A quoi joue le gouvernement sénégalais ? Il n’a fallu que quelques heures pour que l’Arabie Saoudite dicte à ses « ouailles » une décision que ces dernières n’oseraient jamais prendre sans l’aval du Père (Arabie Saoudite). Nous avons en effet tous appris avec beaucoup d’étonnement la décision prise par l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Egypte et les îles Maldives de rompre leurs relations diplomatiques avec Doha.
Quelques heures après l’annonce de cette décision, l’Arabie Saoudite (le seul maître du jeu dans cette affaire) a volontairement omis de souligner les raisons exactes qui l’ont poussée à isoler davantage son voisin qatari. Cette raison, je vous la donne et aucun spécialiste du Moyen-Orient (ce que je ne suis pas) ne saura me démentir.
Je reviendrai, dans cette analyse, sur la décision très controversée et très dangereuse du président sénégalais, Macky Sall, de rompre ses relations avec Doha. Mais, avant d’en arriver là, permettez-moi, de vous rappeler, de manière succincte, les dessous du bras de fer diplomatique entre le Qatar et l’Arabie Saoudite.
La seule et unique raison repose en effet sur la guerre d’influence qui existe depuis plusieurs années (et qui s’est intensifiée ces dernières années) entre Riyad et Téhéran au Moyen-Orient. L’Arabie Saoudite a en effet du mal à digérer la montée en puissance de l’Iran qui s’impose non seulement comme une puissance économique, mais aussi politique et militaire.
La position de Téhéran de soutenir vaille que vaille le gouvernement de Bachar al-Assad, malgré les efforts colossaux du royaume saoudien de financer des groupes islamistes pour faire tomber Bachar al-Assad est au cœur de cette crise. Rappelons que l’Arabie Saoudite qui n’a jamais digéré voir en face d’elle un Iran fort s’obstine à se débarrasser de Téhéran par tous les moyens.
Cette confrontation entre Téhéran et Riyad est non seulement une confrontation politique et économique, mais également religieuse. L’Arabie Saoudite qui pratique un Islam sunnite veut rester le seul porte-étendard de la religion islamique, le seul modèle auquel doit se référer tout peuple qui adhère à cette religion. De l’autre côté, l’Iran prêche un Islam chiite et cherche à son tour à attirer le maximum de fidèles dans ses rangs.
Cette guerre diplomatique qui risque de déboucher sur une véritable guerre militaire a été exacerbée par un contexte tendu marqué par le terrorisme. L’Arabie Saoudite et ses ouailles (les pays du Golfe) financent depuis plusieurs années des mouvements islamistes pour contrer par tous les moyens possibles tout régime politique proche de Téhéran. Et cela, à leurs risques et périls.
Les zones de confrontation sont nombreuses : l’Irak, la Syrie, le Liban et récemment le continent africain où les deux puissances régionales se regardent en chiens de faïence pour conquérir le plus de fidèles possible. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en Afrique des centaines de mosquées sont aujourd’hui financées à des coûts faramineux par Riyad et Téhéran sous le regard impuissant de gouvernements complètement dépassés par une guerre d’influence qui ne profite à personne.
Mais, au moment où une chance de trouver une accalmie dans ce bras de fer s’est présentée, arrivent deux événements majeurs qui annihilent toute opportunité d’arriver à une normalisation des relations entre l’Iran et l’Arabie Saoudite : la guerre au Yémen en 2015 et l’accord nucléaire signé entre l’Iran et le groupe des 5+1 en 2015 qui ont contribué à attiser la haine des deux côtés.
Au milieu de cette guerre diplomatique, le Qatar prend l’énorme risque d’appeler à un rapprochement avec Téhéran. Le 27 mai, l’Emir du Qatar a poussé le bouchon un peu loin en appelant au téléphone le président iranien Hassan Rohani avec qui il entretiendra une discussion chaleureuse, alors qu’une semaine plutôt, ce même Hassan Rohani avait adopté un ton ironique au lendemain de sa victoire à la présidentielle, déclarant je cite : « l’Arabie Saoudite n’a pas besoin d’armes, mais d’urnes pour voter ».
La phrase est très forte et arrive dans un contexte particulier : la visite de Donald Trump en Arabie Saoudite et la signature d’un contrat d’armement estimé, selon la presse, à 110 milliards de dollars. Un contrat symbolique qui sonne comme une menace adressée à l’Iran que Téhéran prend avec beaucoup d’humour d’ailleurs.
Je tenterai d’être laconique mais permettez-moi de vous rappeler que le Qatar a plusieurs fois insisté ces derniers mois sur l’importance d’inclure l’Iran dans le dialogue régional, au lieu de poursuivre une politique isolationniste absurde, contre-productive et qui ne fait que transformer le Moyen-Orient en une poudrière. Il suffit d’une simple erreur de calcul d’une de ces puissances (Arabie Saoudite et l’Iran) pour que toute la région s’embrase.
C’est ce rapprochement entre le Qatar et l’Iran qui a été à l’origine de la crise diplomatique à laquelle nous assistons. Si l’Arabie Saoudite prétend avoir rompu ses relations diplomatiques avec le Qatar pour le simple motif que celui-ci finance des organisations dites terroristes, c’est du pipeau, une vaste blague.
Toutes les puissances du Moyen-Orient soutiennent d’une manière ou d’une autre des mouvements qui ont enfreint le droit international en se livrant à des actes que l’on peut qualifier de terroriste. L’Iran a son Hezbollah, l’Arabie Saoudite a son Al-Qaida et le Qatar à ses Frères Musulmans.
Me voilà au vif du sujet ! J’ai été très surpris en apprenant ce mercredi que le Sénégal a rappelé son ambassadeur au Qatar. Il s’agit là d’une énième gaffe commise par un gouvernement en manque d’inspiration et qui ferait mieux de se focaliser sur ses problèmes internes : la hausse du chômage, la corruption et le népotisme qui gagnent du terrain, l’immigration clandestine des jeunes, la vie chère, les salaires impayés des fonctionnaires…
Je rappelle qu’il ne s’agit pas de la première erreur commise par Macky Sall. N’oubliez pas qu’en 2015 le président sénégalais avait proposé l’envoi de plus de 2 000 soldats Sénégalais au Yémen pour combattre des Houthis soutenus par l’Iran. Donc, il prenait ainsi ouvertement position dans un conflit régional qui oppose deux puissances régionales et dans laquelle, permettez-moi l’expression, le Sénégal n’a rien à foutre.
Cette volonté du président sénégalais de vouloir à tout prix séduire Riyad quitte à mettre en danger les propres intérêts du Sénégal est le signe que le gouvernement en place a encore beaucoup de leçons à apprendre en matière de diplomatie. Et derrière cette décision ridicule qui frise le suicide diplomatique se cache une Arabie Saoudite extrêmement forte qui ridiculise ses pions aux yeux du monde entier. L’Egypte est devenu une marionnette, les pays des Emirats Arabes Unis sont devenus des soumis (sauf le Qatar) et le Sénégal risque, évidemment, de devenir le petit nègre Béni-oui-oui.
Il est temps de faire comprendre à ce président sénégalais que maintenir une relation diplomatique solide avec le royaume saoudien est dans l’intérêt du Sénégal (je n’en doute pas un seul instant). Cependant, en bradant notre diplomatie par la prise de décisions précipitées, irréfléchies à deux balles, nous finissons par être le dindon de la farce.
Monsieur Sall parle de rupture diplomatique, alors pourquoi son gouvernement ne rompt-il pas ses relations diplomatiques avec les Etats-Unis où depuis plus de cinq ans on assiste à un véritable génocide contre les populations noires, arabes et latinos ? Tout gouvernement qui brade sa diplomatie brade aussi sa souveraineté. Macky Sall ne l’a peut-être pas encore compris mais avec lui la diplomatie sénégalaise est devenue un bateau qui s’échoue.
Edito signé Cheikh Tidiane DIENG, rédacteur en chef du site Lecourrier-du-soir.com
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