De défaite en défaite jusqu’à la victoire finale ? Ou de défaite en défaite jusqu’à la mort ? Manuel Valls, ex premier ministre français, est en train de vivre son premier baptême de feu dans un pays où il est né, mais dont il ne connaît plus la réalité politique. L’Espagne, ce n’est pas la France et Valls s’en est rendu compte ce lundi.
En effet, l’ex premier ministre français a été exclu du parti Ciudadanos, le parti libéral très proche de Macron qui lui avait ouvert ses portes à son retour en Espagne en 2018. Dès son arrivée, Valls s’était empressé de s’allier à Ciudadanos, un parti qui dit être du Centre mais qui en réalité n’est rien d’autre qu’un second parti de Droite.
Toutefois, là n’est pas la question. A son arrivée en Espagne, Valls a immédiatement voulu imprimer ses marques et imposer une politique à la française qui ne marche pas en Espagne. L’ex premier ministre de François Hollande a en effet tenté de tuer tout rapprochement entre Ciudadanos y Vox (parti espagnol d’Extrême-Droite) tel que cela se fait en France.
Mais, cela ne marche comme au pays de Cervantes. En Espagne, la Droite et le Centre n’ont aucune gêne à nouer des alliances avec l’Extrême-Droite si besoin. Au début, Ciudadanos, qui ne voulait pas perdre un allié de taille (un ex premier ministre de la France) tenta d’obtempérer aux ordres de Valls, en repoussant toute demande de pactes avec Vox.
Mais au fil du temps, la réalité politique change complètement et Manuel Valls en paiera les frais. En effet, le 3 décembre 2018, l’Extrême-Droite espagnole remporte une victoire décisive aux élections autonomes en Andalousie. Il obtient 12 sièges, totalise plus de 400 000 voix et entre pour la première fois depuis 1975 au parlement espagnol.
Face à cette situation, Albert Ribera, chef de file de Ciudadanos, sent désormais la nécessité, pour assurer sa survie, de se rapprocher de Vox, une nécessité d’autant plus urgente que son allié historique, le PP (Droite modérée), est en train de s’effondrer à cause des scandales de corruptions. Des scandales qui ont fini par achever le PP avec la chute du gouvernement de Mariano Rajoy (PP) en juin 2018 suite à une motion de censure déposée par la gauche.
A Droite, la crise s’installe. Ciudadanos sait désormais qu’il doit profiter de cette opportunité pour supplanter le PP. Mais, pour y arriver, il lui faut impérativement le soutien de Vox, un soutien de Vox dont Valls ne veut pas entendre parler. En Andalousie, pour éviter un gouvernement de gauche, le parti de Valls s’allie avec la droite modérée et l’Extrême-Droite.
« Il ne peut y avoir aucun compromis avec l’Extrême-Droite. Il y a des populistes, des nationalistes et des séparatistes qui attaquent les valeurs démocratiques. Il faut s’unir contre les populistes », prévient-t-il dans une interview accordée à une chaîne espagnole deux jours après la victoire de l’Extrême-Droite en Andalousie.
Ciudadanos se sent menacé par les déclarations de Valls mais préfère maintenir le flou. « Il n’y aura pas de gouvernement tripartite (Ciudadanos, PP, Vox) en Andalousie », promet Villegas, secrétaire général du parti. A travers cette déclaration, Ciudadanos tente de calmer Valls, mais n’a aucune intention de tourner le dos à l’Extrême-Droite.
A partir de là, les liens entre Valls et Ciudadanos ne sont plus aussi forts qu’avant. Mais, ils ne sont toujours pas rompus. Cependant, tout bascula en février 2019 lorsque les trois droites (Ciudadanos, PP et Vox) organisent une manifestation commune à Madrid pour défendre l’unité de l’Espagne face au séparatisme catalan.
Valls accepte de s’y rendre, mais refuse d’être pris en photo avec des personnalités d’Extrême-Droite, ce qui n’a pas été le cas de Ribera. Réagissant à la photo prise par Albert Ribera avec Santiago Abascal (leader de Vox), Valls parle d’une « erreur ». En ce moment précis, la véritable guerre interne commence entre Valls et son parti.
Néanmoins, malgré la crise, l’ex premier ministre français reste toujours le candidat de Ciudadanos pour Barcelone aux élections municipales. Là aussi, quelques couacs sont constatés. En effet, lors de la cérémonie d’officialisation de sa candidature, la presse s’interroge sur l’absence de Ribera, numéro 1 de Ciudadanos. En réalité, Manuel Valls ne l’avait pas invité.
Dans les semaines qui suivent, la presse fait un grand déballage et révèle que les relations entre Valls et son parti ne sont plus au beau fixe. Et la défaite de l’ex premier ministre français aux élections municipales, loin derrière Ernest Maragall (ERC) et Ada Colau (BComun) envenime une situation déjà délétère.
En Espagne, Ciudadanos est droit dans ses bottes. Il ne veut nouer aucune alliance avec la gauche (PSOE) au pouvoir. A Barcelone, désormais, les deux candidats qui se disputent la mairie de la ville sont de gauche et en plus indépendantistes. Si l’un (Maragall) confirme ses convictions indépendantistes, l’autre (Colau) dit être républicaine mais n’a jamais cessé d’apporter son soutien aux séparatistes catalans emprisonnés depuis 2017.
Pour les départager, Valls décide finalement d’apporter ses voix à Ada Colau, jugeant la prise de la mairie par Maragall (indépendantiste) dangereuse pour l’image de la ville. Ainsi, grâce à Valls, Colau redevient maire de Barcelone et Ernest Maragall (pourtant vainqueur des municipales) perd la guerre.
L’ex premier ministre français pense ainsi avoir rendu un grand service à Ciudadanos et au constitutionnalisme espagnol en se débarrassant de Maragall, sauf que dans son parti (Ciudadanos), on ne fait aucune différence entre les deux candidats. « La différence entre Colau et Maragall est très petite », lui a rappelé ce lundi Inés Arrimadas, numéro 2 de Ciudadanos en annonçant la rupture entre son parti et Valls. Pour Ciudadanos, l’alliance a assez duré et n’a rien apporté de concret. Il faut savoir y mettre fin.
Le départ de Valls a fait la une des médias ce mardi. Dans la presse, on affirme que la rupture a suscité une véritable crise interne au sein de Ciudadanos où les ténors remettent désormais en question la gestion despotique du parti par Ribera. « Il ne répond au téléphone ni à Valls, ni à Arcadi Espada (un des fondateurs de Ciudadanos) ni à Albert Boadella (comédien catalan anti-séparatiste) », confie Teresa Giménez Barbat, membre fondateur du parti.
Au sein du parti, c’est l’incompréhension totale. L’on a du mal à comprendre en effet que Valls soit exclu pour avoir courageusement bloqué la route à Ernest Maragall, candidat à la mairie de Barcelone ouvertement indépendantiste. « Si Manuel Valls n’avait pas pris la décision d’inclure sur sa liste des candidats indépendants, aujourd’hui, Barcelone aurait un maire indépendantiste », s’étonne Espada.
Désormais, c’est l’avenir de Valls qui est en question. Sans allié, Valls parviendra-t-il à assurer sa survie politique en Espagne ? Une chose est sûre : Ciudadanos a déjà déclaré la guerre à Valls. En effet, face à la presse, Carlos Carrizosa, membre de Ciudadanos, a invité l’ex premier socialiste, Celestino Corbacho, à quitter Valls et rejoindre le parti de Ribera. Si Corbacho lâche Valls, ce sera un coup très dur pour l’ex premier ministre de François Hollande.