La pression de la rue aura fini par porter ses fruits. Le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a rendu le tablier ce 18 août dans un discours adressé au peuple malien. « Je ne souhaite qu’aucun sang ne soit versé pour mon maintien au pouvoir (…). J’ai décidé de quitter mes fonctions. (…) Je ne garde aucune rancune contre qui que ce soit. Que Dieu bénisse le Mali », a-t-il déclaré en substance.
Nul besoin d’entrer dans les détails des événements de ce 18 août qui ont cueilli à froid la communauté internationale. Personne ne s’attendait en effet à ce qu’un groupuscule de soldats mutins, dirigés par des officiers supérieurs, prennent d’assaut la garnison militaire de Kati, l’une des plus importantes du pays située à 15 kilomètres de Bamako.
Désormais, les mutins, dirigés par le Colonel Sadio Camara, ont pris le contrôle du pouvoir. Lecourrier-du-soir.com a pu apprendre que ce dernier, né en 1979 et sorti major de sa promotion de l’Ecole Militaire Inter Armes, est « assisté par plusieurs supérieurs de la Garde nationale, de la gendarmerie nationale, de la police, de l’armée de l’air et de l’armée de terre » pour reprendre l’information du site Malijet.com.
Le coup d’Etat militaire (il faut l’appeler ainsi) a eu lieu dans un contexte qui n’échappe à personne. En effet, le Mali traverse depuis plusieurs mois une véritable crise politique qui a donné naissance au mouvement M5-RFP (Mouvement du 5 Juin-Rassemblement des Forces Patriotiques) dont le leader n’est autre que l’Imam Mahmoud Dicko. Ce dernier a d’ailleurs réagi ce 18 août faisant savoir clairement qu’il n’était candidat à rien en 2023.
Donc, en résumé, un coup d’Etat orchestré par un groupe d’officiers supérieurs a désormais pris le contrôle du pays et devra, logiquement, transmettre le pouvoir à la population civile une fois qu’une date aura été fixée pour l’élection présidentielle. Car c’est tout ce qu’on attend d’eux et rien d’autre.
La question à se poser est celle de savoir pourquoi on en est arrivé là. La réponse est évidente. Le Mali, dirigé par une poignée de technocrates dont IBK qui a grandi en France, n’a su répondre aux défis auxquels il fait face : la corruption endémique et systémique qui n’a cessé de gagner du terrain, le népotisme et surtout le laxisme des autorités politiques qui ont totalement perdu le contrôle du Nord du pays aujourd’hui en grande partie entre les mains des islamistes. En conséquence, le coup d’Etat d’hier n’est que l’aboutissement d’un long processus qui met en lumière le fiasco total d’Ibrahima Boubakar Koulibaly qui n’a jamais su rassurer un peuple à bout.
Quelle leçon tirer de ce putsch? Cette question, Macky Sall, président du Sénégal et Alassane Ouattara, président de la Côte d’Ivoire, devraient se la poser. En effet, il y a un détail qui n’échappe à personne au Mali : la chute d’IBK a été en grande partie provoquée par une jeunesse en colère qui a arpenté les rues de la capitale pour manifester son ras-le-bol. Et la pression exercée sur le pouvoir a fini par payer.
En Côte d’Ivoire, nous risquons d’assister au même scénario à la suite de l’annonce récente d’Alassane Ouattara de briguer un troisième mandat à la tête du pays, ce qui est une violation totale de la Constitution ivoirienne qui, à son article 55, limite à deux le nombre de mandats présidentiels.
Je dois rappeler que ce 13 août dernier, une mini-révolte populaire, ayant fait trois morts, avait secoué les villes d’Abidjan, de Douakro, de Bonoua et de Ferkessédougou. Elle a été très vite réprimée par les forces de l’ordre qui ont réussi à prendre le dessous sur les manifestants. Quoi qu’il en soit, ce fut une mini-révolte qui prédit un grand soulèvement qui arrivera à coup sûr.
Pour ce qui est du Sénégal, le président Macky Sall dont le mandat arrive à termes maintient toujours le flou sur son avenir politique. Beaucoup, dans l’opposition, estiment qu’il briguera un troisième mandat, emboîtant ainsi le pas à son homologue ivoirien. Pendant ce temps, dans le camp présidentiel, la prudence reste de mise et compte tenu de la situation en Côte d’Ivoire, les proches du président ne veulent émettre aucune déclaration qui embraserait le pays comme ce fut le cas en 2011 lorsque l’ancien président, Abdoulaye Wade, avait voulu tripatouiller la Constitution pour se maintenir au pouvoir.
La situation au Mali est une aubaine pour Macky Sall et Alassane Ouattara qui doivent en tirer une leçon s’ils veulent éviter de sortir par la petite porte. Au Mali, c’est une jeunesse consciente des enjeux du moment, patriote et surtout responsable qui a sifflé la fin de la récréation pour IBK et ses ouailles. Le coup d’Etat militaire a uniquement servi à tourner une page sombre du pays et éviter une éventuelle guerre civile.
Au Sénégal et en Côte d’Ivoire, le climat politique est extrêmement tendu, même si pour l’heure, les deux présidents contrôlent la situation. En Côte d’Ivoire, une violation claire et nette de la Constitution a eu lieu et il n’y a aucun doute que l’opposition ivoirienne ne se laissera pas faire. Au Sénégal, le silence de Macky Sall sur son destin politique est assourdissant. Mais, en un moment donné, il se retrouvera dans l’obligation de s’adresser au peuple.
Dans les deux cas, une jeunesse prête à livrer la bataille a déjà promis de se soulever pour faire respecter la Constitution. Et je peux vous garantir que chaque soulèvement dans ces deux pays pourrait nous mener vers une crise plus profonde et plus aiguë que celle que connaît le Mali actuellement.
Existe-t-il une solution? Oui, bien entendu (et heureusement d’ailleurs). Macky Sall et Alassane Ouattara ont intérêt à éviter, à tout prix, de verser le sang mais aussi d’offrir à l’armée une immense opportunité d’opérer un putsch comme cela a été le cas pour le Mali ce 18 août. Pour cela, ils n’ont qu’à mettre fin à toute velléité de se maintenir au pouvoir contre la volonté du peuple.
Le message est désormais très clair : la vieille pratique africaine qui consistait jadis à tripatouiller la Constitution pour se maintenir au pouvoir est désuète et n’est plus tolérée sur le Continent. Car, ces dix dernières années, une jeunesse intelligente a décidé de mener le changement jusqu’au bout en assumant toutes ses responsabilités.
IBK a clairement indiqué la voie à suivre à Sall et Ouattara (et aussi Alpha Condé) qui doivent comprendre une chose : seul le peuple est dépositaire du pouvoir et seul le peuple a le dernier mot.