Vingt-neuf (29) intellectuels français et experts en droit ont exigé, dans une tribune publiée au Journal du Dimanche (JDD), la création d’un tribunal spécial international pour juger les agressions contre l’Ukraine
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Excellente lecture
« Nous juristes, bâtonniers, doyens, présidents et vice-présidents d’université, professeurs de droit, magistrats, avocats, chercheurs au CNRS, soutenons l’initiative engagée par Gordon Brown et Philippe Sands, et demandons la création d’un tribunal spécial international pour juger les responsables du crime d’agression commis contre l’Ukraine . Nous appelons les dirigeants français à rejoindre le mouvement international en faveur de cette création. Le 17 octobre dernier, Catherine Colonna, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, s’est déclarée ouverte aux « réflexions sur un tribunal ad hoc », à deux conditions : d’une part qu’il ait « une valeur ajoutée » et, d’autre part, qu’il soit « créé de façon légitime ».
Or, la valeur ajoutée d’une telle création est indéniable. Comme l’ont déjà relevé MM Sands et Brown, la Cour pénale internationale pourra juger des crimes de génocide, des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En revanche, le crime d’agression échappe à sa compétence. Cette limite aura pour conséquence l’impunité de ceux qui ont décidé de l’invasion de l’Ukraine.
La guerre actuellement menée contre l’Ukraine est décisive à plus d’un titre pour le droit. Si le sort des populations et de la nation ukrainiennes demeure la question essentielle, c’est, au-delà, toute la crédibilité, l’efficacité et la légitimité du système juridique international qui se trouvent mises à l’épreuve. La création de ce tribunal est donc indispensable à la paix future. La guerre en Irak de 2003, elle aussi manifestement illégale, avait constitué un redoutable précédent. La France s’est honorée lorsqu’elle a dénoncé cette illégalité même si elle n’a pas réussi à empêcher le déclenchement du conflit.
Ne pas punir cette nouvelle agression, c’est préparer les guerres mondiales de demain, et accepter qu’il n’y ait alors plus aucun recours juridique.
Par ailleurs, les différentes solutions envisagées pour la création de ce tribunal spécial international permettent d’en garantir une pleine légitimité. La plupart prévoient l’adoption préalable d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, dont la portée symbolique est très forte puisque s’y trouvent représentés 193 Etats. Des solutions existent donc pour contrer la paralysie du Conseil de sécurité par le veto russe, et créer une juridiction légitime.
La France du général de Gaulle avait participé au tribunal militaire international de Nuremberg. Depuis, elle n’a cessé d’exercer une influence sur la communauté internationale et sur le droit qui la régit. La France doit participer à la création du tribunal spécial international. Sinon, ce mouvement se fera sans elle. Nous aurions alors beaucoup à perdre.
Comme Robert Badinter, nous savons qu’« un jour les étudiants en droit étudieront les décisions de ce tribunal spécial comme sont étudiées les décisions du tribunal de Nuremberg ». Nous ne voudrions pas que ce jour-là, ils apprennent aussi que la France s’est elle-même exclue de cette étape décisive pour le droit international. »
Premiers signataires :
1. Mathilde Philip-Gay, professeure de droit à l’Université Jean Moulin de Lyon, vice-présidente de l’université Jean Moulin de Lyon
2. Marie-Josèphe Laurent, avocate, bâtonnière du Barreau de Lyon
3. Olivier Gout, doyen de la Faculté de droit de l’Université Jean Moulin de Lyon
4. Eric Carpano, professeur de droit et président de l’Université Jean Moulin de Lyon
5. Pierre-François Laval, professeur de droit à l’Université Jean Moulin de Lyon
6. Baptiste Bonnet, doyen de la Faculté de droit à l’Université de Saint-Etienne
7. Adrien Bascoulergue, doyen de la Faculté de droit Julie-Victoire Daubié de l’Université Lumière de Lyon
8. Antoine Garapon, magistrat et essayiste
9. Franck Heurtrey, avocat au Barreau de Lyon, Observatoire des libertés publiques
10. Gaëlle Marti, professeure de droit à l’Université Jean Moulin de Lyon
11. Denis Salas, magistrat et essayiste
12. Véronique Champeil-Desplats, professeure de droit à l’Université Paris Nanterre, vice-présidente de l’Université déléguée à la recherche
13. Régis Fraisse, conseiller d’État honoraire
14. Jean-Paul Jean, président de chambre honoraire à la Cour de cassation
15. Xavier Philippe, professeur à l’École de droit de la Sorbonne de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne
16. Henri Labayle, professeur émérite de droit à l’Université de Pau et des pays de l’Adour.
17. Dominique Rousseau, professeur émérite de droit à Paris 1 Panthéon-Sorbonne
18. Géraldine Giraudeau, professeure de droit à Paris-Saclay
19. Serge Slama, professeur de droit à l’université de Grenoble-Alpes
20. Xavier Pin, professeur de droit et directeur du Centre de droit pénal à l’Université Jean Moulin de Lyon
21. Catherine Le Bris, chercheuse au CNRS, Institut des Sciences Juridique et Philosophique de la Sorbonne, Université Paris 1
22. Valère Ndior, professeur de droit à l’Université de Bretagne occidentale
23. Maïté Roche, avocate au Barreau de Lyon, Observatoire des libertés publiques
24. Noelle Quenivet, professeure de droit à l’Université of the West of England Bristol
25. Elise Untermaier-Kerléo, maître de conférences à l’Université Jean Moulin de Lyon, assesseure du doyen
26. Jean-François Barre, avocat, vice-bâtonnier du Barreau de Lyon
27. Laurent Eck, maître de conférences à l’Université Jean Moulin de Lyon, assesseur du doyen
28. Caroline Chamard-Heim, professeure à l’Université Jean Moulin
29. Béatrice Bertrand, avocate, membre du Conseil de l’ordre, Observatoire des libertés publiques