Dans une chronique publiée par Le Monde ce 23 novembre, la journaliste Françoise Fressoz prédit une campagne présidentielle qui risque d’être affectée par la pandémie
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« Chronique. Les émeutes en Guadeloupe face auxquelles le gouvernement affiche sa fermeté n’ont pas grand-chose à voir avec ce qu’il se passe sur le continent. Motivées par le refus du passe sanitaire et de l’obligation vaccinale pour les soignants, elles s’inscrivent dans un contexte de restrictions qui commençaient à s’alléger, en raison du recul de l’épidémie de Covid-19. Tout le contraire du tour de vis actuellement en cours dans l’Hexagone.
Les causes du mécontentement sont très locales, proches de celles qui avaient occasionné le blocage de l’île pendant quarante-quatre jours en 2009 : c’est une protestation contre la vie chère, le chômage endémique et le pouvoir central, accusé de rester sourd aux souffrances des insulaires. Signe de la défiance ambiante, la proportion de vaccinés (moins de 50 %) y est beaucoup plus faible que dans l’Hexagone (plus de 75 %). Difficile donc d’extrapoler, et pourtant… Ce mouvement social, déclenché par un certain nombre d’organisations syndicales et de collectifs citoyens au nom de la défense des libertés individuelles, vient rappeler à Emmanuel Macron et à son gouvernement qu’ils n’en ont pas fini avec l’épidémie. Toute la campagne présidentielle risque au contraire d’en être affectée.
Sur le continent, « la cinquième vague démarre de façon fulgurante ». Cette déclaration du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, dimanche 21 novembre sur Europe 1, a jeté le trouble. Aussitôt, un certain nombre d’adversaires du chef de l’Etat l’ont accusé de noircir le tableau à dessein. « J’ai le sentiment qu’on joue sur nos peurs », a notamment réagi le président du Rassemblement national, Jordan Bardella.
Le maître des horloges
Rien n’est plus inconfortable pour les candidats à l’Elysée que de voir un président de la République, concourant à sa propre succession, profiter de sa position de dominant. L’échange très tendu entre Xavier Bertrand, l’un des prétendants Les Républicains, et Emmanuel Macron, vendredi 19 novembre, lors d’un déplacement dans les Hauts-de-France, reflétait cette exaspération face à un match jugé biaisé. Or la résurgence de la crise sanitaire donne des arguments à Emmanuel Macron pour rester le plus longtemps possible en poste afin de prendre les décisions qui s’imposent. Depuis quelques jours, le pays renoue avec les conseils de défense sanitaire et les tours de vis progressifs, sans que personne soit en mesure de prédire la fin de la séquence. Le virus est redevenu le maître des horloges, écornant au passage l’image d’un chef de l’Etat prétendu tout-puissant.
Emmanuel Macron peut, certes, se targuer d’avoir pris la bonne décision en juillet lorsqu’il a subordonné au passe sanitaire le retour à une vie sociale quasi normale. Ses opposants s’étaient alors bien gardés de soutenir son annonce. Certains escomptaient même qu’elle produise un mouvement de rejet au nom de l’atteinte aux libertés individuelles. Au lieu de quoi la vaccination a fortement progressé, hissant la France au rang des pays européens les mieux protégés.
Inquiétude manifeste
Dans l’immédiat, la comparaison avec ses voisins est flatteuse. Pris de court par la vigueur de la reprise épidémique, le chancelier autrichien, Alexander Schallenberg, a dû décréter la vaccination obligatoire pour la population adulte puis décider un quatrième confinement. L’Allemagne vient d’imposer la vaccination aux soignants et d’exclure des restaurants et autres lieux publics les personnes non vaccinées. Les Pays-Bas et la Belgique ont fortement resserré les contrôles sanitaires. Partout, la colère gronde et parfois explose dans des manifestations de rue. Grâce à la longueur d’avance prise cet été, la France s’est jusqu’à présent contentée d’élargir progressivement le public éligible à la troisième dose et d’insister sur le respect des gestes barrières.
L’épidémie paraît sous contrôle en France : la hausse exponentielle des infections (19 749 cas recensés dimanche 21 novembre contre 9 458 une semaine plus tôt) ne s’est pas traduite pas un afflux massif à l’hôpital. Dimanche, 8 038 malades du Covid-19 étaient hospitalisés en France, dont 1 339 dans les services de soins critiques. Il y a un an, au sommet de la deuxième vague, ils étaient 33 466.
L’inquiétude des autorités de santé est cependant manifeste. Elle porte moins sur la dangerosité du virus, désormais réduite grâce au vaccin, que sur la capacité du système hospitalier à encaisser un nouveau pic épidémique fin décembre ou début janvier 2022. Quand, jeudi 18 novembre, le ministère de la santé a adressé une missive aux hôpitaux et cliniques pour leur demander de s’y préparer, il s’est attiré une volée de bois vert de la part de syndicats hospitaliers.
Situation de burn-out
Il y a un an, le seuil de saturation des services de réanimation était évalué à 5 000 lits. Depuis, la crise des vocations s’est accentuée. Démissions, arrêts maladie, difficultés de recrutement, l’hôpital vit un burn-out. La polémique sur le nombre de lits fermés faute de personnel (5 % ? 13 % ? 20 % ?) est révélatrice du malaise ambiant. Chaque nouvelle vague épidémique est venue épuiser un peu plus une institution déjà largement atteinte à l’aube du quinquennat, sans que le gouvernement n’en puisse mais.
Le Ségur de la santé, annoncé à l’été 2020, a été à la fois massif et insuffisant : 8 milliards d’euros ont été débloqués pour les revalorisations de salaire, 19 milliards d’euros pour l’investissement. Les maux sont structurels et la formation des nouvelles recrues prendra des années, si bien que le gouvernement dispose, à court terme, de peu de moyens d’action pour soulager les soignants. La variable d’ajustement la plus efficace reste le niveau des contraintes qui pèse sur l’ensemble des Français mais avec le risque de voir, comme dans d’autres pays européens, la révolte éclater. Si ce scénario devait voir le jour, tout le bénéfice tiré par Emmanuel Macron de son offensive vaccinale de l’été serait anéanti. »