Nombreux ont été les Sénégalais-e-s pris de court par les fuites de sujets massives enregistrées lors des épreuves du bac 2017. Je viens d’apprendre ce jeudi, sans grande surprise, que les gendarmes ont mené une perquisition à l’office du bac et que Babou Diakham, directeur de l’office, a été entendu sur place.
Les Sénégalais-e-s n’ont, à mon avis, aucune raison de manifester leur étonnement par rapport à la tournure qu’ont pris les choses. Rappelons que ces nombreuses fuites de sujets se déroulent dans le pays qui, pendant au moins trente décennies, a eu le meilleur système éducatif en Afrique subsaharienne, bien que les conditions de travail y aient toujours fait défaut.
Dans toutes les disciplines (Mathématiques, Physiques, Histoire, Chimie, Médecine, Français, Anglais, Arabe, Philosophie…), les Sénégalais se sont hissés au-dessus de leurs camarades africains, malgré tout le respect que j’ai pour ces pays. Mais, depuis quelques années, nous avons assisté à la mort lente d’un système éducatif qui a essuyé les plâtres d’une gestion calamiteuse.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est la fin de vie d’un système éducatif, jadis performant, mais qui ne fait plus rêver. Alors, pourquoi le système éducatif sénégalais ne fait plus rêver ? Répondre à cette question devient une obligation. Je n’entrerai pas dans une analyse profonde car à mon avis des spécialistes du système éducatif sénégalais feront ce travail. Mais, en tant que produit de cette école, j’ai le droit, comme tout citoyen, de tirer la sonnette d’alarme.
Le système éducatif sénégalais a été pris en otage par des criminels qui n’y ont jamais cru et dont les enfants n’ont probablement jamais mis les pieds dans nos écoles. En 2016, le budget alloué à l’éducation nationale sénégalaise était estimé à 402 790 138 000 de FCFA, soit une hausse de 25,881 milliards de FCFA. Dans un pays du tiers-monde où l’éducation doit être une priorité, je me demande pourquoi prévoir un budget aussi colossal pour ne produire finalement que des cancres.
L’école sénégalaise est prise en otage par la corruption qui touche tous les secteurs de la société. Les diplômes se vendent et s’achètent. Les notes se négocient. Pis, les enseignants qui sont chargés d’éduquer les enfants entrent dans l’enseignement non pas par passion (comme ce fut le cas avant), mais par manque de choix. J’ai moi-même été enseignant dans une école publique du Sénégal et nombreux ont été mes collègues qui bâclaient leurs cours dans le public s’empressant d’aller grappiller quelques sous dans le privé.
Lorsque les enseignants ne font plus leur travail par passion et qu’ils sont guidés par l’appât du gain, les bases du système éducatif s’effondrent et le pire est à prévoir. Et quelque part ils (les enseignants) n’ont pas tort. Les retards de salaires, les salaires parfois impayés, les détournements de fonds par des agents du ministère sont autant de facteurs qui ont tué à feu lent le meilleur système éducatif d’Afrique subsaharienne.
J’ai parlé plus haut des diplômes qui s’achètent et qui se vendent comme des petits pains. C’est une triste réalité que nous constatons. En effet, nombreux sont les enseignants sénégalais qui servent dans le secondaire et qui sont incapables de vous écrire une lettre de cinq lignes sans commettre plus de cinq fautes de grammaire. Je me rappelle une discussion avec un jeune élève qui m’avait ironiquement fait savoir que son enseignante n’était pas capable d’écrire le mot « combien » sans y ajouter un « t ».
Et dans certaines écoles (élémentaires, collèges et lycées), le niveau de certains enseignants est pire. J’ai pu faire la remarque durant mes quatre années passées dans une université sénégalaise. Il m’arrivait en effet de discuter avec des étudiants inscrits au département de Lettres (Français) et qui, en Master 2, avaient de sérieux problèmes dans l’usage de verbes transitifs directs et indirects, leçon que j’ai apprise en classe de CM2.
Lorsque les enseignants n’ont plus les compétences qu’il faut et n’arrivent plus à impressionner les élèves, nous assistons à la débâcle. Et malheureusement, l’école sénégalaise n’a pas échappé à la règle. Une bonne partie des enseignants sénégalais (pour ne pas dire tous) traîne avec de sérieuses lacunes dans les matières qu’ils enseignent.
Certains professeurs d’anglais parlent très mal la langue de Shakespeare, certains professeurs de maths ont du mal à résoudre les équations les plus élémentaires, certains professeurs d’Histoire n’ont aucune maîtrise des faits historiques ni passés, ni modernes. C’est juste pitoyable.
La seule chose qui marche dans les écoles sénégalaise est la politique. Elle a pris un espace très important dans le fonctionnement des établissements. 95% des enseignants adhèrent à des partis politiques et n’hésitent pas à sacrifier leurs élèves pour assister à un meeting d’un partisan. Le phénomène ne date pas d’aujourd’hui, sauf qu’avant elle se faisait en toute discrétion.
Aujourd’hui, le jeune élève ou étudiant sénégalais n’a plus de modèle. Sa référence est le petit politicien véreux, avide de pouvoir qui s’habille en costume cravates, qui conduit de belles voitures et qui s’arme de démagogie pour promettre monts et merveilles. Ce nouveau type de sénégalais a brusquement fait irruption dans les établissements du pays et a tout foutu en l’air.
Avec les fuites des sujets du bac qui ont atteint un niveau record cette année, nous ne faisons qu’avaler des couleuvres. Nos gouvernants savaient que tout ou tard nous en arriverons à une catastrophe, mais ils ont préféré caresser dans le sens du poil promettant de redonner vie à un système éducatif moribond.
Face à cette situation, il est urgent de réagir vite. J’en appelle au limogeage sans condition de toutes les autorités en charge de notre éducation, à commencer par le ministre de l’éducation. On ne joue pas avec l’éducation et c’est malheureusement ce que nos gouvernants sont en train de faire. Quelle honte !
Analyse de Cheikh Tidiane DIENG
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