(Une analyse du journaliste Cheikh DIENG)
« Casseurs », « Perturbateurs », « Fachos »…En France, les médias de masse n’ont pas manqué de qualificatifs pour pointer du doigt celles et ceux qui manifestent leur immense colère face à un système oligarchique sourd et qui n’hésite plus à recourir aux méthodes les plus violentes pour museler les gilets jaunes, symbole d’une France qui souffre.
Depuis le 17 novembre (et même avant), les médias ont fait semblant d’apporter un soutien à ce mouvement qui aujourd’hui attire l’attention du monde entier. En effet, les gilets jaunes (appelés yellow vest par la presse anglophone ou chalecos amarillos par la presse hispanique) occupent la une des médias du monde entier.
Pas un seul jour (ne passe) sans que les puissants médias européens et américains n’accordent un article à un conflit social qui pourrait, à long terme, avoir des conséquences désastreuses pour la France, notamment pour Emmanuel Macron, perçu il y a un an comme le Messie qui devait délivrer le vieux continent des menaces nationalistes qui pèsent sur lui.
Face à une crise sociale d’une telle ampleur, une certitude : la haine du peuple envers les médias. En effet, depuis le début des manifestations, plusieurs journalistes se plaignent d’avoir été agressés par des gilets jaunes. La dernière en date s’est produite ce 1er décembre à Sarlat en Dordogne où des gilets jaunes s’en sont pris à une équipe de deux journalistes de France 3.
Ces agressions contre des journalistes de BFMTV, France 3, Cnews ou autres doivent être fermement condamnées. Ma position sur cette question est claire et nette. Toutefois, après les condamnations, il serait essentiel de se poser la question de savoir : pourquoi cette haine des médias de la part des gilets jaunes ?
Sur les plateaux de télévision, quelques journalistes se sont certes posé la même question, mais n’ont voulu aller trop loin dans l’analyse. Ils se sont seulement focalisés sur le profil de quelques radicaux, qui depuis quelques jours, tentent de récupérer le mouvement pour arriver à leurs fins.
Pour comprendre cette colère du peuple envers les médias, il faut analyser le discours des journalistes, en tout cas celles et ceux qui s’expriment sur la question des gilets jaunes depuis le début du mouvement. Et je peux vous assurer qu’après avoir écouté le discours de certains, on comprend très vite que le mépris se justifie totalement.
Venons-en aux faits. Vendredi 30 novembre, sur le plateau de Punchline sur Cnews, voici comment Maurice Szafran réagissait à la question des gilets jaunes. Il commence par indexer du doigt des partis qu’il qualifie d’« extrême ». « C’est la première fois depuis la libération qu’un mouvement social profond et très important est soutenu par l’extrême-droite et l’extrême gauche », dit-il.
S’adressant à un gilet jaune présent sur le plateau, il ajoute : « (…) quand vous dites que le gouvernement connaît vos revendications, on peut faire au gouvernement tous les reproches qu’on veut sauf celui-là. Hier, je discutais sur un plateau avec l’un de vos représentants, si j’osais émettre ici la liste de revendications qu’il a présentées, je pense que vous tombez de votre chaise. Le point qui n’est absolument pas clair (…), c’est quelles sont vos revendications ».
Sans oser le dire, Maurice Szafran tente de décrédibiliser le mouvement dont il attribue la responsabilité et l’organisation aux extrêmes. Une méthode subtile et très malhonnête de ne pas trop se focaliser sur la grogne populaire qui, à mon avis, est la seule raison pour laquelle des milliers de gilets jaunes mettent leurs vies en danger pour arracher leurs droits.
Le 20 novembre, Bruno Jeudy, invité sur le plateau de BFMTV nous annonçait une baisse de plus en plus importante des sympathisants du mouvement. « (…) Qu’est-ce qu’il peut y avoir là dans les jours prochaines, je pense que pour l’instant, le gouvernement n’a pas cette cartouche là en possession (…). Il attend plutôt samedi. L’idée, c’est de faire dégonfler la manifestation et au fond d’éteindre ce mouvement qui, soit dit en passant, baisse de jour en jour », dit Bruno Jeudy.
Je me demande dans quel monde il vit ce Bruno Jeudy. S’il verra ce soir à la télé les milliers de Français qui se sont mobilisés pour occuper les Champs-Elysées, il comprendra que son analyse est complètement passée à côté de la plaque. D’ailleurs, je tiens à lui rappeler que le mouvement est désormais soutenu par plus de 80% des Français.
Ce vendredi 30 novembre, sur le plateau de « Heure des pros », c’est ainsi que réagissait Caroline Mecary sur la représentativité des gilets jaunes, un mouvement qui, selon elle, manque de structure : « la faiblesse du mouvement des gilets jaunes est sa difficulté à trouver une forme de structuration pour être un interlocuteur politique face au pouvoir public. (…) Votre défi politique, c’est avoir des représentants ».
Ce que Caroline Mecary ignore, c’est que le caractère apolitique du mouvement garantit pour le moment son succès. Personne ne dira que c’est la gauche ou la droite qui est derrière (malgré les nombreuses tentatives de récupération) et à ce que je sache, tous les Français qui manifestent en ont simplement marre des politiciens. Ils veulent le changement et rien que le changement.
Pour comprendre la vraie raison de la haine des médias par une large partie du peuple français, il convient de revenir sur le discours de Christophe Barbier, éditorialiste sur BFMTV. Invité sur le plateau de la chaîne ce 08 novemnre, il faiait une triste analyse de la situation qui n’a pas plus à beaucoup.
« Il y en a marre, il y a trop de taxes sur l’essence, mais l’essence est plus chère dans d’autres pays. Ils en ont marre parce que leur pouvoir d’achat donne l’impression qu’il baisse alors qu’en réalité il monte. Donc, ce sentiment d’en avoir marre, c’est un ressenti, c’est complexe. Qu’est-ce qu’il y a derrière ? », se demande Barbier. Je vous laisse juger.
Les exemples de la tentative des médias de tuer le mouvement sont légion. Mais, c’est une manœuvre vile et contreproductive qui peut se comprendre si on sait que 95% des médias de masse en France sont détenus par des richissimes hommes d’affaires qui ont un contrôle total sur un système dont une large majorité des Français ne veulent plus.
Ce 1er décembre, les médias se sont une nouvelle fois particulièrement focalisés sur les scènes violentes qui ont eu lieu dans Paris, notamment au niveau de l’Arc de Triomphe. Je tiens à préciser que je ne cautionne, en aucun cas, cette violence perpétrée par des éléments perturbateurs qui, certainement, n’ont rien à voir avec le mouvement.
Toutefois, les médias devraient comprendre que les « casseurs » sont une minorité et qu’à côté, il y a des milliers de Français en colère qui veulent être entendus. En faisant le jeu du système (tel qu’ils l’ont déjà fait dans l’Affaire Mélenchon), les médias exacerbent la grogne populaire et deviennent immédiatement des cibles privilégiées. N’est-ce pas l’objectif recherché pour décrédibiliser le mouvement et briser son élan ?
Aujourd’hui, le lien entre médias et citoyen est presque brisé. Ce dernier n’a plus confiance aux informations qui lui sont servies quotidiennement et a fini par comprendre qu’il a été victime d’une manipulation à grande échelle. Il a fini par comprendre que, dans ce conflit, les médias ont déjà choisi leur camp. Ils sont carrément du côté des riches.