Au moment où la grève des syndicats contre le statut des cheminots et l’ouverture à la concurrence de la SNCF secouent la France, certains se posent des questions sur l’avenir d’Emmanuel Macron. Pour le média britannique, Spectator, le jeune président français risque gros
Voici l’édito traduit de l’anglais au français par Cheikh Dieng, fondateur et rédacteur en chef du média www.lecourrier-du-soir.com
La lune de miel est finie pour Emmanuel Macron. Ses onze premiers mois passés à la tête de la France, c’était du gâteau. Ils ont été marqués par une croissance économique, une reconnaissance internationale et l’ouverture de musées au Moyen-Orient. Mais, le jeune président français se prépare désormais à des mois d’hostilité.
« Guerre d’usure ». Voilà la une du journal Le Parisien de ce mardi. La une était illustrée par une image d’un des ennemis de Macron, une importante personnalité de la CGT, un syndicat de gauche à la ligne dure. De forte carrure, barbu et agressif, le syndicaliste Laurent Brun a promis que les mouvements syndicaux seront intransigeants pendant trois mois de grève.
Il faut dire que Macron est aussi déterminé que les grévistes et reste confiant de emporter la victoire. D’ailleurs, pendant la semaine de Pâques, les télévisions françaises ont diffusé une image du président entrant dans sa voiture. « Ne renonce pas face aux grévistes », lui lançait un passant. Macron lui répond, en lui serrant la main avec fermeté : « ne vous inquiétez pas ». Et sa confiance était inébranlable.
Mais là, Macron doit se faire des soucis. Il sait que sa popularité est mise en danger, pas seulement en France, mais partout dans le monde. Imaginez-vous les petits sourires satisfaits que cela provoquerait à Berlin, les ricanements à Londres et la déception à Bruxelles s’il s’avère que le président est aussi faible que ses prédécesseurs face l’action des grévistes.
Depuis son élection, Macron a fait sensation dans le monde. Il a reçu Trump, Poutine et Erdogan, a calmé les tensions entre le Liban et l’Arabie Saoudite, a pris l’initiative de mettre fin au flot de migrants en provenance de l’Afrique du Nord vers l’Italie, a remis la politique étrangère de la France au centre du monde et a renforcé l’accord climatique de Paris de 2015 après la non ratification de celui-ci par les Etats-Unis.
Tout ceci s’est fait grâce à une maîtrise parfaite de la politique intérieure. Rappelons qu’en automne dernier, un mouvement de grève contre ses réformes du marché du travail n’a pas porté ses fruits et ses opposants politiques ont été inefficaces, désaxés après la défaite de leurs partis pendant la présidentielle, une présidentielle remportée haut la main par Emmanuel Macron.
Mais désormais, le président fait face à un quartet de défis qui marqueront les quatre prochaines années de la France. Le retour de l’islamisme en France a secoué le pays, montrant que même les endroits les plus reculés du pays ne sont pas à l’abri d’attaques. Les attaques du mois derniers à Trèbes et en Carcassonne qui ont fait quatre morts ont été prédites par les services de renseignement depuis des mois. Ces derniers avaient en effet prédit que la chute du Califat ne serait pas la fin de la violence islamiste en Europe, mais plutôt le contraire, avec le retour de groupe de djihadistes déterminés à mener le combat.
Le second obstacle pour Macron est l’immigration (que beaucoup de Français confond avec l’islamisme) et l’idée que les contrôles très laxistes au niveau des frontières ont permis aux islamistes de pénétrer facilement dans le pays. En février, son gouvernement avait dévoilé sa stratégie pour juguler l’immigration clandestine et faciliter l’expulsion des migrants dont la demande d’asile n’a pas été acceptée.
Le projet de loi, qui sera débattu au parlement ce mois-ci, est bien accueilli par la majorité des Français, mais au sein de son parti LREM, il fait grincer des dents. Le projet de loi sera voté, mais il y a déjà eu en France des mouvements de grève de la part du Bureau de protection des réfugiés et des groupes anticapitalistes ont prévu des grèves ce week-end.
Ce projet de loi a aussi provoqué l’indignation des hommes de Lettres en France. D’ailleurs, le prix Nobel de Littérature, Jean-Marie Gustave Le Clézio, a dénoncé un traitement « scandaleux » des migrants vivant sur le sol français. Ces hommes de Lettres ne font pas peur à Macron. Par contre, les cheminots qui prévoient deux jours de grèves sur cinq jusqu’à la fin du mois de juin, eux sont redoutables.
Parmi les réformes que le gouvernement entend mettre en place, il y a celui d’ouvrir la SNCF à la concurrence et d’améliorer ainsi son service qui s’est nettement détérioré ces dernières années. Au cœur de la question, il y a une dette estimée à 46,6 milliards d’euros accumulée par la SNCF, un chiffre astronomique que le gouvernement entend réduire partiellement en ôtant aux cheminots des statuts de privilèges dont ils bénéficient depuis 1909 qui leur ont garanti un emploi à vie et une retraite à l’âge de 50 ans pour les conducteurs et 57 pour les employés.
Soutenus par la CGT, les cheminots sont déterminés à conserver leurs privilèges. Cependant, pour Macron, la SNCF incarne un secteur public-privé aux pratiques démodées. « Nous vivons dans un monde qui évolue. La SNCF a aussi besoin de changer afin d’offrir de meilleurs services », a d’ailleurs rappelé ce week-end Elisabeth Borne, la ministre du Transport.
Cette semaine, un sondage a révélé que sur quelque 100 000 personnes interrogées, seuls 28% sont favorables à cette grève. Mais, le sondage a été mené par Le Figaro, journal centre-droit. Beaucoup, à gauche mais aussi du côté des étudiants, soutiennent ce mouvement de grève. Les employés d’Air France, les employés des grandes surfaces ainsi que les éboueurs, eux-aussie, entameront leurs grèves dans un futur proche.
Le quatrième défi auquel Macron fait face est le moins préoccupant : que faire des 300 activistes pro-environnement qui occupent 1 650 hectares de terre à Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes ? En janvier, ils avaient remporté la bataille en empêchant la construction de l’aéroport après une campagne de longue haleine et en reconnaissant sa défaite, le gouvernement leur avait demandé d’évacuer les lieux au plus tard le 31 mars.
La date butoir est arrivée à échéance et quelques activistes radicaux y restent toujours, un groupe de manifestants retranchés dans des tunnels et dans des barricades. La police peut mettre fin à leur résistance en quelques heures, mais le gouvernement sait que cela risque d’aggraver la situation. Les Zadistes, comme ils se surnomment, représentent un symbole de défi pour les manifestants français, les anarchistes pro-environnement et les antifas qui rêvent d’une confrontation avec le gouvernement.
La France s’est embarquée dans une guerre d’usure. C’est une guerre de vision. Macron et ses sympathisants veulent à tout prix en finir avec la réputation d’une France, pays de grévistes fainéants, comme le disait Emmanuel Macron en septembre dernier. d’ailleurs, ce n’est pas un hasard que le gouvernement annonce, au premier jour de grève de la SNCF, un investissement étranger record en France, soit 16% de plus que l’an dernier. Le journal Le Monde réagissait à cette annonce, en titrant « l’effet Macron ».
Voici la France que Macron a dans sa tête, la « Nation start-up » qu’il décrivait l’année dernière en pleine campagne présidentielle et espère qu’elle accueillera les grands esprits du monde. Il veut faire de Paris le paradis des banquiers qui quitteront Londres en raison du Brexit et il avait annoncé qu’il dépenserait 1,5 milliard de dollars ces cinq prochaines années dans le cadre d’une stratégie nationale afin de faire entrer son pays dans l’intelligence artificielle pour ainsi rivaliser la Chine et les Etats-Unis dans ce domaine.
C’est une vision qui scandalise des millions d’hommes et de femmes qui ne veulent pas que la France change, qui veulent un secteur public sécurisé et protégé. Mais, Macron n’en veut pas. Il a même mis les retraités en colère en augmentant les taxes sur les retraites. « Certains se plaindront et ne veulent pas comprendre, mais c’est la France », disait Macron.
De nombreux retraités auraient certainement vécu mai 1968 il y a 50 ans et auraient fait partie de ceux qui avaient arpenté les rues pour s’opposer à la politique du Général De Gaulle, un président qui, à leurs yeux, était un conservateur intouchable. Plus de 50 ans après, l’homme qui occupe l’Elysée est considéré comme trop innovateur et trop ambitieux, un jeune mégalomane dangereux qui, selon un politicien socialiste, est en train d’adopter « la même politique que celle de Margaret Thatcher ».
Et si Emmanuel Macron parvient à sortir de cette situation complexe après l’étiquette (de Thatchériste) qui lui est collée à la peau, alors il pourra se donner comme nom l’homme de fer.
Edito signé Gavin Mortimer et Luke Baker, journaliste à l’agence de presse Reuter. L’édito a été entièrement traduit de l’anglais au français par Cheikh Dieng, rédacteur en chef du site d’information www.lecourrier-du-soir.com
Pour lire l’édito dans sa version originale, cliquez ici : Spectator.co.uk