STÉPHANE BANCEL. En réalité, on s’y attendait. Les États-Unis et la Suisse avaient déjà donné leur accord. On est très heureux que l’Europe l’autorise à son tour. On le sait, les anticorps diminuent avec le temps, même si notre vaccin est l’un des plus efficaces. Ensuite, il a été conçu contre la souche originelle et non contre le variant Delta. Ce rappel est donc indispensable pour se protéger du virus dès cet automne.
Allez-vous revoir votre formule pour diminuer le risque de problèmes cardiaques ?
Il faut remettre l’église au milieu du village. Déjà, aucun cas de myocardite n’a été rapporté chez les plus de 40 ans. Et chez les jeunes, on ne compte que quelques cas par million de vaccinés. Évidemment, ils sont regrettables mais n’oublions pas que nous sommes dans une pandémie mondiale et que le but est de réduire les hospitalisations. L’intérêt de la vaccination est nettement supérieur.
Comment expliquer ces cas de myocardites ?
C’est impossible de le savoir car les personnes infectées par le virus peuvent aussi développer des myocardites. Est-ce lié à la protéine Spike ? À la technologie de l’ARN messager ou au lipide à l’intérieur ? Ou encore au dosage, sachant que notre vaccin est trois fois plus concentré (que le Pfizer, son principal concurrent) ? On le saura peut-être dans quelques années.
Vous venez d’annoncer que votre vaccin pour les 6-11 ans était bien « toléré ». Les enfants en ont-ils vraiment besoin ?
Si on regarde ce qu’il s’est passé aux États-Unis, où il y a eu beaucoup plus de cas de Delta qu’en France, presque 20 % des Américains hospitalisés étaient des enfants (NDLR : les mineurs n’ont représenté que 4% des hospitalisations aux Etats-Unis au maximum cet été, selon l’agence fédérale de santé publique), ce qui n’était pas du tout le cas avec la souche originelle. De plus, un enfant contaminé va transmettre le Covid à ses grands-parents qui, s’ils n’ont pas eu leur rappel, risquent de se retrouver à l’hôpital. Quand on sait que presque un milliard de doses de vaccins à ARN ont été injectées et que leur niveau de sécurité est aussi élevé, le rapport bénéfice-risque pour les mineurs et la société est nettement positif. Selon moi, il faut vacciner les jeunes enfants.
Mais les petits font peu de complications ?
Le variant a changé la donne. On voit beaucoup plus de formes graves à cet âge. Ce n’était pas le cas l’an dernier. C’est vraiment un phénomène de l’été 2021.
Si un nouveau variant, plus contagieux, émerge, pourriez-vous adapter vos vaccins ?
On y travaille. On mène des essais cliniques sur trois autres vaccins : un spécifique au Delta, un autre contre le Beta, le variant sud-africain, et le dernier qui est une combinaison des deux dans un seul flacon. Pourquoi ? Parce que les scientifiques pensent que le plus probable, c’est que le Delta évolue en rajoutant des mutations de Beta. On risque donc d’avoir un virus plus contagieux et plus mortel dans le futur. Actuellement, on dispose du rappel qui vient d’être autorisé par l’Europe, le même utilisé pour la première et deuxième dose. Mais, à l’hiver 2022, on aura trois vaccins supplémentaires et on choisira lequel on utilisera en fonction des souches qui circulent à ce moment-là.
Seront-ils réservés aux plus âgés ou à toute la population ?
C’est une bonne question. Je pense qu’un rappel annuel sera nécessaire pour les plus de 50 ans et tous les deux à trois ans pour les plus jeunes. Pour éviter de devoir recevoir une injection contre la grippe et une autre contre le Covid, nous sommes en train de développer un vaccin deux en un, qui devrait être commercialisé à l’horizon 2023. Que vous ayez 70, 60, 40 ans, vous pourrez donc être protégé contre les deux virus.
Cela s’explique par l’efficacité des vaccins. Aujourd’hui, les données sont très claires, les vaccins à ARN messager sont les meilleurs, les chinois, eux, protègent bien moins. Aux Maldives, les habitants ont été massivement immunisés avec et on a vu cet été une vague importante de contaminations.
Quand en aura-t-on fini avec cette épidémie ?
Si les gens font leur rappel, je pense qu’à partir de l’été 2022, ils retrouveront une vie complètement normale. Ils voyageront, iront au restaurant, feront la bise ou pourront serrer des mains à qui ils veulent. Les non-vaccinés, eux, courront toujours un risque.
Pensez-vous soigner d’autres maladies avec l’ARN ?
Bien sûr. Moderna a développé à ce jour vingt-quatre programmes basés sur l’ARN messager, et treize d’entre eux sont des vaccins au stade clinique contre des virus tels que Zika, Epstein-Barr, la grippe, le chikungunya. Un essai clinique concernant le sida devrait commencer en décembre. Un autre aussi, très prometteur, contre le cytomégalovirus, la plus grave des infections de la grossesse et la première cause de malformations chez les bébés à la naissance. Les données de phase 1 et 2 sont fantastiques, on espère que le vaccin fonctionnera en phase 3. Si c’est le cas, il pourra être administré à toutes les femmes avant une grossesse. Jusqu’alors, tout le monde a essayé, Sanofi y compris, mais ils ont tous échoué.
Votre fortune est estimée entre 3,5 et 5 milliards d’euros. Que comptez-vous faire de tout cet argent ?
Avec mon épouse, on compte donner l’essentiel. Nos enfants le savent, on leur a dit, on vous paye vos études, on vous léguera une maison familiale, à vous de vous débrouiller ensuite. Aujourd’hui, on soutient déjà une dizaine d’associations, engagées dans la santé, l’inégalité, l’éducation, ma femme ayant été adoptée, ces thèmes lui tiennent beaucoup à cœur, tout comme moi. On aide d’anciens prisonniers américains à se réinsérer, on soutient une association à Haïti. L’argent ne m’a jamais intéressé.
Vraiment ?
Oui, quand, après Harvard, tous mes camarades de promotion ont choisi de faire carrière dans l’informatique, où ils étaient sûrs de faire de l’argent rapidement, moi, j’ai pris des risques et je me suis lancé dans la santé. J’ai toujours voulu offrir un toit à ma famille, la nourrir, mais mon ambition n’a jamais été de collectionner les maisons, les voitures ou les bateaux.
Comptez-vous investir en France ?
Oui ! J’ai déjà investi dans une biotech en France. Et j’ai donné mon accord à une autre. Je ne peux pas en parler car il s’agit des boîtes privées, dans la santé, et le second investissement n’a pas encore eu lieu physiquement même si j’ai donné mon accord aux entrepreneurs.
Où en est votre projet de construire une usine en Afrique ?
Il avance. Durant la pandémie, le Covid a fait des milliers de morts qui auraient pu être évités. L’Afrique, comme les autres continents, a besoin de l’ARN messager. On a donc décidé, avec le conseil d’administration de la société, d’investir nos propres fonds jusqu’à 500 millions de dollars (environ 430 millions d’euros) pour construire une usine. On est en train de choisir le pays. L’idée est de fabriquer le vaccin sur place et de le mettre en flacon. On pourra y produire 500 millions de doses par an. Nous avons aussi conclu un accord avec l’Union africaine pour fournir 110 millions de doses dans les prochains mois.