Visée par des insultes racistes dans une lettre qui lui été adressée cette semaine, Laetitia Avia, députée En Marche, a fourni une réponse très classe publiée par le JDD
« Il y a quelques jours, vous le savez peut-être, j’ai reçu une lettre…
Passée la stupeur liée à la violence de l’insulte, du racisme et des menaces, reste l’indignation du message qu’au fond, cette lettre anonyme a voulu me faire passer : bien qu’élue de la République, je ne serais pas légitime à me « mêler de la vie des français », en raison de mes origines africaines.
Je suis née en France il y a 32 ans, à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis) dans une famille dite « populaire », même si je n’aime pas ce mot qui tente d’enjoliver la réalité de la pauvreté. Mes parents ont grandi et fait leurs études au Togo. Ma mère était sage-femme, mon père aurait pu devenir ingénieur. Leurs diplômes n’ont jamais été reconnus en France. Elle est devenue aide-soignante, il a alterné entre petits boulots et périodes de chômage, pour être chauffeur bagagiste dans un aéroport.
Je ne suis pas née française. J’ai été naturalisée à l’âge de 13 ans et avant cela j’ai connu ces longues files d’attente, dont on ne s’étonne plus, devant la préfecture de Bobigny pour effectuer des démarches administratives, obtenir une carte de libre-circulation pour rendre visite à de la famille à l’étranger…
Pour autant je n’ai jamais manqué de rien. Et je remercierai toujours mes parents qui m’ont insufflé une ambition. Ils ont démultiplié les efforts pour me donner les moyens de réaliser mes envies et casser les barrières de l’imaginaire collectif : intégrer le programme ZEP de SciencesPo, étudier au Canada, puis devenir avocate et créer mon propre cabinet.
Ce faisant, mes parents m’ont transmis une valeur centrale : le travail, le travail et encore le travail comme seul moyen d’échapper à sa condition et d’être maître de sa vie. C’est cette France-là que je représente aujourd’hui en tant que Députée de la République.
La France qui travaille, qui agit, celle de la méritocratie. Celle qui sait que les clefs de son émancipation, de la lutte contre « l’assignation à résidence », sont entre ses mains. Celle qui doit se surpasser et monter les marches une à une plutôt que d’espérer prendre un jour l’ascenseur social.
Mais je connais aussi bien trop cette France pour laquelle le travail n’est pas source de plaisir ou d’épanouissement. Celle pour qui c’est un mal nécessaire, pour (sur)vivre. Celle pour qui le job est avant tout alimentaire, et qui souhaite vivre plus dignement de son travail.
Je représente cette génération d’enfants issus de l’immigration qui ont connu le déclassement de leurs parents et qui ne laisseront jamais leur couleur de peau être un obstacle à leur réussite professionnelle et leur épanouissement personnel.
Je représente à la fois la banlieue (cette France périphérique qui a parfois le sentiment de compter moins que d’autres…) et cette France dite plus « bobo » qui ne conçoit pas un dimanche sans un brunch et une balade dans les rues de Paris.
Je représente ces femmes qui ne comprennent pas qu’en 2018 l’expression « sexe faible » ait encore tout son sens, et tous ceux qui luttent pour une égalité réelle entre les femmes et les hommes.
Je représente ceux qui ne croyaient plus en la politique et qui ont vu renaître un vrai espoir avec la création d’En Marche et l’élection d’Emmanuel Macron.
Je représente une France optimiste, solidaire, qui croit en l’avenir et en l’égalité des chances. Une France ouverte sur le monde, riche de la diversité des cultures qui la composent. Une France fière de son patrimoine, de ses produits, de son rayonnement dans le monde, de sa gastronomie, de sa musique, de ses clichés, de ses réalités.
Je représente celles et ceux qui ont vécu à l’étranger et à qui la France a terriblement manqué.
Je représente ces milliers d’anonymes et de personnalités qui se sont manifestés pour dire qu’ils ne tolèrent pas le racisme, que cette parole minoritaire n’est pas celle de leur nation.
Je représente ceux qui aiment la France et tous les français.
Et pourtant, il y a quelques jours, j’ai reçu une lettre…
J’aurais pu la mettre dans la grande poubelle où sont jetées toutes les injures et les menaces racistes que bien d’autres élus de la République reçoivent ou ont reçues.
J’aurais pu faire comme à chaque fois que j’en reçois une : me taire et avoir peur.
Mais j’ai décidé de porter plainte auprès des services de Police car cette menace-là (« compte tes jours, on va s’occuper de toi ») dépasse en violence ce que j’ai pu entendre ou recevoir.
Aujourd’hui j’ai décidé de dénoncer ce que je ne peux tolérer, car je n’ai plus envie de me taire et encore moins d’avoir peur. »