La suppression des remontées d’informations est au cœur du débat judiciaire en France, notamment depuis la nomination d’Eric Dupond-Moretti, avocat très controversé qui, ces dernières années, a eu à défendre d’importantes personnalités politiques dont Jérôme Cahuzac ou encore Patrick Balkany.
En effet, avec sa nomination comme Garde des Sceaux, beaucoup craignent qu’il n’intervienne en personne dans des dossiers très sensibles tels que l’enquête pour viol qui vise Gérald Darmanin, actuel ministre de l’Intérieur ou qu’il n’intervienne en personne pour noyer tout dossier pouvant compromettre les chances d’Emmanuel Macron de briguer un second mandat.
Ces hypothèses sont d’autant plus fondées qu’Eric Dupond-Moretti est arrivé à ce poste à un moment où la justice française est extrêmement fragilisée par trois scandales : l’affaire Fillon dans laquelle l’ex procureure du Parquet National Financier (PNF) Eliane Houlette dit avoir subi des pressions, les récentes écoutes des proches de Nicolas Sarkozy par le même PNF ou encore l’affaire Kohlex, secrétaire-général de l’Elysée qui serait acquitté par le PNF peu après avoir reçu une lettre d’Emmanuel Macron.
Tous ces scandales qui ont récemment éclaté et qui donnent le sentiment que la justice française est instrumentalisée pour blanchir des proches du pouvoir ou inculper des opposants gênants font trembler la magistrature qui craint, avec l’arrivée de Dupond-Moretti, que la situation empire.
D’ailleurs, ce 7 juillet, dans un communiqué publié par la Conférence Nationale des Procureurs de la République (CNPR), l’inquiétude était palpable. « S’il ne saurait être question de commenter une décision qui relève du pouvoir du président de la République, les nombreux propos qui ont pu être tenus par le nouveau ministre lorsqu’il exerçait en qualité d’avocat suscitent des inquiétudes et des interrogatoires de la part de l’ensemble des Magistrats du Ministère Public de première instance dont l’engagement quotidien doit être souligné », pouvait-on lire.
Communiqué de presse de la conférence nationale des procureurs de la République suite à la nomination d’Éric #DupondMoretti pic.twitter.com/JYjPJPzeNu
— Thibault Malandrin (@tibomalandrin) July 7, 2020
Face à ces inquiétudes suscitées par sa nomination, Eric Dupond-Moretti a pris une décision très forte. Pour éviter la critique de conflits d’intérêts, il a en effet quitté son cabinet d’avocat. Le cabinet qui s’appelait « Dupond-Moretti et Vey » est désormais rebaptisé « Vey et Associés ». Mais, une telle décision risque de ne pas calmer ses détracteurs qui ont été nombreux à lui rappeler ses positions très dures contre l’Etat sur des dossiers extrêmement sensibles.
Rappelons qu’il y a deux semaines, l’actuel ministre de la Justice a tenu des propos incendiaires sur la justice lorsqu’il a été révélé dans la presse que le PNF espionnait des avocats de renom, dont lui. Son coup de gueule sur LCI n’est pas passé inaperçu. « C’est insupportable ça et je vais déposer une plainte. Je ne suis pas sûr qu’elle n’aboutisse pour ne rien vous cacher », tonnait-il.
🔴Affaire #Sarkozy : mise sur écoute de E. Dupond-Moretti
🗣 E. Dupond-Moretti :
« Je vais déposer une plainte, je ne suis pas sûr qu’elle aboutisse (…) On est en pleine dérive »
📺Ses explications dans #AudreyAndCo @audrey_crespo pic.twitter.com/Ve26TrncJ2
— LCI (@LCI) June 25, 2020
A la question de savoir pourquoi elle n’aboutirait pas, il répond : « vous savez, des violations de l’instruction, il y en a tous les jours dont bénéficient certains journalistes privilégiés. Garons-nous aussi de la morale publique. Il n’y a jamais eu une de ces procédures qui a abouti. (…) On est en pleine dérive! On est en pleine dérive! »
Et d’ajouter : « on va surveiller pendant 15 jours mes facturations détaillées, pour savoir qui j’appelle, de qui je reçois des appels. Cela viole à la fois l’intimité de ma vie privée, cela viole mon secret professionnel et le secret de mes correspondances. (…) On a basculé dans la République du juge. C’est un immense danger pour la démocratie. Quand les dictatures arrivent, les premiers qu’on touche, ce sont les journalistes et les avocats ».
Onze jours plus tard, le 6 juillet, Eric Dupond-Moretti, contre toute attente, est nommé ministre de la Justice pour succéder à Nicole Belloubet. Face à cette situation, beaucoup craignent que sa nomination (voulue par Emmanuel Macron comme l’a révélé Jean Castex sur RMC ce mercredi 8 juillet) ne serve qu’à bloquer tout dossier qui pourrait éventuellement mettre l’Exécutif dans l’embarras.
Pour l’instant, tout n’est qu’hypothèse. Mais, depuis sa nomination, la nécessité de supprimer les remontées d’information n’a jamais été aussi pressante. En tout cas, selon France Inter, le gouvernement est en train de travailler d’arrache-pied pour « identifier toutes les procédures où Eric Dupond-Moretti est intervenu en tant qu’avocat et d’interdire toute remontée d’informations les concernant ». L’idée est à saluer. Mais, sa mise en pratique semble relever de l’utopie.