Un silence intriguant qui interroge.
Au Sénégal, le mutisme de la justice à la suite de la publication du rapport de la Cour des Compte sur la gestion des fonds Covid inquiète plus d’un. En effet, dans un rapport de 180 pages consulté par Lecourrier-du-soir.com, les magistrats de la Cour des Comptes chargés de rédiger le document ont dénoncé, avec la plus grande sévérité, la gestion des fonds Covid d’une valeur de 1 000 milliards de FCFA destinés à répondre à la crise sanitaire qui, en mars 2020, avait paralysé l’économie mondiale.
Cependant, au pays de la Téranga, la gestion des fonds vient de déclencher une vive polémique au niveau national suite aux nombreux manquements relevés par la Cour. Dans leur rapport, les magistrats font un constat alarmant. « Les opérations de dépenses en lien avec la pandémie ne sont pas donc soumises au contrôle tel que prévu par les dispositions de l’article 205 du décret n°2011-1180 du 24 novembre 2011 portant Règlement général sur la Comptabilité publique’, déplorent-ils.
Et d’ajouter : « cependant, le fait de soustraire ces opérations au contrôle a priori et du visa préalable, pour accélérer la procédure de paiement, a contribué à favoriser la survenance de plusieurs irrégularités constatées dans certains ministères. Il s’agit notamment du non-respect de la règle du service fait en opérant le paiement de facture antérieur à la livraison des produits y relatifs, du défaut d’enregistrement de contrats et de l’absence de pièces justificatives de dépenses, etc. Les principales irrégularités sont présentées dans le chapitre IV ».
Parmi les ministères épinglés dans le dossier, figure celui des Finances et du Budget qui a bénéficié d’un Fonds de Riposte et de Solidarité contre les effets du Covid. Sa mission est la suivante : financer les dépenses liées à la lutte contre la pandémie et soutenir les secteurs d’activités affectés par ladite pandémie. Il comprend deux organes, à savoir, un Conseil stratégique et un Comité technique. Mais, comme par hasard, le Conseil stratégique chargé de définir les orientations de ce Fonds de riposte ne s’est jamais réuni et le comité technique n’a jamais fonctionné.
Autre ministère épinglé est celui de la Santé et de l’Action Sociale. Parlant du Ministère de la Santé et de l’Action Sociale (MSAS), la Cour des Comptes ne décolère pas. « La Cour relève l’absence d’un dispositif de contrôle interne spécifique mis en place dans le
cadre de la lutte contre la COVID-19. Cette situation est à l’origine de plusieurs insuffisances dont le défaut de justification des fonds gérés au niveau déconcentré et la non-production de pièces justificatives des avances de fonds reçues par des directions centrales et les régions médicales. De plus, aucune mission de contrôle interne n’a été effectuée en 2020 et en 2021 afin de s’assurer de la régularité des opérations budgétaires et financières effectuées par les structures du MSAS ayant bénéficié de ressources COVID-19 de la DAGE », révèle le rapport. Pire, contacté par la Cour, le Ministère de la Santé n’a pas voulu fournir des explications.
Autre ministère épinglé est celui de l’Economie, du Plan et de la Coopération qui a été un acteur central du dispositif de préparation et de pilotage stratégique de la lutte contre la pandémie. Il est reproché à ce ministère qui a reçu plusieurs milliards de FCFA de n’avoir produit aucun rapport pour évaluer les forces et les faiblesses des activités qu’elles ont déroulées durant la pandémie.
Les fonds alloués à ces ministères sont évalués à plusieurs milliards de FCFA. Par exemple, pour ce qui est du ministère de la Santé, les chiffres parlent d’eux-mêmes. « Le montant global des ressources allouées en 2020 et 2021 aux régions médicales, hôpitaux, et
directions et services du MSAS, est de 5,93 milliards de FCFA dont 3 275 715 403 FCFA pour la région de Dakar, soit 55,24%. Suivent les régions de Thiès et de Diourbel avec, respectivement, 368 162 250 FCFA et 361 008 600 FCFA. Celle de Kaolack a le taux de financement le plus faible avec 9,14% », renseigne la Cour des Comptes.
Et ce n’est pas tout. Dans son rapport, la Cour relève des surfacturations qui s’apparentent clairement à du détournement de fonds publics. Les contrôleurs disent avoir relevé une surfacturation de plus de 2,7 milliards de FCFA sur le prix du riz acheté et distribué aux populations les plus démunis pendant le confinement. Elle pointe aussi une surfacturation des gels hydroalcooliques. Selon le rapport, 19 milliards de FCFA ont également été alloués à des dépenses sans lien avec le Covid-19. Par exemple, l’achat de bacs de fleurs par le ministère de l’Urbanisme.
Nul besoin d’aller plus loin dans cette histoire. Celles et ceux qui liront le rapport tireront leurs propres conclusions. Mais, la question que l’on se pose est celle de savoir pourquoi la justice sénégalaise refuse catégoriquement de réagir. Cette question est d’autant plus pertinente que cette même justice agit avec une célérité impressionnante lorsque des opposants sont accusés d’avoir commis des délits.
Et les exemples sont légion. En tout cas, le contexte actuel semble être notre meilleur juge. Suivez mon regard!