Il y a 50 ans, la guerre transformait le Moyen-Orient. Six jours inoubliables que les Israéliens appellent la guerre des Six Jours et que les Arabes et les autres nations appellent la guerre de 1967 ont redessiné le paysage de la région de manière fondamentale. Pendant ces six jours, Israël avait vaincu trois armées Arabes, avait conquis des territoires trois fois plus grands que sa superficie et était devenu une puissance militaire de premier plan dans la région.
La guerre a fait passer Israël d’une nation qui se battait pour sa survie à un occupant et une pile électrique. Pour la coalition Arabe, les conséquences étaient aussi transformatrices. Pour ceux qui étaient situés « au bord de la confrontation » à savoir les pays Arabes frontaliers avec Israël, la guerre a mené à la perte de vastes territoires et a été une grosse humiliation, surtout pour les Palestiniens.
Gamal Abdel Nasser, Président d’Egypte et à l’époque la figure politique du monde Arabe, a survécu à la guerre mais son leadership n’y a pas survécu. La défaite cuisante a provoqué la mort de la marque panarabisme qui était jadis une force idéologique affirmée dans le monde Arabe.
La Guerre des Six Jours est probablement l’événement le plus important et qui a plus suscité des recherches au Moyen-Orient depuis la création de l’Etat d’Israël en 1948. Des volumes d’études ont été consacrés à cette guerre ces cinq dernières décennies. Cependant, un aspect de cette guerre reste obscur et n’a jamais été raconté : la dimension de la crise nucléaire. Sur ce sujet, les deux côtés se terrent dans le tabou, le silence et le secret.
A l’occasion de la 50ème commémoration de la Guerre de 1967, le Projet de l’Histoire Internationale de la Prolifération Nucléaire a publié des témoignages historiques et des documents révélant que la crise avait une dimension sous-jacente qu’est la dimension nucléaire.
D’abord, le programme nucléaire israélien avait joué un rôle crucial dans la perception de la peur des deux côtés. Deuxièmement, et surtout, ces témoignages révèlent aujourd’hui que durant la Guerre des Six Jours de Mai à Juin 1967, Israël avait commencé à rassembler ses premiers dispositifs nucléaires rudimentaires.
De surcroît, au même moment, des hautes autorités de l’armée israélienne avaient d’ailleurs envisagé de détonner un appareil nucléaire pour se préparer éventuellement à une « catastrophe ». Ce fut il y a 50 ans lorsqu’Israël avait franchi le seuil nucléaire, faisant de la Guerre de 1967 une date majeure dans l’histoire nucléaire mondiale.
Les vieux et nouveaux récits de la crise de 1967
Alors que le potentiel d’une hostilité arabo-israélienne se mijotait au début de 1967, la plupart des acteurs de la région ne s’attendaient pas à une confrontation militaire et ne la cherchaient pas non plus. Ceci est particulièrement vrai chez les leaders israéliens et égyptiens : Levi Eshkol et Gamal Abdel Nasser. Alors, comment une grande guerre a pu être déclenchée contre le gré des deux côtés ?
La sagesse conventionnelle chez les historiens est qu’une série d’incidents et d’erreurs ont mené les deux côtés à une guerre à laquelle aucun des deux dirigeants ne voulait. Les récits israéliens citent des fausses sources d’agences de renseignement soviétiques concernant une éventuelle attaque israélienne contre la Syrie qui incitera Gamal Abdel Nasser à commettre une série d’erreurs de calcul (en regroupant ses troupes dans le Sinaï, en retirant la Force d’Urgence des Nations-Unies qui y ont a été déployée après la crise de Suez de 1956 et en fermant le Détroit de Tiran à Israël), des mesures qui ont finalement rendu la guerre inévitable.
Entretemps, les récits arabes affirment que les déclarations provocatrices d’Israël contre le régime syrien ont provoqué la réaction de Nasser. D’autres récits jettent la responsabilité sur les différents acteurs (Arabes, Soviétiques, Israéliens, et même les Nations-Unis). Néanmoins, tous ces récits partagent l’idée fondamentale selon laquelle la crise a éclaté suivant des erreurs de calcul qui ont finalement mené à l’échec d’une dissuasion conventionnelle.
Tous ces récits se distancient de la question nucléaire. Le programme nucléaire israélien ne joue aucun rôle dans leurs récits. Lorsque la question nucléaire est mentionnée, il est rapidement survolé et considéré comme plutôt anecdotique. Ce n’est pas surprenant étant donné la tendance des deux côtés à se focaliser sur un autre angle plutôt que sur l’importance des armes nucléaires dans ce conflit Israélo-Arabe.
Cette aversion est en partie due à un manque d’information publique. Mais des informations peuvent être retrouvées dans des témoignages classés de responsables militaires israéliens. Par exemple, le long témoignage, très secret de Yitzhak Rabin de 1969 n’a évoqué que trois fois seulement sa crainte de voir le site nucléaire Dimona devenir une cible pour les Egyptiens.
Yitzhak Rabin n’a pas non plus mentionné directement ses craintes quotidiennes concernant une éventuelle attaque de Dimona durant la période qui a précédé la guerre, malgré le fait que ses craintes peuvent être retrouvées de manière explicite et intensive dans la documentation israélienne originale consacrée à la crise. Cette omission serait une manifestation d’un tabou profond sur la question de Dimona. Sur la question nucléaire, les deux côtés se terrent dans le secret et le silence.
Cependant, une recherche historique récente menée par Israël a apporté un éclairage sur la dimension obscure de la crise de 1967. Pendant ces dix dernières années, plus de preuves sur le rôle qu’a joué Dimona en reformulant les perceptions égyptiennes et israéliennes ont refait surface. Cet essai utilise ce nouveau document pour revisiter et clarifier l’importance de Dimona et placer la crise et la guerre de 1967 dans son contexte.
Un récit nucléaire alternatif : la Période Pré-crise (1965-67)
Dès 1967, Israël se dirigeait calmement et sérieusement vers l’arme nucléaire. Mais, le projet nucléaire avait essuyé plusieurs revers. Les deux centres d’activité du projet étaient gérés en tant qu’organisations séparées : le Centre de Recherche Nucléaire à Dimona (KAMAG) et l’Autorité du Développement Nucléaire (RAFAEL) au Nord d’Israël.
Mais, en 1966, les deux centres d’activités ont été regroupés sous la gestion d’une administration scientifique, dirigée par le Professeur Israel Dostrovsky de l’Institut Weizmann. Le peuple israélien ne connaissait rien de ces développements, le peu d’information publié sur cette affaire était que le Premier Ministre Levi Eshkol avait nommé Dostrovsky directeur général de la Commission de l’Energie Atomique.
Israël aurait pu tester un dispositif nucléaire en une année ou plus si ses dirigeants politiques l’avaient voulu. Un tel test placerait Israël au rang de 6ème Etat disposant de l’arme nucléaire. En matière de droit international, rien ne l’empêchait de mener ce test. La Chine et la France avaient mené des tests quelques années plutôt. Mais, le Premier Ministre Eshkol s’inquiétait de l’objectif final du projet et des conséquences politiques. En mai 1966, au moment où Dostrovsky a été nommé, Eshkol déclare à la Knesset qu’Israël n’avait pas d’arme nucléaire et « ne sera pas le premier à introduire ces armes au Moyen-Orient ».
Malgré les troubles d’Eshkol concernant la trajectoire finale du projet, il est à peine intervenu dans le progrès du projet. « Pensez-vous que le monde nous féliciterait pour nos réalisations ? ». Telle est la question qu’Eshkol posait avec humour à ceux qui l’interrogeaient sur le projet. En général, Eshkol se distançait des implications politiques et stratégiques du programme. Il n’avait pas trop envie d’aborder le sujet au sein de son cabinet. Le progrès nucléaire continuait à progresser, mais était strictement supervisé par les autorités israéliennes.
En accord avec les informations de l’armée israélienne, Eshkol s’inquiétait d’une réaction belliqueuse de la part de l’Egypte si jamais Nasser apprenait qu’Israël fabriquait une bombe atomique. Réagissant à ces inquiétudes, Yitzhak Rabin, membre de l’état-major, donne l’ordre en novembre 1965 au chef du service de renseignement de l’armée israélienne, Aharon Yariv, de développer un système de collection, sous le nom de code de « Senator ».
Le but était de fournir à l’armée israélienne une alerte si jamais l’Egypte avait l’intention de s’attaquer à Dimona. Dans un témoignage exclusif, le biographe du Général Aharon Yariv, le Brigadier général Amos Gilboa a révélé comment le projet a vu le jour. La création de « Senator » a permis de comprendre à quel point les craintes liées à Dimona étaient profondément ancrées chez les autorités de l’armée israéliennes.
Ne perdez pas de vue la perception de Rabi concernant Dimona à l’époque. En Mars 1965, Rabin mentionne le « manque de légitimité internationale » de Dimona, une situation qui, selon lui, pourrait pousser l’Egypte à l’attaquer. « Si l’Egypte bombarde Dimona et que nous allions en guerre, le monde entier nous donnerait un ultimatum », disait Rabin.
Même si les services de renseignement israéliens n’ont jamais jugé crédibles les déclarations de Gamal Abdel Nasser dans les années 1960 qu’il mènera une attaque préemptive pour empêcher qu’Israël développe la bombe atomique, surtout après l’enlisement des troupes égyptiennes au Yémen, une attaque aérienne limitée contre Dimona (par l’Egypte) était prise au sérieux par Israël.
Fin 1966, Rabin considère que les menaces qui pèsent sur Dimona devraient pousser Israël à limiter ses réponses militaires contre la Syrie. « Il y a un objectif vital au Sud qui est une attaque limitée et pour laquelle l’Egypte pourrait obtenir le soutien du monde entier », Rabin avait l’habitude de le rappeler à ses collègues.
Et puis, fin 1966, Eshkol était plongé dans une plus grande crainte lorsqu’un employé de Dimona a été tué dans un accident qui a contaminé un endroit très important (de Dimona). Trois mois plus tard, dans une lettre « secrète » adressée à Washington, l’ambassadeur américain Walworth Barbour affirme avoir constaté qu’Eshkol est très incertain à l’avenir du projet et propose une diplomatie innovatrice sur la question nucléaire. Barbour nie les rapports des renseignements américains selon lesquels Israël allait obtenir la bombe au bout de quelques semaines. Barbour informe ses collègues que Dimona « ne fonctionnait pas à plein régime ».
Malgré les propos de Barbour, Israël se dirigeait à pas géant vers l’acquisition de la bombe nucléaire. Pendant ce temps, Eshkol s’inquiétait que l’acquisition de cette bombe ne serve pas les intérêts d’Israël. Il était ouvert à des solutions politiques créatrices. Ceci l’a mené dans une confrontation avec les dirigeants du projet qui étaient déterminés à aller de l’avant. Pour eux, c’était inconcevable d’arrêter le projet. Les fondateurs du projet voulaient qu’Israël obtienne une arme nucléaire sérieuse et pas quelque chose de virtuel et d’amorphe.
La crise de 1967 : les deux dimensions nucléaires
Et puis arriva la crise de mai 1967. Pendant trois mois, Israël a vacillé de la normalité à la une crise existentielle à laquelle il n’avait pas fait face depuis 1948. Pendant la crise, la dimension nucléaire a refait surface de deux manières. La première a été le rôle dramatique de Dimona en reformulant, voire en précipitant, le sens israélien de la crise. Le second a été même plus dramatique : durant cette crise, du jour au lendemain, Israël avait rassemblé ses premiers appareils nucléaires. Mais, les aspects nucléaires de la crise ont été cachés à l’époque. L’assemblage d’un premier appareil était resté inconnu du public jusqu’à ce jour.
Dimona en tant que cible potentielle ? Dimona en tant qu’élément déclencheur ?
Au moment où la crise de 1967 a commencé, les craintes concernant Dimona devinrent cruciales pour Israël. Le 16 mai, le troisième jour de la mobilisation égyptienne, les rumeurs sur le transfert de bombardiers L-28 vers le Sinaï ont poussé Rabin à alerter ses collègues de l’éventualité que Dimona devienne une cible.
Le lendemain, au moment où Rabin et Yariv informait le comité de Défense et des Affaires étrangères de la Knesset, deux MiG 21 égyptiens survolent Dimona, entrant dans le territoire israélien à haute altitude en provenance de la Jordanie. Les jets israéliens sont alors déployés pour intercepter les MiGs égyptiens, mais sans succès. Les pilotes israéliens n’étaient pas autorisés à traverser la frontière pour entrer dans le Sinaï.
Le vol de reconnaissance au-dessus de Dimona ainsi que la demande du gouvernement égyptien de retirer les Forces d’Urgence des Nations-Unies de sa frontière ont convaincu les autorités israéliennes que la crise était sérieuse. Le soir même, Eshkol et Rabin ont décidé de mettre l’armée israélienne en état d’alerte pour mobiliser le système défensif aérien, faire intervenir une brigade blindée et renforcer la sécurité au niveau de Dimona. L’armée israélienne avait reçu l’autorisation de traverser la frontière à la recherche des MiGs égyptiens.
Lors d’une réunion de bureau le 19 mai, le Général Yariv présente 4 objectifs stratégiques de l’Egypte, y compris une possible attaque aérienne contre Dimona dans le cadre d’une menace opérationnelle. Le même soir, l’Armée israélienne reçoit l’autorisation d’attaquer instantanément toutes bases aériennes égyptiennes si Dimona venait â être attaqué par l’Egypte.
Le 26 mai, un second vol de reconnaissance survole Dimona au moment où le comité de défense du ministère était en réunion avec le Premier Ministre Eshkol dans son bureau de Tel Aviv. La veille, on pouvait noter une forte anxiété concernant une attaque surprise de l’Egypte contre Dimona et les bases israéliennes. Il y avait des signes qu’une telle attaque puisse se produire à tout moment.
En réponse, Eshkol lance deux signaux d’alarme au ministre des Affaires étrangères Abba Eban à Washington. Dans le second signal d’alarme, on pouvait lire : « des changements dramatiques se sont produits » et qu’une attaque contre Israël (Dimona et les bases militaires israéliennes) était imminente. Eban avait reçu l’ordre de demander au gouvernement américain de mettre en garde l’Egypte immédiatement que toute attaque contre Israël serait considérée comme une attaque contre les Etats-Unis.
D’après les procès-verbaux du ministère, au moment de la réunion, Rabin a été informé que quatre MiG égyptiens haute-altitude avaient pénétré l’espace aérien israélien. Rabin quitte le bureau pour recevoir le rapport complet avant de rendre compte à son cabinet. Deux des MiGs se dirigeaient vers Dimona. Rabi informe le cabinet que des jets israéliens sont allés à leur poursuite vers le Sinaï, mais n’étaient pas en mesure de les abattre. L’incident changea immédiatement l’atmosphère dans la salle.
Plus tard, Rabin demande une consultation privée avec le Premier Ministre et le Général Ezer Weizman durant laquelle Rabin informe Eshkol des informations qu’il venait de recevoir. Mais, Weizman était plus alarmiste, faisant savoir au Premier Ministre que toutes les indications amenaient à penser que l’Egypte avait planifié l’attaque contre Dimona, avec au moins 40 avions, et que l’attaque pourrait avoir lieu le soir même.
Eshkol retourne à la réunion de cabinet tout en gardant secrètement cette information pour lui seul. Il dit à ses collègues que l’incident aérien serait partagé avec les Etats-Unis, mais sans dire aux Américains qu’il s’agissait de Dimona. Des décennies plus tard, Moshe Carmel, à l’époque ministre du cabinet, a fait part du « choc » ressenti par les ministres lorsqu’ils ont appris qu’un avion égyptien avait survolé Dimona.
Trois heures plus tard, Eshkol tient une autre rencontre, cette fois-ci avec le Comité de Défense et des Affaires étrangères de la Knesset. Lors de cette rencontre, Rabin, Eshkol et Yariv ont rendu compte au comité. Vers la fin de la rencontre, le Premier Ministre Eshkol livre sa propre version, dans laquelle il affirme qu’Israël ne pouvait pas recourir à une action militaire sans passer par la voie diplomatique.
Et soudain, le Premier Ministre informe le Comité d’un vol égyptien qui a survolé Dimona et ajoute quelque chose d’autre, quelques mots opaques concernant une arme certaine et mystérieuse. Le procès-verbal l’explique en ces termes : « aujourd’hui, quatre avions égyptiens ont survolé Israël. Nous avons immédiatement envoyé un télégramme à Abba Eban. Le motif d’une arme certaine peut être crucial à ce niveau et je ne parle pas de quelque chose qui se trouve dans un autre monde. C’est une arme qui existe dans d’autres pays ».
Les mots d’Eshkel sont voilés mais révélateurs. Nous ne savons carrément ce qu’Eshkol a dit au comité et si les procès-verbaux sont fidèles à ses propos. (…) Il n’est pas difficile de déchiffrer les mots du Premier Ministre lorsqu’il parlait d’ « arme certaine ». Ceci était, dans la tête de son auteur, une révélation subtile qu’Israël possédait la bombe atomique.
Cet article est intégralement traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef du média Lecourrier-du-soir.com
Cet article est le travail d’Avner Cohen, professeur à l’Institut des Etudes Internationales de Middleburry et chercheur à Woodrow Wilson Center. Avner Cohen est l’auteur du livre « Israel and The Bomb ».
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