Macky Sall fait finalement face à la dure réalité socioculturelle du Sénégal. Et cela s’est clairement reflété dans son adresse à la Nation de ce 11 mai. En effet, au bout de plus d’un mois et demi de lutte contre le Covid-19, le chef de l’Etat sénégalais qui avait prôné un durcissement des mesures restrictives est rattrapé par la réalité socioculturelle d’un pays extrêmement complexe.
Le président sénégalais, très franco-centrique, avait, de prime abord, opté pour une politique stricte et rigoureuse telle qu’elle est appliquée en France en vue d’endiguer la propagation d’un virus qui, malgré les efforts consentis par l’Etat, est loin d’avoir dit son dernier mot. En un mois et demi, le Sénégal compte 1 886 cas positifs dont 715 guéris et 19 morts.
Dans cette lutte contre le coronavirus, l’Etat s’est achoppé à une série d’obstacles qui en aucun cas ne pouvaient laisser le président de la République indifférent. Et son discours de ce 11 mai a donné le sentiment que Macky Sall a finalement choisi la diplomatie au bras de fer, la capitulation à la guerre.
Revenons-en à son discours. Quels ont été les points sur lesquels le président étai attendu et sur lesquels il a volte-face à la toute dernière minute ?
1er point : le rapatriement des corps de ressortissants sénégalais décédés des suites de Covid-19 à l’étranger. Ce point précis avait déclenché une véritable guerre entre le pouvoir et la diaspora sénégalaise. Ce 11 mai, dans son discours, le président a finalement capitulé face à la pression des sénégalais de l’étranger, déclarant : « il sera désormais possible de procéder à ces rapatriements ». Ce retournement de veste est d’autant plus risible qu’il y a moins d’une semaine la Cour Suprême s’était alliée à l’Etat rejetant d’un revers de main la requête déposée par le Collectif de rapatriement des corps. Comment expliquer cette volte-face de dernière minute ? Seul Macky Sall nous le dira le moment venu.
2ème point : l’assouplissement des horaires du couvre-feu annoncé avant le discours de Macky par Ahmad Khalifa Niasse. Désormais, « les horaires du couvre-feu sont de 21 heures à 5 heures du matin au lieu de 20 heures à 6 heures », a fait savoir le président dans son allocution. Je rappelle que cette décision a été prise quelques jours après les incidents qui se sont produits à Médina où des jeunes avaient ouvertement bravé l’interdiction de sortie pour accueillir des proches placés en quarantaine. Aussi, dois-je ajouter que dans une note publiée le 30 avril, les forces de l’ordre faisaient état de l’arrestation de quelque 10 000 personnes pour violation des règles de l’Etat d’urgence.
Ce scénario n’est pas très loin de celui des Etats-Unis où des milliers de citoyens, lourdement armés, ont récemment défié leurs Etats exigeant la fin sans délai du confinement. En effet, il faut voir que dans ce refus de respecter les règles de l’Etat d’urgence, il y a aussi un relent de rébellion d’une partie de la population qui est obligée (ne serait-ce que pour assurer sa survie économique) de défier l’autorité étatique. L’Etat du Sénégal semble avoir parfaitement compris le message et a bien fait d’assouplir ces horaires car, à la longue, une révolte populaire n’était plus écartée.
3ème point : la réouverture des marchés hebdomadaires (plus communément appelés loumas). Là également, Macky Sall s’est heurté à la dure réalité du sénégalais moyen obligé de se livrer à une activité économique (qu’elle qu’en soit sa nature d’ailleurs) pour garder le quotidien). En rouvrant ces marchés, le plus souvent situés dans des zones rurales, l’Etat a voulu redonner une chance à celles et ceux dont la survie quotidienne dépend des quelques sous qu’ils amassent dans des activités informelles. Une décision du chef de l’Etat qui confirme que le confinement total en Afrique relève de la chimère.
4ème point : le président a annoncé l’ouverture des lieux de culte. C’est d’ailleurs le point le plus chaud noté dans son discours car nul n’ignore qu’au tout début de la crise, l’Etat avait fait face à d’énormes difficultés pour faire respecter cette consigne. Et le problème s’est intensifié ces derniers jours suite aux menaces du Khalife de Leona de rouvrir sa mosquée aux fidèles à tout prix. Et il n’a pas été le seul. Tout récemment, plusieurs marabouts et leurs disciples ont eu à s’expliquer auprès des autorités judiciaires pour avoir ouvertement bravé une interdiction du ministère de l’Intérieur. Le pouvoir maraboutique étant extrêmement puissant au Sénégal, Macky Sall a certainement préféré éviter un bras de fer qui pourrait lui coûter très cher à l’avenir.
Il n’y a pas que ces points là qui ont été notés dans le discours du président de la République. Celles et ceux qui ont eu la chance de lire l’allocution dans son intégralité se sont certainement rendu compte que le chef de l’Etat a montré un autre visage afin de ne surtout plonger le pays dans une révolte populaire qui ne joue pas en sa faveur.
Le rapatriement des corps des ressortissants sénégalais décédés de Covid-19 à l’étranger, l’assouplissement des horaires du couvre-feu (en pleine période de Ramadan), la réouverture des marchés hebdomadaires ainsi que celle des lieux de culte s’inscrivent carrément dans une logique d’apaisement.
Le Sénégal est un pays africain qui a ses réalités politiques, économiques, sociales et culturelles qui lui sont propres et que tout chef d’Etat doit prendre en compte pour éviter le pire. Macky Sall semble l’avoir finalement compris et tant mieux !