(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG)
« La religion est l’opium du peuple », disait Karl Marx. Moi, je dis qu’au Sénégal, le culte de la personnalité est devenu l’opium des partis politiques.
En effet, ces derniers jours, nous avons tous assisté à un véritable cirque qui déshonore tous les libéraux du Sénégal qui se sont pourtant battus pendant plusieurs décennies derrière Me Abdoulaye Wade dans l’unique but de reconstruire un pays fragilisé à tous les niveaux : politique, économique, juridique…
En 2000, quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir, aucun libéral n’aurait imaginé qu’au bout de seulement douze ans (12 ans qui marquent le règne du PDS), le PDS en arriverait à un tel niveau de bassesse qui indigne plus d’un. Il faut oser le dire, ce parti qui avait fait rêver des milliers de sénégalais en 2000 est tombé bien bas.
Les querelles intestines, l’absence d’un leadership fort, le manque de vision politique de certains de ces membres et le culte de la personnalité autour de Me Wade et de son fils Karim ont fini par porter le dernier coup de poignard à un parti politique qui saigne et dont les jours sont désormais comptés.
Je tenais à livrer ma modeste opinion sur la crise qui secoue le PDS (Parti Démocratique Sénégalais) à seulement quelques mois de la présidentielle de 2019. Une présidentielle cruciale pour le parti qui, n’en déplaise à ses milliers de sympathisants, n’est plus la première force de l’opposition.
J’ai évoqué dans le premier paragraphe le culte de la personnalité devenu, à mon avis, le véritable problème auquel le PDS est confronté. Force est de reconnaître que depuis la chute du parti en 2012, l’homme fort du mouvement qui a récemment soufflé ses 90 bougies n’a eu qu’une seule idée dans la tête : imposer aux membres du PDS la candidature de son fils (Karim Wade) à la présidentielle de 2019.
Je trouve d’ailleurs que c’est un pléonasme que d’affirmer que l’objectif principal de Me Abdoulaye Wade est d’imposer son fils au détriment des autres hommes politiques du parti capables de battre campagne et d’obtenir des résultats que Karim n’obtiendrait pas. Rappelons qu’à partir de son second mandat, Wade a tout fait pour renforcer son fils en le dotant, en 2009, d’un juteux poste ministériel : ministre d’Etat chargé de la Coopération Internationale, de l’Aménagement du Territoire, des Transports aériens et des Infrastructures.
A la chute du père, Karim est immédiatement dans le collimateur du régime en place : celui de Macky Sall, démocratiquement élu en 2012. En guerre contre Abdoulaye Wade qui a été son mentor politique avant la fin tragique de leur lune de miel, Macky Sall actionne ses réseaux au niveau de la justice pour accabler Karim qui, en 2013, sera accusé par la justice sénégalaise d’avoir détourné 178 millions d’euros entre 2000 et 2012.
Karim est-il responsable de ce dont il est accusé ou a-t-on tenté de l’éliminer politiquement ? Aux juges en charge du dossier de répondre à ces questions ? Difficile de revenir sur toutes les péripéties ayant marqué cette enquête judiciaire qui a tenu en haleine la presse nationale et internationale. Je tenterai simplement d’être laconique et précis.
En 2016, Karim Wade bénéficie d’une grâce présidentielle. « Le Président de la République, par le décret n° 2016-880 du 24 juin 2016, a gracié Messieurs Karim Wade, Ibrahim Aboukhalil dit Bibo Bourgi et Alioune Samba Diassé », précisait un communiqué de la présidence de la République Sénégalaise datant du 24 juin 2016.
Immédiatement après l’annonce de sa grâce présidentielle, Karim Wade s’envole pour le Qatar. Les raisons qui expliquent son départ vers ce pays restent un véritable mystère. En tout cas, au sein de l’opposition sénégalaise, notamment chez les partisans du PDS, il n’a jamais été question de grâce présidentielle, mais plutôt d’un exil forcé à Karim, à contrecœur.
Nous sommes en octobre 2018 et la présidentielle arrive à grand pas. L’Etat sénégalais a fixé la date du 24 février 2019 pour le vote. D’ici là, la campagne présidentielle bat son plein. Le parrainage des candidats a déjà commencé sur toute l’étendue du territoire sénégalais. Mais, jusqu’ici, motus et bouche cousue sur le sort de Karim Wade.
Etait-il inclu dans la grâce présidentielle que le fils d’Abdoulaye Wade devait monnayer sa libération contre un refus de se présenter à la présidentielle ? Tout ce que nous savons est que le ministère sénégalais de l’Intérieur n’a pas inscrit Karim sur les listes électorales, une inscription pourtant obligatoire pour être éligible. En conséquence, juridiquement, il ne peut pas être candidat.
Alors, si Karim Wade n’ose plus fouler le sol sénégalais et que son nom n’est pas inscrit sur les listes électorales, doit-on saborder les chances du PDS à la présidentielle 2019 ? Est-il raisonnable de penser un seul instant que sans Karim Wade, le PDS sabotera la tenue de l’élection présidentielle ?
A mon avis, le culte de la personnalité qui n’a que trop durer au PDS est en train d’anéantir toutes les chances du parti et au-delà celles de ses centaines de présidentiables qui pourraient se substituer à Karim Wade. Au bout du compte, les militants du PDS doivent comprendre que le Sénégal n’est pas une monarchie et que le parti peut bien se passer du fils de l’ancien président.
Cette semaine, il y a eu un rebondissement ubuesque dans cette affaire. En effet, à la suite de l’annonce inopinée de Me Madické Niang de se porter candidat à la présidentielle 2019, Abdoulaye Wade (qui ne veut aucune autre candidature que celle de son fils) a agi comme un despote. « Maître Madické Niang vient de franchir le Rubicon en faisant une déclaration publique annonçant sa candidature à l’élection du président de la République », pouvait-on lire dans un communiqué datant du 4 octobre et dont l’auteur serait l’ex président sénégalais.
Ce qui me dépasse et me sidère profondément dans cette histoire est qu’une médiation serait en cours au sein du parti pour empêcher que Madické Niang (l’une des plus importantes figures du PDS) devienne candidat à la présidentielle de 2019. C’est en tout cas ce qu’a fait savoir la presse sénégalaise ce 5 octobre 2018.
On ne va pas me dire que Madické Niang qui est aussi qualifié (voire plus qualifié) que Karim Wade va surseoir à sa décision pour faire plaisir au « Roi Wade » qui ne veut que d’une seule candidature : celle du « Prince Karim ? Il est vraiment temps que le peuple sénégalais se réveille et qu’il cesse d’agir comme des moutons de panurge.
Le temps de Wade est révolu et il est hors de question qu’il impose quoi que ce soit à qui que ce soit. Je n’ai rien contre son fils, mais je trouve grotesque, voire insultant qu’un ex président veuille imposer à son parti une candidature qui ne fait pas l’unanimité sous le simple prétexte qu’il est le fondateur de ce dit parti.
Nous voulons être une démocratie et les partis politiques qui aspirent à diriger le Sénégal doivent agir dans ce sens. Je tiens à souligner que dans les grandes démocraties (Etats-Unis, France…), des primaires sont organisées pour éviter ce genre de situations totalement ridicules, anti-démocratiques et qui ternissent l’image de tout un pays.
Je ne suis pas un militant politique et cela m’est complètement égal que le PDS gagne ou perde les élections. Toutefois, je tenais simplement à signaler que le PDS a totalement basculé dans la version la plus brutale et la plus ignoble du culte de la personnalité : celle où seuls comptent les desiderata du tout-puissant chef, en l’occurrence Me Abdoulaye Wade.
Edito signé : Cheikh Tidiane DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com
Email : cheikhdieng05@gmail.com