(Une analyse de Hamid Enayat, journaliste iranien vivant à Paris)
La récente élection présidentielle en Iran, qui a vu la réélection du président Hassan Rohani, a été une excellente occasion de rappeler la réalité du système politique iranien.
En effet, depuis des années, le régime iranien tente de faire valoir à l’Occident qu’il existe un mouvement réformiste, et qu’il nécessite ses encouragements par une complaisance face aux violations des droits de l’homme dans le pays. Cette propagande dissimule que le Guide suprême iranien détient tous les pouvoirs exécutifs, et que tous les candidats aux élections doivent être approuvés par le pouvoir. Par conséquent, il est impossible d’évoquer une véritable élection démocratique, ni un président véritablement représentatif.
Contrer le rôle du guide suprême et ses pasdaran
En Iran, le président n’est pas le plus haut dirigeant. Cette responsabilité revient au Guide suprême, qui a le dernier mot sur tous les sujets importants de l’État. Les pouvoirs du président sont donc limités par l’autorité du Guide suprême, mais également par les religieux. En outre, c’est le Guide suprême Ali Khamenei qui contrôle les forces armées iraniennes et décide de la défense, de la sécurité et des aspects clés de la politique étrangère.
Par ailleurs, bien que le président puisse intervenir dans l’administration des affaires, il peut être contourné par le corps des gardiens de la révolution islamique (Pasdaran) ou les religieux par le biais du pouvoir judiciaire. C’est pourquoi la marge de manœuvre d’Hassan Rohani pour libéraliser le pays est très ténue. Reste à savoir s’il en a vraiment la volonté, quand on sait que sous son mandat l’Iran a continué de détenir le palmarès mondial du plus grand nombre d’exécutions par tête d’habitant.
Pour réformer le système, il lui faudra s’ériger de façon frontale contre le Guide suprême en exigeant une révision de la constitution qui lui donne le pouvoir absolue. D’autre part il devra contrer l’influence des pasdaran sur l’économie iranienne. En effet, la puissance économique du pays n’est pas aujourd’hui mise au service du développement du pays, mais à la survie du régime à l’intérieur et à l’expansion de son influence à l’extérieur. Il s’agit d’une économie totalement sous contrôle, au service de la répression et de la guerre. En 2017, 70 % des 37 milliards d’euros de recettes pétrolières ont été utilisés en dépenses militaires, notamment pour faire la guerre en Syrie, en Irak ou au Yémen.
À la tête d’une de ces puissances économiques au service de la théocratie, il y a Ebrahim Raissï, le principal rival de Rohani lors de la récente élection. Ce favori du Guide suprême a été nommé en 2016 à la tête de la Fondation “Astan-e Qods-e Razavi”, une puissante holding propriétaire de centaines de filiales actives dans de nombreux secteurs de l’économie iranienne. Censées être au service des plus démunis, les fondations de ce genre représentent un empire économique et financier, une grande part du PIB du pays, et un puissant outil d’influence sur la politique iranienne. Tout cela sous la seule autorité du Guide Suprême.
Un tabou a été brisé
La candidature d’Ebrahim Raïssi à la présidentielle a fait ressurgir au grand jour l’un des épisodes les plus sombres de l’histoire contemporaine du pays. Cette principal figure de l’extrémisme iranien a échoué à conquérir le pouvoir le 19 mai dernier, mais son échec a aussi été celui de son mentor. En effet, Khamenei est de plus en plus affaiblie par les luttes pour le pouvoir que se livrent les différentes factions du régime. Une situation inédite qui fragilise la théocratie et présage des horizons tumultueux pour le pouvoir.
L’élection iranienne a eu le bénéfice de briser un tabou majeur que le régime avait cherché à préserver concernant un épisode sombre de l’histoire contemporaine de l’Iran : le rôle des dirigeants dans un effroyable crime contre l’humanité durant l’été de 1988. En proposant la candidature d’Ebrahim Raïssi, c’est l’ancien membre de la « commission de la mort » qu’Ali Khamenei a propulsé au-devant de la scène iranienne.
Une décision perçue comme une maladresse politique de la part du guide qui n’avait pas mesuré le caractère explosif de ce sujet hautement sensible. Chargée en 1988 de l’élimination des prisonniers politiques récalcitrants dans les prisons iraniennes, une délégation quadripartite a été désignée par Rouhollah Khomeiny, fondateur de la république islamique, pour appliquer un ukase de mise à mort des prisonniers restés fidèles à leurs convictions.
Quelques 30 000 prisonniers politiques, pour la plupart des sympathisants du mouvement des Moudjahidine du Peuple et des forces de gauche, ont été pendus à travers le pays. Des prisonniers qui purgeaient des peines de prison, pour la plupart de jeunes étudiants, ont été rejugés de façon expéditive et condamnée à mort pour « corruption sur terre » et « guerre contre Dieu ».
Une tragédie humaine classée par Amnesty International comme « un crime contre l’humanité resté impuni », alors que la FIDH a déploré l’attitude des autorités qui ont « systématiquement refusé de communiquer aux familles l’emplacement de la dépouille de leurs proches ».
Une campagne internationale a été lancée pour traduire les auteurs devant une juridiction internationale. Les étudiants et les militants de la société civile ont profité du contexte électoral pour demander des comptes aux autorités sur leurs rôles dans la terrible tuerie dont le spectre continu de hanter les tenants du pouvoir islamiste.
Les militants des droits de l’Homme n’ont pas non plus épargné la faction d’Hassan Rohani, critiqué à la fois pour ses promesses non tenues d’ouverture politique et pour avoir choisi comme ministre de la justice un autre membre de la « commission de la mort », le sinistre Mostafa Pourmohammadi.
Les autorités iraniennes ont voulu faire du scrutin électoral une démonstration de légitimité pour leur régime. Par leur campagne pour le boycott de la mascarade électoral et les appels à la justice pour les victimes de l’ineffable crime de 88, les démocrates iraniens ont su montrer que la quête pour la justice reste vivace en Iran.
Analyse de Hamid Enayat, journaliste iranien vivant en France.
Cette analyse n’engage que son auteur. Elle ne reflète en aucun cas la ligne éditoriale du média Lecourrier-du-soir.