Bataille d’Idleb : la Turquie impuissante et isolée face au soutien russe au régime de Bachar el-Assad

(Une analyse de Kareem Salem)

L’impuissance de l’armée turque face aux frappes conjointes russo-syriennes dans la province d’Idleb souligne à quel point le président turc, Recep Tayyip Erdogan, est plus isolé que jamais sur la scène syrienne. Il convient de noter que l’armée syrienne a infligé à la Turquie ses pires pertes humaines depuis le début du conflit. Le 27 février, une frappe aérienne des forces du président syrien, Bachar el-Assad a tué au moins 33 soldats turcs dans la province d’Idleb. En réponse, M. Erdogan a pris la décision de lancer une offensive militaire contre l’armée syrienne d’Assad intitulée « Bouclier du Printemps ».

Ankara appelle à la solidarité de l’Otan.

Face à la situation précaire de l’armée turque à Idleb, où près de dix mille soldats turcs ont été déployés sans couverture aérienne puisque la Russie contrôle l’espace aérien syrien, M. Erdogan a appelé à la solidarité de l’Alliance transatlantique en invoquant l’article 4 de l’Otan. Celui-ci permet à l’un des membres d’exhorter ses alliés à se consulter lorsque son intégrité territoriale, son indépendance politique ou sa sécurité est menacée.

Cependant, les relations entre la Turquie et ses alliés de l’Otan ne sont pas au beau fixe depuis que M. Erdogan a choisi de mener une politique diplomatique plus réaliste et pragmatique. Cela a été notable lorsque le président turc a pris la décision de signer un contrat de 2,5 milliards d’euros avec la Russie en septembre 2017 pour la fourniture de missiles russes antiaériens S-400, qui sont incompatibles avec le system de défense de l’Otan. Les trois incursions de la Turquie dans les territoires contrôlés par les forces kurdes en Syrie et la remise en question des frontières maritimes en Méditerranée orientale ont souligné la détermination de M. Erdogan à mettre en péril les intérêts stratégiques de ses alliés occidentaux. Étant donné que la Turquie est devenue un partenaire encombrant pour l’Alliance, il est peu probable que ses alliés envisagent d’apporter un soutien militaire conforme à la gravité de la situation.

Les groupes extrémistes pro-turcs posent un problème.

La présence d’organisations djihadistes soutenant les forces turques contre le régime syrien constitue un véritable obstacle au soutien des pays occidentaux à la Turquie. En effet, la province d’Idleb est le dernier bastion djihadiste en Syrie.

La principale force est Hayat Tahrir al-Cham (HTC), anciennement connu sous le nom de Front al-Nosra, l’ancienne branche syrienne d’al-Qaïda, qui comprend des djihadistes syriens et étrangers. Le rival de HTC est l’actuelle branche armée d’al-Qaïda en Syrie, les Gardiens de la Révolution (Tanzim Hurras ad-Din), qui comprend des djihadistes syriens et d’anciens djihadistes des guerres en Irak et en Afghanistan. Il convient également de noter qu’il existe aussi le groupe d’Omar Omsen, qui comprend plusieurs dizaines de djihadistes français.

L’absence d’une politique claire des pays occidentaux concernant le rapatriement de leurs djihadistes étrangers pour qu’ils soient jugés pour leurs atrocités semble actuellement signifier, dans le contexte de l’offensive du régime de Damas dans la province d’Idleb, que les alliés turcs de l’Otan ne seraient pas opposés à ce que ces combattants meurent sur la ligne de front. Dans le cas la France, trois cent cinquante djihadistes français se trouvent dans l’enclave d’Idleb, alors que l’Allemagne en compte plus de soixante. Étant donné que la majorité de l’opinion publique française est opposée au rapatriement des combattants français en Syrie et qu’en Allemagne l’extrême droite progresse, il serait alors dans l’intérêt des gouvernements des deux pays que ces combattants ne reviennent pas.

Toutefois, si les combats entre les forces turques et syriennes persistent et s’intensifient, il est possible qu’ils provoquent une nouvelle catastrophe humanitaire. Mécontent du manque de soutien, notamment des pays européens, M. Erdogan a pris la décision, le 28 février dernier d’ouvrir les frontières de la Turquie avec l’Union européenne.

Si l’Europe veut devenir un acteur géopolitique de premier rang, elle ne peut plus se permettre d’être otage des menaces et des initiatives du chef de l’État turc. En ce sens, l’envoi de nouveaux garde-côtes et gardes-frontières validé le 2 mars par l’agence européenne de contrôle des frontières Frontex est nécessaire pour maintenir la souveraineté territoriale de la Grèce et de la Bulgarie.

Perspective

À l’heure actuelle, la Turquie est clairement en position de faiblesse dans le nord-ouest de la Syrie. Le lundi 2 mars, les forces du régime Assad ont réussi à reprendre la ville stratégique de Saraqeb aux forces rebelles et turques. Saraqeb est d’une importance stratégique car elle est située à la jonction de deux autoroutes clés : la M5, qui relie la capitale Damas à la grande ville d’Alep, et la M4, qui relie Alep à la province côtière de Lattaquié, autre bastion du régime Assad.

En froid avec ses alliés de l’Otan et confronté à la force des frappes conjointes russo-syriennes, le président turc aura la difficile tâche de convaincre le président russe, Vladimir Poutine, le jeudi 5 mars, d’engager le Kremlin dans une trêve durable dans la province d’Idleb.