(Une analyse du chercheur Sidy Touré basé aux Etats-Unis)
Depuis que la très réputée radio britannique, BBC, a publié son documentaire sur le pétrole du Sénégal, c’est le cafouillage total au sommet de l’État. En effet, c’est Macky Sall, dernière ligne de défense, lui-même qui est passé directement au front pour blanchir son frère, Aliou, trempé sur une affaire qui remonte à une douzaine de milliards de dollars.
C’est, dit-il, des ennemis qui ne visent que la déstabilisation du pays vu ses potentialités minières. S’ensuivait le même jour, la fête du Korité, un point de presse aussi commandité par le Président. Pour les esprits avertis, le gouvernement titube et ne semble pas, pour l’instant, avoir convaincu l’opinion nationale sur cette affaire qui rappelle l’épisode Karim Wade.
Les révélations de BBC, si avérées, représentent un carnage financier mais en même temps le plus grand scandale économique de l’histoire du pays qui ne s’arrête pas seulement au frère du Président. C’est une longue chaîne de responsabilité qui passe par les ministères et directions concernés pour mener directement au cœur de l’exécutif, c’est-à-dire la personne du Président.
Nous sommes devant des décisions graves provenant du chef de l’exécutif impactant l’avenir du pays sur le très long terme par la validation de contrats totalement contre les intérêts supérieurs de la nation. Le Président de la République demeure le garant de ces intérêts à tout moment et un manquement surtout volontaire pour leur préservation peut constituer un cas de haute trahison.
Pour éviter un long développement, rappelons d’abord seulement que la société dont il s’agit est nouvellement créée (2012) par un homme, Frank Timiss, dont la simple évocation du nom donne des frissons et qui a une alliance avec le frère de Macky Sall. Sur le plan de la gestion, nous avons déjà un premier problème de conflit d’intérêt qui devait attirer l’attention du décideur. Encore est-il que la filiale, créée à Dakar, est plus ancienne que la maison mère, cela ne peut se passer que sous le soleil africain !
Ensuite, l’attribution du contrat n’a pas suivi la voie recommandée d’un appel d’offre qui éliminerait directement la société bénéficiaire. Un dossier d’appel d’offre établis les conditions précises à remplir pour pouvoir même y participer. Ces conditions élimineraient directement Frank Timis avant ou dès l’ouverture des plis. Les appels d’offres ont au moins ces exigences en commun : l’aspect technique, les aspects financiers et l’expérience dans le domaine dont les résumés versés dans le dossier ont leur importance.
Enfin, l’enquête de l’Inspection Générale de l’État, un corps d’élites niché au palais de la république et sous les ordres du Président, vient enfoncer non pas Aliou mais Macky Sall lui-même, puisque prouvant qu’il aurait agi en toute connaissance de cause pour ne pas dire en mauvaise foi d’où la nécessité pour le pouvoir de nier son existence. Mais selon les tenants du pouvoir, ce rapport de l’IGE, commandité par le Chef de l’État en 2012 par ordre de mission datant du 30 mai 2012 sous le numéro PR.CAB.IGE 035 remplaçant celui du 15 mai 2012 avec le numéro PR.CAB.IGE 029 n’a jamais était reçu par le Président. La révélation est faite sept ans après ! Et pourtant des extraits d’enquête de ce même rapport circulent sur le web grâce à certains journalistes. Notons que l’acte de faire disparaître des preuves avec ou sans ordre préalable pour désorienter une action judiciaire demeure illégal.
Tous ces éléments réunis font que l’exécutif est sens dessus sens dessous depuis l’éclatement de ce scandale. La pression sur l’État monte crescendo, l’exécutif, qui répondait souvent par un silence méprisant, joue dans la diversion, les manœuvres et les manipulations pour sauver la face.
Ainsi, il est demandé une enquête sur le rapport de l’IGE en question alors que le problème se situe au niveau du décret d’approbation signée par le Président pour la société de Frank Timis. Donc, le pourquoi de la signature de ce décret et de tous les documents administratifs liés devrait être le cœur de l’enquête avec comme centre de gravitation l’Assemblée nationale dont l’objectif serait de déterminer si oui ou non nous avons affaire à un cas de haute trahison qui pourrait mettre fin au règne de Macky Sall.
Par ailleurs, si nous étions vraiment dans un état de droit, le principal accusé serait déjà démis de toutes ses fonctions nominatives et mis à la disposition de la justice. Nous sommes devant un scandale financier, lourd de 10 milliards de dollars, c’est-à-dire des milliers de milliards de FCFA et ce dans un pays très pauvre où les gens meurent encore pour de petits péchés. Ce scandale peut bien cacher une haute trahison de la part du président, des ministres et hauts fonctionnaires concernés, de la corruption ou de l’enrichissement sans cause pour le frère, c’est pourquoi le peuple demande légitiment et légalement des comptes.
La constitution du Sénégal, portée par l’actuel Président par référendum, précise que les ressources naturelles du pays sont la propriété exclusive des citoyens. Elles doivent alors bénéficier à toute la population et non à un groupe de personnes, une famille ou un clan. Mais la voie empruntée par le pouvoir vise à divertir le peuple et à désorienter l’opinion. L’existence ou non d’un quelconque rapport de l’IGE n’intéresse point le peuple mais la responsabilité directe ou indirecte du Chef de l’État qui est supposé garantir la sécurité des personnes et des biens sur l’ensemble du territoire national et celle de son frère cadet. Si sa responsabilité est engagée, c’est de la haute trahison vu son parcours politique, sa formation mais le niveau d’information auquel il se situe au moment des faits.
Les pouvoirs législatif et judiciaire vont-ils faire leur travail ? En tout cas, ce serait à l’honneur du peuple sinon il appartiendra à la justice internationale de prendre un jour le relais pour situer les responsabilités des uns et des autres. Un tel dispositif juridique (Foreign Corrupt Practices Act) existe aux États-Unis, un pays qui prône la transparence dans les contrats publics internationaux.
Je vais clore par dire qu’il n’existe surtout pas une quelconque «malédiction du pétrole» mais celle d’un leadership Africain marqué par le manque de patriotisme, le complexe d’infériorité, et l’égoïsme qui confondent biens publics et personnels de même qu’intérêts généraux et individuels. Le cas de la Norvège en est non seulement un témoin frappant mais aussi un cas d’école.
Vive le Sénégal, vie l’État de droit.
Sidy Moukhtar Touré, USA.