Dire que les pays africains ne sont que des républiques bananières est pure mensonge. Dans de nombreux pays du continent, il est évident que la justice marche clopin-clopant. Toutefois, toute tentative de généralisation est une erreur grotesque qui relève d’un manque de connaissance de l’Afrique chez certains.
Le Kenya vient de donner une leçon spectaculaire à plusieurs pays africains, notamment le Sénégal. Pour comprendre mes propos, permettez-moi de contextualiser. En effet, ce lundi, la justice kenyane a lancé un vaste coup de filet contre des dirigeants politiques de premier plan, tous impliqués dans une grave affaire de corruption.
Pour tout comprendre, les dirigeants politiques arrêtés sont tous cités dans une affaire de construction de deux barrages. Dans cette affaire, on parle d’un contrat de 450 millions de dollar signé avec l’entreprise italienne CMC de Ravenna. Les faits qui leur sont accusés sont extrêmement graves.
En effet, la construction des deux barrages étaient estimés à 46 milliards shillings (monnaie kenyane), soit environ 450 millions de dollars. Mais, le prix a été gonflé de 17 milliards de shillings. Et rien que pour la construction de ces deux barrages, le gouvernement a dû emprunter 40 millions d’euros et dit avoir déjà payé 19 milliards de shillings dans ce projet.
Après une enquête minutieuse menée pendant plusieurs mois, le procureur de la République, Noordin Haji a ordonné ce lundi l’arrestation sans délai de Henry Rotchi, ministre kenyan des Finances et 27 autres personnalités de premier plan qui ont pris part à ce scandale d’Etat qui secoue le pays.
« Beaucoup de règles ont été bafouées dans l’acquisition de ce contrat et tout a été fait pour s’assurer que l’entreprise italienne CMC di Ravenna gagne le marché », a déclaré le procureur. Et d’ajouter : « les personnes que nous poursuivons aujourd’hui avaient été mandatées à sauvegarder l’intérêt public, mais ont échoué. (…) Je suis satisfait qu’il y ait suffisamment de preuves pour les mettre en cause et les poursuivre ».
Pour réunir toutes les preuves ayant mené à l’arrestation du ministre des Finances, le procureur kenyan et son équipe ont dû faire le tour du monde. En effet, ils se sont rendus en Grande-Bretagne et en Italie afin de demander de l’aide à leurs collègues présents dans ces pays dans le but d’éclairer la lanterne des Kenyans.
Je n’insisterai pas sur tous les détails de cette affaire relayée par la presse kenyane et internationale. Ce qui m’intéresse ici est de constater la probité et la liberté d’action d’un procureur qui vient de faire tomber le ministre des finances d’Uhurru Kenyatta, actuel président du pays.
Un détail très important à souligner est l’attitude de l’Exécutif qui aurait pu faire entrave à la justice (comme c’est le cas un peu partout en Afrique) mais qui a préféré s’écarter totalement afin que justice soit faite. Comparée à l’Affaire Pétro-Tim au Sénégal, où Aliou Sall, frère de Macky Sall (président de la République) est accusé d’avoir perçu 250 000 dollars dans un contrat de pétrole dont les termes sont plus que flous, on constate très vite que la justice sénégalaise est agonisante, pour ne pas dire morte.
Je rappelle que depuis les révélations de l’Affaire Pétro-Tim par la BBC, aucune perquisition n’a été faite par la justice sénégalaise dans les bureaux d’Aliou Sall à Dakar. Je rappelle que le frère du président sénégalais n’a été contacté par la DIC (Division Investigation Criminelle) que quelques semaines après les faits. Je rappelle aussi qu’un mois après les faits, la DIC vient de traquer les comptes bancaires de Sall.
Cette lenteur de la justice sénégalais est la preuve qu’elle n’a absolument pas envie de mettre les choses au clair et qu’elle cherche à gagner du temps pour étouffer l’un des scandales les plus sérieux de l’Histoire de notre pays. D’ailleurs, Aliou Sall est loin d’être inquiété par cette affaire dans laquelle lui et son frère sont totalement impliqués. La preuve, en pleine enquête, il a été filmé dans un restaurant chic d’une ville européenne dégustant, comme un petit prince et sourire aux lèvres, un copieux repas.
Il est presque sûr à 99,99% que tant que son frère restera président du Sénégal, Aliou Sall, en dépit de toutes les preuves réunies contre lui, n’ira jamais en prison. Pendant ce temps, Khalifa Sall, ex maire de Dakar et opposant à Macky Sall, est en prison pour « corruption » et Karim Wade, fils de l’ex président Abdoulaye Wall, lui aussi accusé de corruption, a été contraint à s’exiler au Qatar. Au Sénégal, en 2019, nous en sommes là.
La justice kenyane vient de donner une sacrée leçon (pour ne pas dire une sacrée claque) à une justice sénégalaise corrompue et totalement à la solde de l’Exécutif. L’attitude courageuse du procureur kenyan Noordin Hajj mérite une attention particulière de nos dirigeants politiques, notamment de nos juges qui ont tous failli à leur mission.