(Analyse de Hamid Enaya)
Le 2 janvier, au cinquième jour de la révolte populaire qui a récemment secouée l’Iran, Hassan Rohani, le président du régime iranien, appelait son homologue français, Emmanuel Macron, pour se plaindre du mouvement d’opposition iranien des Moudjahidine du Peuple, installé à Auvers-sur-Oise, en banlieue parisienne. Dans sa communication téléphonique, il les taxait de « terroristes » et exhortait la France d’entraver l’action du principal mouvement d’opposition au régime qui a son siège international en banlieue parisienne.
Une semaine plus tard, c’était au tour d’Ali Khamenei, la plus haute autorité du pouvoir, de tirer à boulet rouge contre ces opposants déterminés qui ont joué un rôle marquant dans les manifestations qui ébranlèrent le régime islamiste à travers leurs réseaux de résistance à l’intérieur et leur capacité de mobilisation sur la toile. Khamenei a mis en garde, le 9 janvier lors d’une intervention télévisée, sur le danger qui menace son régime et a fustigé le mouvement de Résistance pour avoir « planifié depuis des mois les récents troubles dans le pays».
Dans sa diatribe contre le mouvement, Khamenei a déclaré : « Depuis plusieurs mois les Monafeghine (hypocrites, terme péjoratif utilisé par le régime pour désigner les Moudjahidine du Peuple) s’étaient organisés, allant rencontrer telle ou telle personne, identifiants des gens dans le pays pour leur demander de les aider, pour qu’ils s’emploient à lancer des appels à la population, lancer le slogan ‘non à la vie chère’. Eh bien, c’est un slogan qui plait à tout le monde. Ce slogan a pu attirer certaines personnes. Ensuite, ils pouvaient entrer en action pour poursuivre leurs objectifs et entraîner la population avec eux ».
Si Rohani a demandé à la France de museler l’OMPI qu’il a qualifié de « groupe terroriste », Khamenei a ordonné à ses sbires de ne pas épargner les sympathisants du mouvement arrêtés dans les manifestations. Amnesty international et l’ONU ont alerté sur le danger de maltraitance et de torture contre les prévenues dont la grande majorité est constituée de jeunes. Au moins 25 manifestants ont été tués par balles lors de la répression des rassemblements, et cinq autres seraient morts sous la torture selon Amnesty International.
Qui sont ces opposants farouches ?
Cela fait 40 ans que la théocratie iranienne persécute ses opposants, dont les plus farouches sont devenus la bête noire du régime des mollahs. L’organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI) est aujourd’hui considéré la principale force d’opposition au régime iranien, bénéficiant d’une organisation structurée et efficace dans le pays.
Le mouvement a été fondée en 1965 par des universitaires iraniens issue de la mouvance favorable au premier ministre Mohammad Mossadegh, figure qui incarnait le désir de démocratie du peuple iranien. Dès l’origine, les fondateurs de l’OMPI, Mohammad Hanifnejad, Saïd Mohsen et Ali Asghar Badizadegan, présentent cette organisation comme un parti qui s’inscrit dans le même combat social qui a doté l’Iran d’une constitution calqué sur celle de la France et de la Belgique. Une organisation militante qui lutte pour l’instauration d’un système pluraliste, laïque et indépendant en Iran.
Après la chute de la dictature du Chah, à laquelle elle a contribuée, l’OMPI a refusé d’accepter la théocratie imposée par Khomeiny. Elle développé une interprétation moderne et démocratique de l’islam et lutte depuis 52 ans pour instaurer la démocratie et les droits de l’homme en Iran.
Le terme « Modjahedine » en persan moderne signifie combattants de la liberté. Ce nom remonte à la révolution constitutionnelle de 1906, lorsque les combattants de la liberté, dont beaucoup de chrétiens et de zoroastriens, étaient également appelés Modjahidines. L’OMPI a participé à la création d’une coalition, le Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), qui fonctionne comme le parlement de la Résistance.
Une lecture séculière de l’islam
Faussement qualifié de marxistes-islamiques par la SAVAK du Chah et l’appareil de propagande de Khomeiny, l’interprétation contemporaine et démocratique que font les Modjahedines iraniens de l’islam enflamme les intégristes islamistes, dont ils se réclament l’antithèse. C’est cette interprétation qui les a rapidement opposés à Khomeiny, chef de file intégriste, bien avant son arrivée au pouvoir en 1979. Il a désavoué les Modjahedine du Peuple et rejeté leur interprétation de l’islam comme « déviée, éclectique et hérétique ».
Contrairement aux intégristes qui considèrent « Dieu » comme la seule source de légitimité politique, l’OMPI maintient que des élections libres et équitables sont le seul indicateur de la légitimité politique et appuient leur démonstration sur les enseignements du Coran et d’autres sources islamiques. L’OMPI est le premier mouvement de masse musulman à avancer des arguments théoriques et érudits démontrant que, contrairement aux conceptions des intégristes, il n’y a pas de contradiction entre d’un côté l’islam, et de l’autre la civilisation moderne et les valeurs de la laïcité société démocratique, tolérante et pluraliste.
Malgré la répression brutale du régime des mollahs, notamment l’exécution de 120.000 de leurs membres et partisans ces vingt dernières années, l’OMPI et le CNRI ont plusieurs fois annoncé que s’il y avait des élections libres et équitables en Iran sous l’égide des Nations Unies, ils renonceraient à appeler au renversement du régime et respecteraient le vote du peuple comme seul critère de légitimité politique.
Alors que les intégristes et les mollahs au pouvoir en Iran préconisent l’usage de la violence, même contre les civils ordinaires et innocents, l’OMPI a préconisé l’abolition de la peine de mort, l’interdiction de la torture, l’instauration de l’Etat de droits en conformité à la déclaration universelle des droits de l’homme.
Après la révolution de 1979
Après le renversement du régime du chah en février 1979, riche de son aura gagné lors d’une résistance courageuse de ses membres dans les prisons du chah, l’OMPI est devenu très populaire au point d’inquiéter le nouveau pouvoir. Leur journal, Modjahed, avec un tirage quotidien de 500.000 exemplaires, était le plus important du pays. Des millions de personnes assistaient à leurs meetings à travers le pays.
Pour contrer la popularité croissante de l’opposition, le régime des mollahs a intensifié sa répression. Les bureaux de l’OMPI ont été fermés, leurs journaux déclarés hors-la-loi et leurs manifestations interdites. Le 20 juin 1981, 500.000 Téhéranais manifestaient pacifiquement à l’appel de l’OMPI pour protester contre la montée de la répression. Cette manifestation est réprimée dans le sang sur ordre de Khomeiny.
Des dizaines de personnes ont été tuées et des milliers d’autres arrêtées. Alors que la nuit tombait, les exécutions de masse commençaient dans les prisons de tout le pays. Des milliers de personnes ont été exécutées en l’espace de quelques semaines. L’apogée du massacre survint durant l’été 1988, suite à une fatwa (décret religieux) de Khomeiny qui a ordonné de liquider tous les prisonniers politiques sympathisants de l’OMPI. Alors que ces derniers purgeaient leur peine et certains étaient sur le point d’être libérés. 30 000 prisonniers politiques ont été massacre en quelques semaines.
Le printemps persan
La jeunesse en quête de liberté semble qu’il n’y a aucun salut au sein des factions de ce régime et qu’il faut réclamer le renversement de ce système.
Le régime théocratique se trouve sur un terrain glissant, et la population iranienne est inébranlable dans sa quête pour le renverser. Le mythe, selon lequel les Iraniens font la distinction entre les modérés et les radicaux à Téhéran a volé en éclats.
La violence du régime est le signe de son extrême fragilité. Son acharnement contre l’OMPI pourrait avoir des effets inverses à ceux recherchés et augmenter encore la popularité du mouvement. Le feu couve sous les cendres en Iran, alors que les Iraniens se préparent pour le printemps persan. Ils comptent réaliser le rêve d’un Iran moderne et démocratique. Le processus de renversement du régime a déjà commencé et l’année 2018 présage de grands bouleversements pour l’Iran.
(Cette analyse est faite par Hamid Enayat, journaliste iranien basé à Paris. L’analyse n’engage que son auteur. Elle ne reflète, en aucun cas, la ligne éditoriale du média www.lecourrier-du-soir.com)
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