(Une analyse du journaliste, Cheikh DIENG basé en France)
Macky Sall est Haalpulaar, Sonko a des origines Joola et Idrissa Seck est Wolof. Cette phrase qui retrace les origines ethniques des trois candidats les plus populaires de l’élection présidentielle 2019 semble vêtir un caractère tout à fait raciste et provocateur. Non, absolument pas. Mon intention n’est point de provoquer, mais plutôt de revenir sur une élection qui, il faut oser le dire, a été profondément marquée par la dangereuse question ethnique.
Pour le reste de ma vie, je m’opposerai farouchement à toute tentative d’ethniciser le paysage politique sénégalais. En effet, j’ai la conviction totale que Sénégal est un et indivisible et nous sommes, nous les habitants de ce beau pays, (quelle que soit notre ethnie ou notre religion), des citoyens égaux devant la Loi.
Depuis l’élection de Macky Sall, nombreux ont dénoncé, à maintes reprises, la question de l’ « ethnicisation » du paysage politique de notre pays au profit d’une seule ethnie (Haalpuular) à laquelle appartient le président sénégalais. Si je n’accorde aucune importance à cette affirmation d’une gravité extrême, j’ose admettre qu’il est parfois difficile de voir le contraire.
En 2015, lors de mon passage au consulat du Sénégal pour le renouvellement de mon passeport, j’ai personnellement constaté la présence assez forte de fonctionnaires d’ethnies haalpuular dans pratiquement toutes les administrations. A ma sortie du consulat, je me suis posé une question : le pouvoir sénégalais a-t-il été confisqué par une ethnie qui se partage le gâteau sur le dos du peuple ? Je veux bien voir le contraire, mais la réalité est assez troublante.
Je n’entrerai pas dans des détails compte tenu du caractère très sensible de ce sujet. J’irai tout droit au but pour tenter de prouver qu’il existe effectivement un véritable vote ethnique ou identitaire qui commence à prendre forme dans ce pays. Si tel est le cas, ne soyons pas surpris que l’échec politique de nos dirigeants n’exacerbe une tension sociale déjà délétère qui nous mènera inéluctablement vers une confrontation ethnique.
La présidentielle a été un laboratoire. En effet, les premières tendances de la présidentielle du 24 février 2019 sont frappantes. Comme par hasard, dans les fiefs Wolof (Touba, Thies…), Idrissa Seck règne en maître. Dans ceux Haalpulaar (notamment Matam), Macky inflige une claque à ses opposants et à Ziguinchor, fief Joola, Ousmane Sonko écrase ses rivaux.
Est-ce le fruit du hasard ? Non, je ne le pense pas. Ayant moi-même refusé à plusieurs reprises d’admettre l’idée que le vote sénégalais pourrait devenir un jour « identitaire ou ethnique», je ne peux que constater cet état de fait. Un état de fait qui me pousse d’ailleurs à me poser ces trois questions.
Si Ousmane Sonko n’avait pas du sang Joola dans ses veines, arriverait-il à réaliser un tel exploit (19 948 voix) à Ziguinchor, surclassant Robert Sagna et Abdoulaye Baldé ? Si Macky Sall n’appartenait pas à l’ethnie Pulaar, arriverait-il à rafler la mise à Matam (92650 voix) ? Idrissa Seck, dont la carrière politique semblait avoir définitivement pris fin, réussirait-il à retomber sur ses pattes à Touba, à Thies et dans d’autres villes à majorité Wolof s’il n’était pas Wolof ?
Je pense sérieusement que l’ « ethnicisation » de notre paysage politique (que je considère comme la plus grande menace actuelle qui guette notre pays et qui risque de saper notre vivre-ensemble) est un danger que nul ne doit minimiser et que tout un chacun doit fermement combattre.
Je riens à rappeler que notre premier président (Senghor) n’était ni Wolof, ni Musulman (dans un pays qui compte plus de 90% de musulmans). Pourtant, il a su diriger notre pays tout en nouant des liens très étroits avec des sénégalais de confrérie et de d’ethnie différentes.
Ce modèle doit être préservé pour le bien de notre pays et des générations à venir. Le caractère ethnique qu’a pris cette élection est pour le moment la seule réalité qui s’est dégagée des urnes. Il faut oser le dire : pour bon nombre de Sénégalais, l’appartenance ethnique a pris le dessus sur le choix utile, ce seul choix qui peut sortir notre pays de l’ornière.
Edito signé : Cheikh Tidiane DIENG, journaliste et rédacteur en chef du site d’information www.lecourrier-du-soir.com
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