Marc Desaubliaux a pris beaucoup de plaisir dans l’écriture de ce dixième roman. Et cela se ressent. “Marceline et le monde des autres” raconte le choc de deux mondes qui vivent côte à côte, sans jamais se croiser. L’auteur y dépeint les codes bourgeois provinciaux. Un cercle conservateur, enclavé depuis des générations derrière des remparts moyenâgeux.
Si l’auteur caricature avec un tel brio cette bourgeoisie qui balance entre devoir et religion, mondanités et ragots, ennui et alcool, c’est qu’il l’a vécue de l’intérieur. Il en décrit ainsi le poids : « Il faut rester discret, ne pas se faire remarquer, se fondre dans le moule… J’en ai beaucoup souffert et c’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis mis à écrire, pour évacuer ce sentiment de mal être permanent. »
La fracture sociale, tout comme la généalogie et les secrets de familles sont des thèmes chers à Marc Desaubliaux. De ceux, comme il l’explique, « dont personne ne parle et qui vont marquer toutes les générations qui suivront ! »
L’histoire se déroule au milieu du XIXème siècle et rebondit sur trois générations, entre 1938 et 2008.
À Rougemont, -référence à peine voilée à la ville de Senlis-, habitée, pour l’essentiel, par les mêmes familles depuis des générations, dont celle, incontournable, des Frémy : deux adolescents, un père à la situation plus que confortable et une mère, parisienne, qui noie son ennui dans l’alcool. Ici, le temps semble arrêté.
De l’autre côté des remparts, dans une petite cité construite à la fin des années 60, en périphérie de la ville, vit une autre famille, les Fraisse. Un père mécano, une mère, femme de ménage à l’accent Ch’ti un poil exagéré et deux filles, dont Marceline, l’aînée. En apparence, les Fraisse, populaires et anarchistes, semblent aux antipodes des Frémy, mais partagent les mêmes valeurs chrétiennes.
Le roman s’attache au personnage de Marceline, jeune femme prête à tout pour intégrer le monde d’en haut. Et qui, à l’instar de son grand-père collabo, souhaite changer de camp et pactiser avec l’ennemi, cette vermine de riches tant décriée par son père.
L’auteur qui aime citer Proust, Michel Houellebecq, a choisi une citation de Victor Hugo pour préfacer son livre: “Bourgeois parvenus qui tirent l’échelle après eux et ne veulent pas laisser monter le peuple.”
« J’ai trouvé que cette phrase, explique-t-il, résumait parfaitement cette bourgeoisie du XIXᵉ siècle qui a réussi à s’extirper du peuple avec la Révolution et qui a tout fait pour que le peuple ne la rattrape pas, par peur de redevenir comme ce dernier. »
Même si Marc Desaubliaux pense que “l’ascenseur social ne fonctionne que très rarement en France”, Marceline ne semble pas du même avis.
Entre rebondissements et secrets de famille croustillants, vous allez dévorer ce roman dans lequel on retrouve le souffle d’un Maupassant et d’un Zola.
Charlotte Coumont
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