(Une analyse de Kareem Salem)
Le président irakien Barham Saleh a nommé Adnane Zorfi au poste de Premier ministre en mars dans l’espoir de mettre fin à une crise politique qui dure depuis la démission du Premier ministre Adel Abdel-Mehdi fin novembre 2019. M. Zorfi aura jusqu’à 30 jours pour former un cabinet et obtenir la confiance du Parlement.
Face au défi de contenir la propagation de l’épidémie de coronavirus (Covid-19), le nouveau Premier ministre aura également la lourde tâche d’équilibrer les relations de Bagdad avec Washington et Téhéran. Depuis cette année, les tensions entre Washington et Téhéran, y compris les milices chiites alliées à l’Iran en Irak, ont considérablement augmenté depuis la mort du général iranien Ghassem Soleimani, le chef de la Force Al-Qods des gardiens de la révolution, et de son lieutenant en Irak, Abou Mehdi al-Mouhandis.
L’Iran : un partenaire économique indispensable
À l’heure où l’Irak est en phase de reconstruction après deux guerres civiles au cours desquelles les autorités irakiennes ont vu une partie du pays occupée par les djihadistes de l’organisation État islamique (OEI) jusqu’en 2017, les relations étroites développées avec le régime iranien depuis la chute du dictateur Saddam Hussein sont essentielles pour la reconstruction de l’Irak.
Il convient de noter que l’Iran est le troisième partenaire commercial de l’Irak après la Turquie et la Chine. Les échanges commerciaux entre les deux pays s’élèvent aujourd’hui à 12 milliards de dollars par an. Le régime iranien est un important fournisseur d’électricité et de gaz à l’Irak. Les importations de gaz iranien représentent 15% de la consommation quotidienne d’électricité du pays. L’Iran est également un important investisseur dans le secteur du tourisme irakien. Les autorités iraniennes ont investi lourdement dans les villes saintes chiites de Kerbala et Najaf pour promouvoir le tourisme religieux.
Washington voit d’un mauvais œil ces développements
Au vu du fait que sous la présidence de Donald Trump, les États-Unis se sont retirés de l’accord de 2015 sur le programme nucléaire iranien et ont rétabli toutes les sanctions économiques afin de mettre le régime iranien à genoux pour réduire l’influence déstabilisatrice de l’Iran au Moyen-Orient, il n’est guère surprenant que la Maison-Blanche veuille briser les relations économiques, politiques et sécuritaires développées entre l’Iran et l’Irak.
Depuis le 5 janvier 2020, M. Trump est devenu plus menaçant envers l’État irakien après que le Parlement irakien ait adopté une résolution demandant l’exclusion des troupes étrangères sur le territoire irakien. En effet, M. Trump reste déterminé à appliquer des sanctions économiques sévères à l’Irak si les autorités mettent en œuvre cette mesure.
L’Irak est vulnérable aux menaces de la Maison-Blanche. Il convient de noter que les réserves de devises étrangères de l’Irak se trouvent à New York. L’administration Trump envisage d’empêcher l’accès des autorités irakiennes à ces fonds si la résolution parlementaire est mise en œuvre.
Dans un contexte de chute des prix du pétrole et d’effondrement de la demande mondiale d’or noir, le manque d’accès aux réserves de devises étrangères pourrait être dévastateur pour l’économie irakienne. Cela pourrait provoquer une crise économique profonde, étant donné que les autorités irakiennes ont également suspendu tout commerce avec l’Iran, qui est devenu un des principaux foyers de l’épidémie de Covid-19 dans le monde. Il est donc clair que dans sa phase de reconstruction, le nouveau Premier ministre ne peut se permettre que l’Irak perde ses relations avec l’administration Trump, car cela pourrait affecter la stabilité économique, politique et sécuritaire du pays.
Cependant, la confiance du Parlement dans le nouveau Premier ministre est loin d’être assurée. La coalition Al-Fatih, la deuxième force en importance au Parlement, a qualifié sa nomination d’anticonstitutionnelle et menace d’empêcher l’exercice de son mandat.
Pour les forces parlementaires chiites pro-iraniennes, le passé de M. Zorfi le condamne à leurs yeux. Le nouveau Premier ministre irakien possède la citoyenneté américaine après avoir été contraint à l’exil après la révolte de 1991 contre Saddam Hussein, pour ne revenir qu’après la chute du chef baasiste en 2003.
Le rôle des puissances européennes ?
Les États européens, notamment la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont des intérêts considérables en Irak. Ces intérêts se concentrent sur la lutte contre la résurgence de l’OEI, la stabilisation du pays et l’amélioration des conditions de vie afin de réduire le flux de réfugiés vers l’Europe.
Étant donné que ces puissances européennes sont actuellement confrontées à la crise de l’épidémie de Covid-19, il sera important, une fois l’épidémie passée, qu’elles poursuivent leurs efforts diplomatiques pour dissuader l’administration Trump d’accroître la pression économique sur l’Irak, surtout si un bloc parlementaire pro-iranien parvient à former un gouvernement pendant cette période.
Il est important que les États européens impliqués dans la coalition anti-OEI soulignent l’intérêt qu’ils partagent avec Bagdad pour empêcher la résurgence de ce groupe. En effet, les pays européens de la coalition anti-OEI sont importants pour déloger les cellules djihadistes clandestines du groupe. La France a notamment souligné les répercussions possibles du retrait des forces étrangères dans la lutte contre l’OEI. Il est donc dans l’intérêt de Bagdad de maintenir les forces étrangères.