Dans une mise à jour de ses projections publiée ce 14 mars et consultée par Lecourrier-du-soir.com, l’Institut Pasteur prévoit une hausse des hospitalisations liées au Covid dans les jours qui viennent
Lecourrier-du-soir.com vous propose de lire la mise à jour dans son intégralité
Excellente lecture!
« La pandémie de la COVID-19 peut générer en peu de temps un afflux important de patients qui doivent être hospitalisés et admis dans un service de soins critiques. Pour pouvoir continuer à accueillir ces patients, les hôpitaux peuvent être amenés à déprogrammer certaines opérations, à fermer des services non COVID-19 et réallouer du personnel au profit des soins COVID-19, avec un impact qui peut être délétère pour les patients COVID-19 et les non-COVID-19 ainsi que pour les soignants. Même si ces réorganisations permettent de soigner un plus grand nombre de patients COVID-19, les capacités d’accueil ne sont pas infinies et les services peuvent finir par être saturés si le flux de patients ne ralentit pas. Ces rebonds épidémiques conduisent donc en général à un renforcement des mesures de contrôle, qui doit permettre de réduire la pression sur le système hospitalier. Afin de soutenir la planification des activités hospitalières, il est important de disposer de projections pour anticiper sur le court terme les besoins hospitaliers des patients COVID-19.
Une épidémie particulièrement instable
D’emblée, il faut être clair sur le fait que la production de telles projections est un exercice particulièrement difficile et incertain. Il convient donc de toujours les considérer avec précaution. Ces dernières années, de nouvelles méthodes permettant de mieux anticiper la trajectoire des épidémies ont été développées, avec des résultats intéressants pour des virus comme la grippe, la dengue, le chikungunya ou le Zika. La pandémie de COVID-19 a cependant des particularités qui rendent ce type d’analyses encore plus difficile que d’habitude. Pendant les épidémies de grippe, peu de mesures de contrôle sont mises en œuvre pour réduire la transmission du virus. En conséquence, lorsque l’épidémie de grippe démarre, on s’attend à ce qu’elle suive son cours naturel. Pour peu qu’on comprenne les facteurs influençant son évolution (par exemple, le niveau d’immunité populationnelle, le climat, le sous-type de virus, les périodes de vacances), on pense pouvoir anticiper sa trajectoire. Bien entendu, la situation est très différente avec l’épidémie de SARS-CoV-2 où des mesures sans précédent sont mises en œuvre pour contenir la circulation du virus ; et la population peut rapidement changer ses habitudes lorsque la situation épidémique se dégrade ou s’améliore. Tout cela fait que la dynamique de l’épidémie est très instable, alternant des périodes de forte hausse, de plateaux ou de décroissance, sans qu’on en comprenne forcément tous les déterminants. Anticiper est donc un vrai défi…
Evaluation systématique de la performance des modèles
Plusieurs types de modèles s’appuyant sur des méthodes et des hypothèses différentes peuvent être utilisés pour tenter d’anticiper la dynamique de l’épidémie à court terme. Plusieurs prédicteurs (données épidémiologiques, météorologiques ou de mobilité) peuvent être intégrés à ces modèles. Parmi toutes les options possibles, quels sont les modèles et les prédicteurs les plus performants pour anticiper l’épidémie ? Durant l’automne 2020, nous n’avions pas encore suffisamment de recul et de données pour répondre à cette question. En conséquence, nos modèles étaient uniquement calibrés aux données d’hospitalisations que nous cherchions à prédire. En guise d’illustration de cette approche, la figure ci-dessous présente des projections extraites de notre rapport du 26 octobre 2020 juste avant la décision de confinement. Elles indiquaient que sans impact du couvre-feu (mis en place le 17 octobre) et sans confinement, on pouvait s’attendre à 9000 lits de réanimation occupés à la mi-novembre (trait rouge); mais que ce nombre pouvait descendre à 5000 lits en cas de réduction importante de la transmission à partir du 26 octobre (trait bleu clair):
Quel est le meilleur modèle ?
Cette évaluation systématique est riche d’enseignements. Les modèles peuvent s’appuyer sur trois grandes familles de prédicteurs :
- les prédicteurs épidémiologiques : par exemple, les données sur le nombre de cas, sur les taux de positivité, sur les hospitalisations ou les admissions en soins critiques, en considérant l’ensemble des patients ou certains groupes d’âge uniquement ;
- les prédicteurs météorologiques : par exemple, la température, l’humidité ou l’indicateur IPTCC (Index PREDICT de Transmissivité Climatique de la COVID-19 – index tenant compte des conditions météorologiques) ;
- et les prédicteurs de mobilité : par exemple, le volume de fréquentation de certains lieux tels que les commerces, les transports en commun, les lieux de travail etc. (données Google) ou le volume de requêtes d’itinéraires (données Apple).
Lors de l’évaluation faite au printemps 2021, nous avons trouvé que les modèles les plus performants utilisaient au moins un prédicteur épidémiologique et un prédicteur de mobilité, sans que ce soit forcément le même prédicteur qui ressorte pour une famille donnée. L’ajout d’une variable météorologique apportait également un gain, mais nettement plus marginal. Les prédicteurs épidémiologiques les plus performants étaient en général les prédicteurs précoces (par exemple, la dynamique du taux de positivité).
Au final, plutôt que d’utiliser le modèle individuel ayant les meilleures performances, nous trouvons qu’il est préférable de construire ce qu’on appelle un « modèle d’ensemble ». Cette approche consiste à faire la moyenne des projections de plusieurs modèles (un ensemble de modèles). Elle est déjà utilisée pour les prévisions climatiques et plus récemment dans le contexte des épidémies. Philosophiquement, cette approche est très attrayante car elle reconnaît que tout modèle a ses limites. En s’appuyant sur un modèle d’ensemble, on réduit le risque que la trajectoire prédite soit trop influencée par les hypothèses d’un modèle spécifique. L’intérêt se confirme en pratique : le modèle individuel le plus performant varie d’une région à l’autre ; mais en moyenne, le modèle d’ensemble arrive en tête.
Performances, incertitudes, limites et développements futurs
Dans notre analyse rétrospective, l’erreur relative pour les projections du nombre de lits de soins critiques au niveau national est de 6% à 7 jours et de 9% à 14 jours. A l’échelle régionale, l’erreur relative est de 8% à 7 jours et 13% à 14 jours.
L’émergence de variants plus transmissibles et la vaccination progressive de la population posent de nouveaux défis car ces éléments sont susceptibles de modifier la relation entre la dynamique de croissance des hospitalisations et nos prédicteurs. L’impact de ces éléments sur la qualité des projections dépendra des prédicteurs utilisés. Par exemple, la transmissibilité accrue d’un variant devrait impacter toutes les variables épidémiologiques de la même façon. On s’attend donc à ce que la performance de modèles utilisant uniquement des prédicteurs épidémiologiques soit potentiellement moins impactée par l’émergence des variants. Pour cette raison, nous avons développé un deuxième modèle d’ensemble (modèle 2) qui s’appuie uniquement sur des prédicteurs épidémiologiques. Ce deuxième modèle est un peu moins performant sur les données historiques que notre premier modèle (entre 0 et 4% d’erreur en plus) mais sa performance pourrait être moins sensible aux évolutions de dynamique liées à la diffusion de nouveaux variants ou à la vaccination. Pour ces raisons, nous ne présentons désormais plus que les résultats de ce modèle.
Pour anticiper les besoins en lits, nous estimons les durées de séjour en hospitalisation conventionnelle et en soins critiques (voir tableau des paramètres en bas de page). Ces durées restent difficiles à estimer. Une sous-estimation ou sur-estimation de ces durées risquent d’induire une sous-estimation ou sur-estimation des besoins en termes de lits d’hospitalisation conventionnelle et de soins critiques. En particulier, il est possible que les durées soient actuellement sous-estimées, auquel cas le modèle pourrait être trop optimiste quant à la dynamique de décroissance des lits.
Nos projections
Pour les régions dont les données le permettent, nous présentons :
- Les projections des besoins hospitaliers obtenues avec le modèle 2 (modèle qui s’appuie uniquement sur les prédicteurs épidémiologiques) ;
- La dynamique des prédicteurs utilisés dans les modèles.
Par région
Au niveau national, le modèle d’ensemble anticipe une hausse des admissions à l’hôpital dans les jours qui viennent. Dans les régions métropolitaines, le modèle d’ensemble anticipe des hausses ou des plateaux pour les admissions à l’hôpital dans les jours qui viennent.
Ces projections ne prennent pas en compte la levée des mesures sanitaires, dont l’impact éventuel sur la dynamique des hospitalisations sera à surveiller.
Dans les régions d’Outre-Mer, étant donné les effectifs faibles, nos projections restent très incertaines. »