations au Venezuela, pays d’Amérique Latine très souvent pointé du doigt pour atteinte aux droits de l’homme et à la liberté d’expression.
En effet, ce lundi, l’ONG Foro Penal du Venezuela a publié le nombre d’arrestations depuis le 21 janvier, date à laquelle ont commencé les manifestations pour le départ du président Nicolas Maduro. En une semaine de crise, le bilan est très lourd. L’ONG compte 791 arrestations. Rien que dans la capitale à Caracas, 171 personnes ont été arrêtées par les forces de l’ordre.
Nous parlons bien du Venezuela, un pays qui traverse une crise politique sans précédent marquée ce 23 janvier par le discours d’auto-proclamation de « Président par intérim » de l’opposant Juan Guaido. En effet, depuis une semaine, les dirigeants occidentaux ont haussé leurs voix, allant jusqu’à accorder à Nicolas Maduro un délai de 8 jours pour convoquer des élections, sans quoi ils reconnaîtront Juan Guaido comme président légitime.
En France, le président Emmanuel Macron, qui fait face à une colère populaire d’une rare violence, (la plus grave depuis Mai 68, selon certains analystes politiques), n’a pourtant pas manqué de se prononcer sur la crise politique du Venezuela, un pays qui se trouve à des milliers de kilomètres de la France.
Dans un message sur son compte twitter publié ce 24 janvier, Emmanuel Macron n’y pas allé de main morte. « Après l’élection illégitime de Nicolas Maduro en mai 2018, l’Europe soutient la restauration de la démocratie. Je salue le courage des centaines de milliers de Vénézuéliens qui marchent pour leur liberté », écrit le président français.
Le 26 janvier, face au bras de fer de plus en plus tendu entre pouvoir et opposition, Macron profère ouvertement des menaces contre Maduro. « Le peuple vénézuélien doit pouvoir décider librement de son avenir. Sans élections annoncées d’ici 8 jours, nous serons prêts à reconnaître Juan Guaido comme ‘Président en charge’ du Venezuela pour enclencher un processus politique. Nous y travaillons avec nos partenaires politiques », prévient-il.
J’ai souligné au début de cet édito que les protestations contre le régime vénézuélien, considéré comme l’une des dictatures militaires les plus tyranniques et les plus despotiques de l’Amérique Latine, a fait quelque 791 arrestations depuis le début de la crise, dont 171 à Caracas dans la capitale du pays. Alors, qu’en est-il de la France, ce beau pays, très prompt à distribuer des bons et des mauvais points, à donner des leçons de bonne gouvernance et de démocratie au reste du monde, notamment aux Africains et aux Sud-américains ?
Ce que Macron n’a peut-être pas compris est que l’image de la France, pays démocratique, a été fortement écornée depuis la crise des Gilets Jaunes. Si au Venezuela, l’on compte déjà 791 arrestations, en Hexagone, le bilan est pire. Pour l’heure, difficile d’établir un bilan fiable compte tenu de la guerre des chiffres entre Gilets Jaunes et gouvernement. Toutefois, je tiens à rappeler que rien que pour l’acte 4 du mouvement, plus de 1 000 personnes avaient été arrêtées dans Paris. Si l’on compte le nombre d’arrestations dans les autres villes du pays, le bilan devient extrêmement lourd.
Je tiens également à souligner que le mouvement des Gilets Jaunes a battu un record d’incarcérations. Début janvier, plusieurs médias en France, dont RTL, avaient fait état de 216 incarcérations. En s’attaquant au Venezuela, Macron n’était peut-être pas informé que c’est sous son mandat que la France a connu un record d’incarcérations dans un mouvement social.
Autre détail intéressant. Emmanuel Macron s’est joint à l’Allemagne d’Angela Merkel et à l’Espagne de Pedro Sanchez exigeant du gouvernement vénézuélien qu’il convoque des élections dans un délai de 8 jours. Et alors, pourquoi ne l’a-t-il pas fait en début décembre lorsque l’opposition française (à gauche et à droite) exigeait des élections anticipées pour sortir de la crise des Gilets Jaunes ?
Il ne s’agit en aucun cas de défendre le gouvernement de Nicolas Maduro. J’estime, tout comme Emmanuel Macron, que le temps est venu pour que le successeur d’Hugo Chavez dont le pays traverse une crise économique et social sans précédent (une inflation qui a dépassé 1 000 000%, environ 10% de sa population en exil) rende le tablier, ne serait-ce que pour éviter une guerre civile dans le pays.
Toutefois, je pense que Macron (malgré toute l’estime que j’ai pour lui) n’est, en tout cas pour le moment, pas l’homme le mieux placé pour donner une quelconque leçon de démocratie à qui que ce soit. Il ferait mieux de s’occuper des problèmes d’un peuple français à bout. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les dirigeants du Venezuela ont demandé, ce lundi, à Macron et à son gouvernement de s’ « occuper de leurs gilets jaunes ».