Guerre d’Algérie : le média américain The Washington Post demande à la France de s’excuser

Un billet de Nabila Ramdani publié par le média américain The Washington Post charge la France et l’exige à reconnaître le génocide commis en Algérie lors de la fameuse Guerre d’Algérie

Très bonne lecture

« Il a fallu un demi-siècle à la France pour avouer sa participation à l’Holocauste lors de la Seconde Guerre Mondiale. En 1995, le président Jacques Chirac avait en effet formellement reconnu que ses compatriotes avaient volontairement rassemblé des juifs avant de les acheminer vers des camps de concentration nazis pour y être tués.

La semaine dernière, lors d’un échange avec des journalistes dans l’avion présidentiel à son retour d’Israël où il a participé au 75ème anniversaire de la libération d’Auschwitz, Emmanuel Macron a rappelé les excuses de Chirac. Le chef de l’Etat avait en effet rappelé comment Chirac avait brisé un tabou en reconnaissant ce fait.

Des policiers en service, des cheminots et des fonctionnaires ont été quelques uns des Français ayant participé à ce crime abject. D’autres qui n’avaient rien fait (malgré le fait qu’ils étaient au courant que des voisins à eux avaient été tués la veille) ont aussi été complices de ce génocide.

De la même manière, Macron s’est récemment exprimé sur une période abominable de l’histoire récente de la France que beaucoup souhaiteraient oublier : la Guerre d’Algérie. En faisant allusion à cette horrible guerre qui a duré plus de 7 ans et qui s’est soldée par la perte de la plus grande colonie africaine par la France en 1962, Macron avait déclaré : « la Guerre d’Algérie est aujourd’hui absente de notre mémoire politique et le sujet d’un conflit de mémoire tel que l’a été l’Holocauste ». Parlant des crimes commis (mais toujours couverts) par son pays, il ajouta : « nous n’en parlons pas, nous l’écrasons ».

Macron est sensible quant au sentiment des millions de Français d’origine algérienne qui sont toujours affligés par le manque de reconnaissance historique des crimes commis contre leurs ancêtres. Des atrocités y compris des massacres civils et des tortures. Le carnage a eu lieu non seulement en Afrique du Nord mais aussi en France, où des agents de la République Française entraînés par la Gestapo et les SS ont aussi participé au meurtre d’Algériens.

La France a été directement et profondément impliquée dans des actes abjects en Algérie. Les Français ont d’abord envahi le pays en 1830. Au moment où la nouvelle colonie s’y installe en 1875, environ 825 000 Algériens ont été tués. Plus d’1 million de migrants européens ont alors commencé à s’installer progressivement. L’Algérie finira par être classée département d’Outre-mer, faisant ainsi intégralement partie de la France.

Le régime mis en place s’apparentait à celui de l’Apartheid et le carnage n’avait pas de répit. De façon émouvante, au moment où l’Europe célébrait la défaite du nazisme (8 mai 1945), la France réprimait dans le sang des manifestations anti-occupation en Algérie. Quelque 45 000 Algériens (hommes, femmes et enfants) ont ainsi été tués dans la région de Sétif, Guelma et Kherrata.

Le massacre contre la dissidence anticoloniale s’est ensuite intensifié et le conflit pris rapidement une tournure sauvage. Après l’indépendance en 1962, le Front de Libération Nationale qui en était sortie victorieux révèle que 1,5 millions d’Algériens avaient été tués dans la guerre et que le double avait été forcé à l’exil. Ces horreurs ne sont pas simplement des horreurs du passé. Cet héritage sombre est toujours vivant.

Le parti nationaliste d’extrême-droite, Rassemblement National (ex Front National), a été fondé par des nationalistes extrémistes qui n’ont pas digéré la perte de l’Algérie. Le Front National comptait dans ses rangs des sympathisants du Troisième Reich et des négationnistes, dont Pierre Bousquet qui a combattu au côté de la Division Charlemagne Waffe SS, une unité nazie composée de Français.

Ce même Bousquet a fondé le Front National avec Jean-Marie Le Pen, ex soldat français qui avait combattu en Algérie et dont la fille, Marine Le Pen, est le chef de file du Rassemblement National. Réagissant aux mots de Macron faisant le lien entre deux événements historiques, elle disait ceci : « comparer l’Holocauste à la Guerre d’Algérie est obscène ».

Les Le Pen (qui ont été tous les deux au second tour de présidentielles en France) ne cessent d’attiser la haine envers les Français d’origine arabe. Comme beaucoup d’autres personnalités de l’élite politique française, et non pas ceux de droite, ils jettent un regard colonial à l’égard des Français de couleur qu’ils ne considéreront jamais comme de vrais Français.

Ainsi, de nombreux Français d’origine algérienne sont entassés dans des quartiers difficiles où ils font face à la discrimination à tous les niveaux de vie. Les préjugés sur l’Islam sont partout et des propagandistes ne cessent de rejeter toute faute sur la communauté musulmane.

Le passé (et les politiques de la mémoire, comme l’appelle Macron) fait partie de ce récit toxique. Les Algériens qui se sont battus si vigoureusement pour leur liberté sont considérés, avec leurs descendants, comme des marginaux qui ne pourraient jamais « intégrer » la société gauloise. Les blessures ne seront jamais fermées car très peu au pouvoir reconnaissent la souffrance des Algériens pour s’en rappeler. Ce sentiment d’injustice pèse lourdement sur la communauté algérienne française qui compte environ 1,7 millions de personnes. Pour les 43 millions d’Algériens vivant en Algérie, le sentiment est le même.

Rappelons que juste avant son élection, Macron avait admirablement déclaré que le colonialisme français impliquait des « crimes et des actes de barbarie » qui, aujourd’hui, seraient considérés comme « crimes de guerre ». Il est alors temps pour lui de faire son moment Chirac en reconnaissant officiellement le génocide perpétré par son pays en Algérie, en commémorant le malheur national et en annonçant publiquement : ‘plus jamais’ et ‘ne jamais oublier’. Ce n’est pas trop tard ».

Article de Nabila Ramdani, journaliste franco-algérienne et spécialiste de la politique française et arabe. L’article a été intégralement traduit de l’anglais au français par Cheikh Dieng, rédacteur en chef du site d’information www.lecourrier-du-soir.com

Pour lire l’article dans sa version originale en anglais, cliquez ici : The Washington Post