(Une analyse d’Abdennour Toumi, expert au Centre d’Etudes Stratégiques sur le Moyen-Orient)
Très bonne lecture
« En s’efforçant d’imposer « la loi et l’ordre » au Mali, le président français, Emmanuel Macron, à l’instar de son prédécesseur François Hollande, agit en commandant en chef. En effet, lors de son investiture en 2017, Macron a rendu visite aux troupes françaises au Mali de la même que Hollande avait déclenché l’Opération Serval de 2013 pour bombarder les groupes terroristes basés dans le Sahel.
Ainsi, à la fin du confinement, le premier voyage d’Emmanuel Macron en dehors du continent européen l’a amené en Mauritanie, pays où le président français a rencontré les leaders du G5 Sahel composé de 5 pays que sont : le Burkina Faso, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et le Mali afin de prendre connaissance de l’évolution de la lutte contre le terrorisme.
Malgré le succès de l’Opération Serval à ses débuts en 2013, l’intervention française dans la région a maintenant atteint une impasse. Une situation déjà très complexe a été compliquée par le statut de la France perçue comme une ancienne puissance coloniale dans la région. Cette perception aura une influence à long-terme entre les communautés, mais aussi entre les troupes françaises et les groupes armés.
Il y a énormément de motifs qui servent à transformer le Sahel en un champ de bataille dans la lutte contre les groupes radicaux extra-étatiques. Par exemple, l’insécurité grandissante qui fut la conséquence de la chute d’Ibrahim Boubakar Keïta au Mali, la dernière attaque terroriste contre des humanitaires français au nord du Niger, la présence de Boko Haram au Nigeria et les défaites infligées à Daesh qui ont conduit à la perte de plusieurs fiefs (de la part de l’organisation terroriste) en Syrie et en Irak.
A la suite des attentats qui avaient visé Paris en 2015 et Nice en 2016, la France a renforcé ses opérations dans la région. L’idée derrière ces initiatives militaires se cache derrière les propos de Jean Castex, premier ministre de la France. « Il est fort probable que ce soit la même haine, la même lâcheté, la même inhumanité qui était en oeuvre au Niger et au Bataclan », a-t-il déclaré.
Le temps a fini par prouver que le succès de l’Opération Serval ne fut que temporaire car elle a très peu contribué à stabiliser et restaurer l’autorité de l’Etat malien. Il est connu de tous que la sécurité au Mali est à son pire niveau depuis 2014. D’ailleurs, la décision de la France de lancer l’Opération Barkhane en 2014 a confirmé que Serval, malgré ses forces, a échoué à apporter des réponses sur les causes qui sous-tendent le conflit au Mali.
Contrairement à l’Opération Serval qui s’avère être un fiasco car s’étant uniquement orienté vers l’intervention, l’Opération Barkhane reflète une lutte anti-terroriste beaucoup plus vaste. Ses buts étaient liés à ceux du G5 Sahel et Barkhane s’était appuyé sur la nécessité de permettre aux partenaires locaux de garantir leur propre sécurité.
Cette coordination très proche avec des acteurs locaux dans la région signifiait un affranchissement clair de l’Opération Serval. L’Opération Barkhane a connu des succès fulgurants à la fois en termes de hard power et de soft power. Cependant, son succès sur le plan stratégique reste encore flou.
Les objectifs actuels sont ambigus et mal-définis, plongeant l’idée d’un départ de la France dans un futur incertain. Ce manque de précision qui s’ajoute à la complexité de la région, est un indicateur clair de l’impasse dans laquelle se trouvent désormais les forces armées françaises.
Le crash d’hélicoptère survenu en 2013 au Mali et qui avait coûté la vie à 13 soldats français a durement ébranlé le moral des soldats dans une opération très décriée par les pays membres du G5. Mais, l’assassinat du leader d’Al-Qaida, AbdelMalek Droukdal, a boosté le moral des troupes et a hissé le capital-sympathie de Paris.
Tout récemment, huit humanitaires français ainsi que leur guide ont été tués par des hommes armés au Nord du Niger. A la suite de cette attaque, le gouvernement français avait immédiatement qualifié l’acte de terroriste. Réagissant à cette attaque, Jean Castex avait déclaré, depuis l’aéroport d’Orly : « venus pour faire le bien au Niger, ils ont rencontré le mal ».
Au Mali, d’après des rumeurs, des questions ont été soulevées, avant le déclenchement de l’Opération Serval, concernant la dépendance du Mali envers l’Etat français et l’image néocolonialiste que l’Opération Barkhane allait avoir dans toute la région. Et les récentes protestations au Mali prouvent l’existence d’un sentiment anti-français chez la population du Niger.
Même si l’apport de l’opération Barkhane dans la zone Sahel reste encore flou, l’engagement militaire de la France reste tout de même inébranlable. Les implications d’un maintien permanent des troupes françaises dans la région reste importantes en raison de l’engagement historique de la France envers cette zone, ce qui fait qu’une compréhension nuancée des différents récits sera de plus en plus importante au moment d’expliquer si l’intervention est un succès ou un échec. Aujourd’hui, avec l’engagement des troupes françaises dans le nord du Mali jadis dirigé par AQMI, Paris a pris le contrôle total du pays.
Après avoir vaincu les envahisseurs, en les expulsant de Tombouctou et en désarmant les quelques factions rebelles, les troupes françaises ont interdit à l’armée malienne d’opérer à Kidal, la région de l’Azawad. Plusieurs groupes rebelles se revendiquent le territoire et celui-ci est de facto une propriété du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA). La France a autorisé les rebelles à occuper la zone, les permettant ainsi de se réorganiser et de reprendre du poil de la bête dans les négociations.
Cependant, la France s’est rendu compte plus tard qu’elle ne pouvait pas faire face aux coûts de la guerre au Mali et a demandé aux Nations-Unies d’envoyer des troupes. Ainsi, en décembre 2013, Paris annoncera une réduction de 60% de ses troupes et en 2014, il y en aura que 1 000. Des accords ont été trouvés mais ils ont très vite capoté. Plus de 100 soldats de maintien de la paix ont été tués.
Comme toute autre région en Afrique, les cartes du Sahel ont été redessinées pour servir les intérêts des puissances coloniales sans prendre en compte la cohésion sociale et ethnique ou les aspirations des populations autochtones. Pourtant, les frontières post-coloniales dans des pays tels que le Mali, le Niger, la Libye, le Tchad et le Soudan mettaient fin aux guerres entre clans ou ethnies.
Ces liens ethniques ont largement contribué au développement de réseaux qui apportent d’importantes opportunités économiques mais aussi le trafic de migrants, transformant ainsi le Sahel en une menace pour ses voisins. C’est le cas de l’Algérie, devenue un lieu de transit des migrants qui souhaitent se rendre en Europe.
L’Union Européenne ne s’est intéressée que sur les questions économiques et sécuritaires du Sahel car en effet, bien que la plupart des pays du Sahel soient pauvres, ils disposent néanmoins d’importantes ressources naturelles. Et les chiffres parlent d’eux. 70% de la production pétrolière libyenne va directement en Europe et les trois quarts de l’énergie qu’utilise la France vient de l’uranium du Niger.
La France reste tout de même le pays européen le plus présent dans le Sahel en raison de ses liens historiques et coloniaux. Cependant, elle n’en est plus le gendarme. En effet, depuis la chute de Kadhafi en 2012, le Sahel s’est transformé en laboratoire pour les puissances occidentales dans leur guerre contre le terrorisme. »
Cet édito a été intégralement traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, fondateur et rédacteur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com
Cet édito n’engage que son auteur. Il ne reflète, en aucun cas, la ligne éditoriale du site www.lecourrier-du-soir.com, média neutre, transparent et indépendant.
Pour lire l’analyse dans sa version originale, cliquez ici : Daily Sabah