Crise en Casamance : le Sénégal paie le prix d’une politique démagogue totalement stérile

Un réveil difficile. Les Sénégalais se sont réveillés sous le choc après avoir appris l’attaque barbare perpétrée ce samedi dans l’arrondissement de Niaguis, Département de Ziguinchor. Des rebelles armés, membres du MFDC (Mouvement des Forces Démocratiques de la Casamance) ont fait irruption dans la forêt de Borofaye tuant dans la foulée 13 jeunes et blessant 9 autres.

L’information, à peine confirmée par les autorités sénégalaises, a suscité une mobilisation spectaculaire du gouvernement. Dans un communiqué, la présidence dénonce « un acte délibéré contre des civils sans défense ». Dans la presse sénégalaise, on nous apprend que le président Macky Sall a convoqué le Conseil National de Sécurité au Palais.

Les motifs de cette attaque sont d’autant plus incompréhensibles que quelques heures avant la barbarie, l’on annonçait dans la presse sénégalaise la libération de deux combattants du MFDC, branche militaire de l’indépendantisme en Casamance née en 1947. L’accord de libération de ces deux éléments a été signé à Rome entre l’Etat du Sénégal, le MFDC et la communauté Sant’Egidio.

La libération de ces deux combattants avait suscité des vagues de réactions de part et d’autre. Le geste très symbolique était perçu par beaucoup comme une lueur d’espoir. « Ce geste augure des conditions très favorables à la poursuite des négociations. (…) Ce geste des autorités du Sénégal va renforcer la confiance mutuelle entre les deux parties », avait réagi l’historien Nouha Cissé.

Ce même sentiment d’espoir avait également été partagé par la communauté Sant’Egidio dont l’engagement pour le retour de la paix en Casamance ne fait aucun doute. « Nous irons vers une paix définitive avec une définition du statut de la Casamance. Il y a des questions autour desquelles nous tournons, mais les choses s’améliorent beaucoup. Il y a une absence de violence presque totale », se réjouissait Mauro Garofalo, responsable des relations internationales de la communauté Sant’Egidio.

Pourtant, il n’a fallu quelques heures seulement pour que cette barbarie puisse avoir lieu en Casamance. Pour le moment, aucune autorité ne conforme que l’acte a été perpétré par les rebelles du MFDC, mais les empreintes laissent croire qu’il s’agit bien de ce groupe qui n’a cessé depuis des décennies de terroriser les habitants de cette partie du Sénégal.

Il est clair compte tenu de ce qui vient de se produire que le bras de fer entre le gouvernement sénégalais et le MFDC n’a pas encore connu un épilogue, contrairement à ce que nous font croire les autorités politiques sénégalaises ces dernières années. Tout n’était que du pipeau et les attaques de ce samedi le confirment.

Il faut reconnaître que le problème de la Casamance n’a jamais été très sérieusement traité par les dirigeants du pays. Se glorifiant des prouesses de l’armée qui a infligé de cuisants revers aux factions rebelles ces dernières années, les autorités politiques du pays avaient certainement pensé que le danger était enrayé, d’autant plus que les cerveaux du MFDC étaient pour la plupart morts ou en prison.

Mais, hélas, c’est tout le contraire. Je ne nie pas que ces dernières années le MFDC a été très fortement affaibli par l’armée sénégalaise, une armée mieux équipée et mieux préparée pour enrayer toute menace à l’intérieur du territoire. La présence de nos Djambar a certainement permis d’éviter le pire.

Cependant, sur le dossier de la Casamance, force est de reconnaître que les autorités sénégalaises ont fait preuve d’une démagogie quasi permanente, louant sans cesse une armée auréolée de victoires sur ses ennemis, mais niant le fait que des efforts supplémentaires devaient être accomplis.

Ceci a été une erreur colossale ayant permis au MFDC de mieux se préparer tout en faisant semblant de jouer la carte d’un retour à la paix auquel il n’a jamais cru d’ailleurs. Et les attaques de ce samedi le confirment.

Les gouvernements qui ont dirigé le pays ces dernières années ont oublié un volet très important qui aurait pu permettre, outre les victoires de nos braves soldats, d’enrayer définitivement le danger en Casamance. Ils n’ont en effet pas su écouter les doléances du peuple casamançais.

Fragilisée par des années d’instabilité qui a porté un grand coup à l’essor de cette région du Sénégal très riche en ressources naturelles, la Casamance a aujourd’hui de nombreux défis à relever et le gouvernement sénégalais a toujours été aux abonnés absents. Je parle plutôt du volet environnemental.

En Casamance, la forêt est pillée par des multinationales qui mettent carrément en danger l’environnement. Je parle notamment de l’exploitation du minerai zircon à Niafrang par une multinationale sino-australienne. Le zircon est un minerai d’une importance capitale et peut être utilisé dans des secteurs aussi différents que la joaillerie et l’industrie nucléaire. Certains spécialistes disent même que le zircon est un produit de substitution du diamant.

Une exploitation dont le coût est estimé à environ 8 millions de dollars ne plait guère à la population locale qui craint des retombées financières faibles, la dégradation de l’environnement et la santé des résidents. Des revendications tout à fait légitimes, il faut le reconnaître. Si à cela on ajoute la forêt casamançaise de plus en plus déboisée, cela devient beaucoup pour les habitants de cette partie du pays.

Des manifestations sont régulièrement organisées en Casamance et à l’étranger pour dénoncer cette dégradation de l’environnement de cette région qui regorge l’une des terres les plus fertiles du pays. En septembre 2017, l’association Internationale Casamançaise pour la Liberté avait marché dans les rues de Barcelone brandissant des banderoles sur lesquelles on pouvait lire : « la Casamance n’est pas à vendre, non au projet zircon ». Mais, l’Etat sénégalais préfère faire la sourde oreille en regardant ailleurs.

Pour remettre de l’ordre en Casamance, il est clair et net que seul le volet militaire ne suffit plus. L’Etat sénégalais devrait aussi assurer la protection de l’environnement dans cette partie du pays, en écoutant les revendications des Casamançais qui ont l’air d’être les seuls à mener ce combat.

Les victoires militaires contre le MFDC sont à saluer, mais elles ne règlent pas le conflit. Le volet social et environnemental est certainement la clé d’une résolution définitive du problème casamançais.

Edito signé : Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com

Email : cheikhdieng05@gmail.com