Lecourrier-du-soir.com vous propose une brillante analyse du journaliste Cole Stangler, correspondant du très prestigieux média britannique The Guardian en France. Une analyse très intéressante sur la grève générale du 5 décembre, conséquence d’un désaccord profond entre Macron et une partie du peuple français sur la fameuse réforme des retraites.
L’article a été publié ce 4 décembre par The Guardian.
Très bonne lecture.
« Macron en est à sa dernière tentative de détruire le filet de protection des Français. Demain, le peuple va résister.
Cette grève générale pourrait être la plus importante en France de ces dernières années. En effet, répondant aux appels des syndicalistes contre la réforme de retraite proposée par Emmanuel Macron, une importante partie du monde du travail a décidé de déserter les lieux de travail demain (cheminots, juges, infirmiers, enseignants, étudiants).
Alors que la réforme n’est pas encore entrée en vigueur, le gouvernement d’Emmanuel Macron a fait une proposition qui marquerait la plus profonde réforme de retraite en France depuis sa création au lendemain de la seconde Guerre Mondiale. Cette réforme pourrait en effet faire avancer l’âge de retraite qui passerait de 62 à 64 ans, changer le calcul des avantages du système des retraites et fusionner les 42 régimes spéciaux en un seul, ce qui fera perdre des avantages à des millions de Français.
Les autorités ont défendu leurs ambitions avec le langage du républicanisme français, promettant de mettre en place un « système universel » dans lequel tout le monde est traité de manière égale. Mais, ce qu’elles oublient de mentionner est que le nouveau système serait pire que celui en vigueur.
Néanmoins, les réformes de Macron permettront d’économiser de l’argent car sous le système actuel, les autorités font face à un déficit estimé entre 8 milliards et 17 milliards d’ici 2025. Mais, elles porteront un coup dur à l’un des meilleurs systèmes de retraites au monde. En effet, en France, seuls 7% des personnes âgées courent le risque de vivre dans la pauvreté. C’est le taux le plus bas de l’Union Européenne, beaucoup plus bas que celui de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne (19%). C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles la France détient une espérance de vie un peu plus élevée que ces derniers pays cités.
Comme l’on pouvait s’y attendre, le gouvernement français a tenté de décrédibiliser le mouvement en le traitant de « corporatiste », ce qui a suscité la colère des travailleurs et des syndicats radicaux qui militent encore en faveur du maintien de leurs privilèges. Les appels à la mobilisation, il faut le souligner, sont venus des syndicats de transports ferroviaires qui maintiennent tout de même quelques avantages malgré tout.
Mais, ces appels à la mobilisation se sont étendus vers d’autres secteurs : l’éducation, les hôpitaux, la poste et EDF. Des étudiants et des groupes de Gilets Jaunes cherchant à revigorer leur mouvement de protestation contre le gouvernement se sont joints à la cause. Et les manifestants semblent désormais partager un point commun car d’après un sondage publié ce mercredi, 6 Français sur 10 soutiennent la grève.
Le soutien au mouvement a été provoqué par le bilan économique général de Macron. Et la réforme des retraites n’est que sa dernière tentative de tailler sur les avantages d’un Etat-providence. En effet, depuis sa prise de fonction en 2017, le président n’a cessé de tailler sur les avantages de l’assurance-chômage et a facilité le licenciement aux entreprises tout en contrôlant le coût des services publics.
Pendant ce temps, Macron a remplacé l’impôt sur la fortune (qui s’appliquait jadis à tous ceux qui disposaient de biens estimés à 1,3 millions d’euros) par l’impôt sur la fortune immobilière. Pendant que les Gilets Jaunes tentent de se faire entendre de manière dramatique, les Français ordinaires sont de plus en plus obligés à faire des sacrifices au moment où les plus riches se partagent le gâteau du pouvoir.
S’il y a un fondement qui tient le Macronisme (une vision qui lie ces nombreuses réformes), c’est l’idée que la France doit être plus attractive pour le monde des affaires. Ceci a toujours été une obsession du lobby des affaires qui gèrent la France, le MEDEF. Et, cette idée ne s’est accélérée que depuis les années 1980 lorsque les voisins de la France ont commencé à poursuivre des réformes favorables au monde des affaires à un rythme plus rapide.
Regrettant n’avoir jamais trouvé son Reagan ou sa Thatcher, l’élite française partage désormais le sentiment que le pays a connu une régression sur le plan économique. Elle déplore le fait qu’il y ait trop de bureaucratie, trop de règles favorables aux travailleurs, que les dépenses publiques injustes évincent le secteur privé. Le système de retraite est révélateur de ces frustrations : là où les retraités voient des avantages obtenus au bout de plusieurs années de dur travail, les patrons et les réformateurs y voient un dinosaure coûteux alimenté par les impôts sur les salaires.
Cependant, il est difficile d’éprouver trop de sympathie envers les mécontents. Car après tout, la France reste toujours la 6ème puissance économique du monde et les riches n’ont aucune difficulté à se faire de l’argent dans ce pays. En effet, la France compte 40 milliardaires et l’année dernière, les entreprises françaises ont rapporté plus de profits aux actionnaires que dans n’importe quel autre endroit en Europe.
Mais, surtout, la France peut se vanter d’être le meilleur Etat-providence au monde. C’est la raison pour laquelle le taux de pauvreté dans le pays est plus bas que celui des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne car le filet de protection a permis d’amortir le coup de la dernière crise économique, une leçon que les autorités feraient bien de se rappeler au moment où l’économie mondiale ralentit.
On se moquerait des manifestants français en les qualifiant de défenseurs irréalistes et acharnés d’un modèle social démodé et qui a besoin de changer. Ce qui est encore plus démodé en 2019 est l’insistance de Macron à vouloir tailler sur un système social efficace et populaire. Pour cela, il suffit juste de jeter un coup d’œil sur l’état des pays que l’élite économique française admire tant.
Sur le papier, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne pourraient être économiquement plus compétitifs que la France. Mais, à quel prix ? Peut-on dire que les réformes néolibérales entreprises (aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne) ont fait de ces deux pays des endroits où il fait bon vivre ?
Dans ce cas, comme dans beaucoup d’autres d’ailleurs, les gens dans les rues de la France transporteront plus de sagesse que l’Assemblée nationale ou l’Elysée. L’Etat-providence de la France est un succès de classe internationale qui devrait être protégée et qui ne devrait pas être creusée au profit de l’épargne. »
Cet édito a été intégralement traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com.
Pour lire l’édito dans sa version originale en anglais, cliquez ici : The Guardian