Les dérives du capitalisme sauvage n’ont plus de limites. Et quand ces dérives (encouragées par une oligarchie financière obsédée par l’appât du gain) sont cautionnées par des gouvernements en place, l’équation devient extrêmement difficile à résoudre.
En effet, dans un discours prononcé devant des chefs d’entreprise du monde entier le 15 juillet 2017, Emmanuel Macron, qui venait d’être élu à la tête de la France, avait ouvertement joué la carte de la séduction, avec une déclaration qui restera à jamais gravée dans la mémoire collective.
« Je veux que la France soit une start-up nation, c’est-à-dire une nation qui, à la fois, travaille avec et pour les entreprises, mais aussi une nation qui pense et qui bouge comme une start-up », disait-il. Et d’ajouter : « on doit penser au niveau mondial, nous voulons que les pionniers, les innovateurs, les entrepreneurs du monde entier viennent en France et travaillent avec nous sur la technologie verte, sur la technologie alimentaire, sur l’intelligence artificielle ».
Les propos de Macron ne sont pas tombés dans l’oreille dans un sourd. En effet, quelques mois plus tard, les start-up ont rué en masse vers l’Hexagone pour se faire un pognon de dingue, avec au fond une destruction du marché de l’emploi et une exploitation sauvage d’une main d’œuvre bon marché.
Pendant ce temps, les start-up déjà présentes sur le sol français avaient vu dans les déclarations du nouveau président français une immense opportunité. En effet, si le gouvernement socialiste de François Hollande n’osait pas trop s’aventurer sur un terrain scabreux, pour Emmanuel Macron, capitaliste dans l’âme, le moment était venu pour tout libéraliser et tout privatiser.
En cassant le marché du travail (pour faciliter les licenciements), Emmanuel Macron venait d’offrir une première belle victoire à l’oligarchie financière. Les start-up, dont la poussée a été assez timide sous Hollande, peuvent désormais sortir de l’ombre et respirer tranquillement.
La première start-up qui nous intéresse est celle qui fait la une ces derniers jours : Deliveroo. Arrivée en France en 2015, la start-up anglaise n’était présente en 2016 que dans 15 villes françaises. En 2018, soit un an après l’arrivée de Macron, elle étend son offre dans 50 villes françaises, collabore avec 6 000 restaurants et 10 000 livreurs à travers le pays. La même année, elle annonce qu’elle investira 100 millions d’euros en France.
Justement en parlant de Deliveroo, il y a un détail très intéressant à souligner sur cette start-up. En effet, nous sommes presque tous au courant que Deliveroo, spécialisée dans la livraison de nourriture et qui a réalisé un bénéfice de 2 millions d’euros en France en 2018, est en train d’exploiter des milliers de jeunes qui, pour devenir coursier Deliveroo, sont obligés de choisir le statut d’auto-entrepreneur, moins coûteux, plus simple et plus rapide.
Si Deliveroo se vante d’offrir à ses coursiers un travail flexible, la dure réalité qu’elle cache est que ces derniers, n’étant pas salariés mais indépendants, n’ont pas de protection sociale, ni de garantie. Ils peuvent se faire virer du jour au lendemain. L’autre détail à souligner est la dernière décision prise la direction de la start-up de supprimer le tarif minimal fixé à 4,7 euros qui s’appliquait à Paris. Désormais, elle privilégie les longues courses délaissées par les livreurs car peu rentables.
La décision a suscité la colère des associations de livreurs autonomes qui dénoncent une exploitation humaine. Pour Grégoire Leclerc, président de la Fédération des auto-entrepreneurs et fondateur de l’Observatoire de l’ubérisation, le risque est « qu’il y ait quelqu’un de plus précaire pour faire le travail, pour accepter de prendre le moins cher ».
Nul doute que nous assistons à une véritable ubérisation du métier de coursier Deliveroo que les pouvoirs publics feignent d’ignorer. Ce n’est plus du travail mais de l’esclavage à l’état pur auquel des milliers de jeunes sont soumis quotidiennement. Quand cette exploitation sauvage de l’homme par l’homme se passe dans des nations dites avancées économiquement, quand cette précarisation de l’emploi se banalise et se généralise, réagir devient une urgence.
Pour celles et ceux qui ne seraient pas au courant, je tiens à vous informer que Deliveroo a annoncé ce 12 août qu’elle cesse toutes ses activités en Allemagne à partir du 16 août. En effet, dans un mail envoyé aux employés, on pouvait lire : « je vous écris pour vous informer que nous cesserons dès le 16 août nos livraisons en Allemagne. Ce ne fut pas une décision facile et elle n’a pas été prise à la légère ».
Dans le mail, la start-up refuse d’expliquer les raisons qui la poussent à mettre fin à ses activités en Allemagne, mais nous pensons avoir la réponse. En effet, en 2017, des employés de la start-up basés dans la ville de Cologne en Allemagne avaient manifesté leur volonté de constituer un syndicat pour défendre leurs droits.
Aussitôt alertée, la direction de Deliveroo à Berlin n’avait pas trop apprécié l’initiative et avait réagi vigoureusement en licenciant les employés ayant été à l’origine de l’idée. Deliveroo ira plus loin en désactivant l’application « HipChat » dont se servaient les employés pour communiquer entre eux.
La décision, jugée radicale, avait suscité une réaction d’IWW (organisation britannique qui œuvre pour une union globale révolutionnaire et qui réclame de meilleures conditions de travail aujourd’hui et une économie démocratique demain). Cette organisation avait appelé, le 25 mars 2018, les livreurs vivant en Grande-Bretagne (pays d’où est née la start-up Deliveroo) à une manifestation en soutien aux employés allemands de la start-up.
La véritable raison pour laquelle Deliveroo a décidé de quitter l’Allemagne reste encore un mystère, mais il est évident que la pression exercée par les syndicats et ses employés dans ce pays (contrairement en France où les réactions sont encore très timides) ont fait fuir la boîte qui veut éviter tout ennui judiciaire qui pourrait lui coûter des sous. Car, au final, elles (ces start-up auxquelles Macron tient énormément) n’ont rien à foutre de la misère humaine. Il n’y a que le profit qui les intéresse.
Depuis l’arrivée de Macron, l’ubérisation est en marche et elle ne se limite plus à Deliveroo. Les moyens de transport aussi. En effet, le 20 mai dernier, taxi et auto-écoles s’étaient mobilisés à Paris. Les taxis dénonçaient une concurrence déloyale de la part des VTC (Véhicules de Transport avec Chauffeur) qui, grâce au projet de loi d’orientation des mobilités, seraient autorisés à circuler sur les voies réservées et stationner sur la voie publique. Un projet de loi dénoncé par les taxis qui ont payé une licence pour y avoir accès.
Les auto-écoles, de leur part, dénonçaient la réforme du permis de conduire qui, selon elles, favoriserait les plateformes internet. Ces plateformes fonctionneraient sur internet et n’auraient pas à payer de local comme les auto-écoles classiques. Economiquement, elles gagneraient plus que les auto-écoles parce que le permis (chez ces plateformes) serait moins coûteux.
Tout ceci se passe dans la France du jeune président Emmanuel Macron qui adore tant les start-up et qui est prêt à les accueillir en grand nombre. Les gens, me semble-t-il, n’ont rien contre ces start-up quand elles permettent aux employés d’être rémunérés dignement, ce qui est loin d’être le cas.
La prolifération des start-up peut certes donner l’idée que le pays bouge et que l’innovation est en marche. Par contre, le grand danger est qu’elle banalise la précarisation des emplois toujours au profit de l’oligarchie financière. Car, lorsque Deliveroo se vante d’avoir amassé une fortune de 2 millions d’euros, ce sont des milliers de jeunes qui sont sacrifiés, humiliés par un capitalisme sauvage qui ne se soucie même pas de savoir dans quelle (s) condition (s) ils exercent leur métier. Ce même capitalisme sauvage qui exploite des milliers d’Africains et de Sud-américains qui mettent leurs vies en péril dans des mines d’or ou de diamant en échange de salaires dérisoires.
Deliveroo, Uber Eats, VTC…sont en train de mettre des centaines de personnes au chômage en raison d’une concurrence totalement déloyale sous le regard complice de nos gouvernants. Ils sont en train de faire disparaître les CDI, les assurance-maladies et le peu de privilèges qui restaient aux employés.
Aujourd’hui, c’est un capitalisme sauvage qui fait sa loi et nos gouvernants sont obligés de se soumettre à lui ou disparaître. Car, il ne dicte pas seulement la loi du marché. Il contrôle aussi totalement le pouvoir politique.
[…] Source : LECOURRIERDUSOIR […]