Arnaud Fontanet, épidémiologiste français et professeur à l’institut Pasteur, a accordé une interview exclusive au JDD (Journal Du Dimanche) publiée ce 24 octobre. Il prédit la hausse des contaminations dues, selon lui, à la météo et à la baisse de l’efficacité des vaccins contre l’infection
Lecourrier-du-soir.com vous propose de lire l’interview dans son intégralité
Excellente lecture!
Partagez-vous le diagnostic d’Olivier Véran selon lequel nous assistons à une « petite poussée » de Covid-19?
Avec l’arrivée de l’automne, nous nous remettons à vivre à l’intérieur, fenêtres fermées. Comme prévu, il y a une reprise de l’épidémie en Europe, surtout dans le nord et l’est du continent. L’augmentation du nombre de cas est très variable. Ça grimpe en Irlande, en Belgique, aux Pays-Bas, au Danemark ou en Allemagne mais la situation reste sous contrôle. En revanche, la Russie et l’Europe de l’Est sont confrontées à une vague violente et le Royaume-Uni, coincé depuis juillet sur un plateau élevé, connaît une forte poussée. Seuls l’Italie, l’Espagne et le Portugal semblent pour l’instant épargnés.
Quelle est la météo épidémique en France ?
Avec près de 5.000 cas par jour, la France se situe dans une situation intermédiaire : c’est une reprise épidémique modérée. Le R [nombre de personnes contaminées par un cas positif] vient de franchir la barre de 1. Mais, attention, la tendance sera plus nette dans deux ou trois semaines car le changement de nos pratiques de tests brouille le tableau. Il faut attendre un peu pour pouvoir dégager une tendance.
Le soleil préserve-t-il le sud de l’Europe?
Le modélisateur Simon Cauchemez, mon collègue de l’Institut Pasteur et du conseil scientifique, estime que, chez nous en France, il y a une variation d’environ 33 % du R0 entre les périodes les plus froides et les plus chaudes. La température a donc un impact mais bien moindre que celui de l’arrivée d’un variant plus transmissible comme le Delta ; ou que celui engendré par les changements de nos comportements et la mise en place de mesures de restrictions sociales.
Comment voyez-vous les prochains mois?
On s’attend à une poursuite de la hausse des contaminations à cause de deux facteurs : la météo et la baisse de l’efficacité des vaccins contre l’infection. Même si ces derniers continuent à protéger à plus de 90% contre les formes graves de la maladie, la protection contre l’infection passe de de 80% deux mois après la deuxième dose à 50 % au bout de six mois. Or beaucoup de 18-49 ans ont été vaccinés au début de l’été. C’est dans cette tranche d’âge, souvent impliquée dans les reprises épidémiques, que la baisse d’efficacité vaccinale va se faire sentir à partir de novembre. Chez les adolescents, la protection contre l’infection se maintient au moins pendant quatre mois à 90%, et ils devraient donc rester protégés à court terme. La vraie question, c’est l’impact de ce rebond sur la dynamique des formes graves de la maladie, la capacité du bouclier vaccinal à le freiner. Au Royaume-Uni, où la vaccination a débuté deux mois avant la France, et où presque toutes les mesures de contrôle de l’épidémie ont été supprimées, on atteint cette semaine 50.000 contaminations et 1.000 hospitalisations quotidiennes. Cela montre bien qu’on ne peut pas tout relâcher.
Les hôpitaux français peuvent-ils se retrouver saturés cet hiver?
On devrait pouvoir y échapper. La clé du succès repose sur la capacité du vaccin à protéger contre les formes graves de la maladie, et sur notre capacité à garantir la couverture vaccinale la plus élevée possible chez les personnes vulnérables. Sur le premier point, les dernières informations disponibles sont rassurantes : nous avons maintenant six à huit mois de recul pour estimer l’efficacité vaccinale contre les formes graves, et elle se maintient à 90%. Elle baisse un peu chez les plus âgés et les personnes avec comorbidités, d’où l’intérêt de la dose de rappel. Cela devrait permettre de passer l’hiver, mais il faut tout faire pour compléter les primo-vaccinations notamment chez les plus fragiles, et consolider cet acquis au moyen des rappels. Deux autres virus menacent les hôpitaux : celui de la grippe et celui responsable des bronchiolites chez les enfants de moins de deux ans. Grâce aux gestes barrière, ils ont peu circulé durant les deux dernières années, et l’immunité de la population n’a pas été entretenue. L’épidémie de bronchiolite est repartie vite et fort cette année, et met déjà en tension les services de pédiatrie. Pour la grippe, il est difficile de prédire l’amplitude de l’épidémie : elle dépendra du niveau de la vaccination et du maintien des gestes barrière.
Le vaccin a écrêté la quatrième vague cet été, peut-il nous sauver cet hiver?
Oui, il va certainement ralentir la progression et diminuer l’amplitude de la vague en formation. Et chaque semaine gagnée est importante, car elle permet de compléter la vaccination, et nous rapproche de la sortie de l’hiver. Nous sommes sur la bonne voie, continuons ainsi. Quand on voit le drame qu’ont vécu les Antilles cet été du fait d’une couverture vaccinale insuffisante, et celui qui se dessine en Europe de l’Est, où la couverture vaccinale varie de 30% à 70% selon les pays, on comprend mieux à quel point il était important d’atteindre la couverture vaccinale que nous avons – près de 90% de la population éligible. On se doit aussi de réfléchir à comment nous pouvons aider nos voisins.
Si la protection contre les formes sévères demeure très élevée avec le temps, une dose de rappel est-elle vraiment nécessaire chez les plus de 65 ans et les personnes fragiles?
Oui, on observe une légère baisse de l’efficacité vaccinale contre les formes graves chez les plus âgés et les plus fragiles. Une dose de rappel permet d’augmenter la concentration des anticorps neutralisants à des niveaux cinq à dix fois supérieurs à ceux obtenus après une deuxième dose, diminue de dix fois le risque d’infection et de vingt fois le risque d’hospitalisation, par rapport à des personnes ayant reçu deux doses, mais pas de dose de rappel.
Faudrait-il administrer une dose de rappel à tous les adultes?
Il est trop tôt pour le dire. Elle pourrait devenir utile si l’efficacité vaccinale contre l’infection continue de baisser avec le temps depuis la deuxième dose, et que l’on n’arrive pas à compléter les primo-vaccinations et les doses de rappel chez les plus fragiles.
Faut-il vacciner les enfants de 5-11 ans comme cela semble imminent aux États-Unis?
Avant de l’envisager, il faut analyser soigneusement le rapport bénéfice-risque dans cette tranche d’âge où les formes sévères restent très rares. Aux États-Unis, les taux d’hospitalisation et de décès sont dix fois supérieurs à ceux de la France du fait du surpoids chez de nombreux enfants. La vaccination des 5-11 ans devrait donc vraisemblablement y faire l’objet d’une recommandation dans les jours qui viennent. Il sera alors possible d’observer le risque d’effets indésirables chez les enfants de cette tranche d’âge sur des millions d’enfants vaccinés, et cela nous permettra de faire une évaluation du bénéfice-risque beaucoup mieux documentée que celle disponible à l’issue de l’essai clinique mené par Pfizer-BioNTech, qui ne portait que sur 2.250 enfants. Les effets indésirables ne survenant au plus tard que deux mois après l’injection, nous devrions être fixés en février.
Que pouvons-nous faire, individuellement, pour essayer de freiner l’épidémie en dehors de la vaccination?
Au delà des gestes barrière que nous connaissons tous et qui restent importants, il faut insister sur la transmission par aérosols, ces particules très fines qui flottent dans l’air. Une personne infectée peut, même en l’absence de symptômes, contaminer une pièce, surtout si elle ne porte pas un masque, y parle, crie, ou chante. La priorité à l’intérieur, au bureau comme dans les établissements scolaires ou à la maison en présence de proches, c’est donc l’aération des locaux. Ouvrir régulièrement la fenêtre pour quelques minutes, même en hiver, ou la porte de la salle de réunion en cas de grand froid, ça peut faire toute la différence. Les capteurs de CO2 permettant de repérer un mauvais renouvellement de l’air peuvent être utiles dans les entreprises, les écoles, ou les administrations. Et le masque en lieux clos reste important : d’abord pour protéger les autres, mais aussi pour se protéger.
L’arrivée cette semaine du traitement du laboratoire Merck marque-t-elle un deuxième tournant après l’arrivée d’anticorps monoclonaux?
L’administration de cet antiviral divise par deux le risque d’hospitalisation à condition d’être administré très tôt, dans les cinq jours suivant le début des symptômes. Deux autres traitements de ce type sont également prometteurs. Mais cette solution vraisemblablement assez coûteuse ne concernera qu’un nombre limité de patients à risque de formes graves. La vraie révolution médicale a été l’arrivée rapide, fin 2020-début 2021, de vaccins ultra efficaces qui nous protègent pour un coût dérisoire.