Police politique ou dérive judiciaire ? La presse a confirmé ce mercredi que les donateurs de la cagnotte Leetchi, organisée il y a quelques mois en soutien à Christophe Dettinger, boxeur Gilet Jaune et ex champion de France filmé en train d’assener des coups à un CRS, ont été convoqués par la police.
La cagnotte avait suscité une vague de réactions dans le pays et avait profondément divisé les Français-e-s. En effet, certains estimaient qu’il était tout à fait normal d’apporter un soutien financier à un Gilet Jaune qui n’avait pas les moyens de payer ses frais judiciaire. Pour d’autres, l’argent collecté pour assister un citoyen qui s’en prend aux forces de l’ordre est tout simplement indécent.
Face à cette situation, le gouvernement, par le truchement de Marlène Schiappa, avait annoncé une décision inédite largement relayée par les médias : celle d’identifier les donateurs. « C’est indécent, c’est une honte cette cagnotte. (…) Ce n’est pas une question de leçon de morale, c’est une question politique et de valeur de la République. Qui finance les violences contre les forces de l’ordre ? », s’interrogeait la secrétaire d’Etat en janvier dernier.
L’idée même de traquer les coordonnées privées de simples citoyens qui ne sont ni des criminels, ni des terroristes est gravissime dans une démocratie. Elle est d’autant plus grave que le gouvernement a mis en exécution sa menace. En effet, ce 12 juin 2019, plusieurs contributeurs ont été convoqués dans les locaux de la BRDA (Brigade de Répression de la Délinquance Astucieuse).
Dans la presse, on parle d’auditions organisées dans le cadre de l’enquête « abus de confiance » ouverte le 9 mai dernier par le parquet de Paris. Les auditions ont commencé dès ce mercredi et doivent se poursuivre ce jeudi à Paris. Un formulaire a été adressé à ceux et celles qui habitent loin. En effet, ces derniers devront répondre aux trois questions suivantes : « pour quelles raisons, avez-vous souscrit à un don à la cagnotte Leetchi en soutien à Christophe Dettinger ? », « A quelle date vous avez souscrit ? », « quel était le motif indiqué sur la cagnotte sur le site ? »
La convocation a provoqué une surprise générale chez les donateurs qui ne s’attendaient pas à se retrouver un jour devant la BDRA pour s’expliquer. Et les avocats des plaignants ne comprennent rien. « Des témoins sont convoqués, sans avocat, pour se voir demander pourquoi ils ont soutenu Dettinger. C’est de l’acharnement », dénonce Laurence Léger, l’avocat des plaignants.
Ce qui est encore plus grave dans tout cela est que les données privées des donateurs ont été transmises à la police par Leetchi qui dit avoir été contrainte de transmettre aux enquêteurs la liste de 8 800 participants. Au moins 170 donateurs ont été convoqués sur les 8 800 donateurs. Gravissime !
La convocation de ces donateurs pose un sérieux problème juridique au moment où le traitement de la question des Gilets Jaunes est en train de ternir l’image de la justice française. Le journaliste Antoine Peillon, contacté par Marianne, ne mâche pas ses mots. Il parle ouvertement d’une « police politique ».
« Ils (les enquêteurs) demandent d’abord : ‘pour quelles raisons avez-vous souscrit un don à la cagnotte Leetchi en soutien à Christophe Dettinger ?’ Ensuite : ‘à quelle date, avez-vous souscrit et quel était le motif de la cagnotte sur ce site ?’ La première question pose énormément problème, car elle relève de l’opinion », s’indigne-t-il.
Et d’ajouter : « ça ne peut pas être lu autrement que sur une convocation policière, sans possibilité d’être assisté par un avocat. Puisque sous ce statut de témoin, on pose aux personnes une question qui est de l’ordre de leur opinion. (…) Il apparaît clairement que nous avons affaire à une question politique ».
Dans cette affaire, il y a deux choses qui ne peuvent se passer en démocratie : on ne peut pas poursuivre des citoyens sur la base de leurs opinions (alors que la première question porte clairement sur l’opinion) et ensuite tout gouvernement a l’obligation de protéger les données personnelles de ses citoyens, ce qui n’a pas été le cas ici.
Je me demande si Macron a appris les leçons du passé de ce grand pays qu’on aime tous et qu’on respecte qu’est la France. Robespierre, l’une des plus importantes figures de la révolution française, a été guillotiné pour avoir mis en place un tribunal révolutionnaire dont il se servait pour éliminer celles et ceux qui n’étaient pas sur sa ligne.
A sa mort en 1794, le Directoire (avec sa Constitution de l’An III de 1795) qui devait mettre fin à une situation chaotique n’a pas fait mieux et a aussi été balayé en 1799 par un coup d’Etat ourdi par Napoléon Bonaparte (le 18 Brumaire). Ces deux régimes (celui de Robespierre et le Directoire) ont tous deux un point commun : ils avaient réussi à politiser la justice et l’armée pour asseoir leur hégémonie, mais aucun des deux n’a peu tenir plus de cinq ans.
La comparaison est peut-être quelque peu exagérée, mais face à la crise des Gilets Jaunes, nous avons le sentiment d’assister à un retour en arrière. Un retour aux heures les plus ombres de l’histoire de la France ne profitera à personne. Au contraire, elle signera définitivement la fin politique de Macron.