(Une analyse d’Enric Juliana, journaliste espagnol à La Vanguardia)
Si la situation en Italie s’aggrave, la stabilité en Espagne sera davantage cotée sur le marché européen des insécurités. Si maintenant c’est l’Espagne qui fait une rechute, toute solution de compromis en Italie sera la bienvenue. Les vases communicants de l’infortune lient les deux pays les plus grands du sud de l’Europe depuis le début de la crise de la publique.
L’Espagne et l’Italie n’ont pas réussi à mettre en place une alliance stratégique au sein de l’Union Européenne, malgré les jolis mots et les beaux gestes rituels. Dès le premier instant, Mariano Rajoy a cherché la protection d’Angela Merkel et s’est méfié des mouvements tactiques des Italiens pour échapper au placage allemand.
Le technocrate Mario Monti avait d’excellents contacts à Bruxelles et à Berlin. Le très actif, Matteo Renzi, avait dévié Rajoy plus d’une fois en cherchant une relation à trois bandes avec la France et l’Allemagne. Rajoy et Renzi se haïssent profondément. Avec l’actuel premier ministre, Paolo Gentili, un homme tranquille, les choses se sont un peu améliorées.
Il n’y a pas de grands litiges entre les deux pays, mais des regards de travers permanents oui. Les Italiens ont obtenu des positions stratégiques dans l’économie espagnole (dans la télévision privée et ensuite sur le plan routier), une chose que l’économie espagnole n’a pas pu faire dans une Italie habituée au Catenaccio (jeu défensif très fermé).
L’Espagne, l’Italie et la dette publique. L’Etat espagnol doit 100% du Produit Intérieur Brut Annuel. C’est une dette jeune, provoquée par l’effondrement brusque des revenus fiscaux et de la dévaluation postérieure du pouvoir d’achat de bon nombre de salariés.
L’Italie doit 132% de la richesse nationale, une dette vieille dont une partie se trouve entre les mains des italiens. L’Italien lambda qui a atteint l’âge de la maturité est propriétaire de son logement, il possède probablement une seconde résidence et espère prendre sa retraite avec une pension digne. Il a déjà investi dans les fameux Bot (Bon Ordinaire du Trésor). Il faut partir des Bot pour comprendre un peu la politique italienne.
C’est certes compliqué, mais c’est basé sur des constantes. Première constante : en Italie, on finit toujours par se mettre d’accord, toujours. Deuxième constante : le Nord, très riche, veut payer moins d’impôts et ne pas s’occuper de l’arrivée de migrants ; le Sud veut une protection et les régions du Centre, plus habitués au coopérativisme, ont un certain penchant de gauche. Troisièmement : presque personne ne veut diviser l’Italie. Quatrièmement : l’Etat italien est fort. Cinquièmement : au bon du compte, il y a toujours un démocrate-chrétien prêt à maintenir l’équilibre.
Le gène démocrate-chrétien perdure. « Nous mourrons tous démocrate-chrétiens », disaient, avec ironie, les jeunes gauchistes des années 70. Et ils avaient raison. Des élections arrivent en Italie. Des élections difficiles. Une alliance postélectorale du mouvement Cinq Etoile avec la Ligue du Nord risque de faire peur. C’est une hypothèse peu probable, malgré l’apparente proximité pragmatique entre ces deux populismes.
Le mouvement créé par le comédien Beppe Grillo est devenu le grand conteneur du malaise, avec un discours antipolitique sorti de la vieille tradition en Italie. Ils ne sont ni de droite, ni de gauche, disent-ils. Ils sont contre l’immigration, sans adopter un ton raciste et ils promettent des subventions au Sud. Ils sont contre la « caste » et en faveur des personnes lambda. Le M5 pourrait obtenir plus de voix mais le nouveau système électoral ne l’aiderait pas à arriver au pouvoir.
La Ligue (du Nord) a pris des cours de cynisme, en effaçant le mot Nord de son logo. Il a abandonné le discours indépendantiste des années 90 pour se focaliser sur l’immigration. Aujourd’hui, elle est autonomiste au Nord et cherche le vote xénophobe dans le Sud. La Ligue vient de miser sur une alliance avec Silvio Berlusconi.
La nouvelle loi électorale, très complexe, facilite ce regroupement. Berlusconi revient sans être candidat, en raison de sa situation judiciaire. Le Berlusconi antipolitique d’il y a 20 ans devient aujourd’hui le bastion contre le populisme grillonien. Populisme contre populisme, comme l’écrivait il y a quelques jours Anna Buj, correspondante de La Vanguardia en Italie.
Si aucune coalition n’arrive à obtenir 40% des voix, le nouveau Parlement risque d’être ingouvernable. Parmi les noms cités pour faire face à la situation, on trouve : Antonio Tajani, proche de Berlusconi et ami de Mariano Rajoy et l’indépendant Carlo Calenda, actuel ministre du Développement économique.
Improbable victoire du Parti Démocratique, l’alliance du centre-gauche qui aspirait devenir une force motrice de longue durée. L’impétueux Renzi (Macron avant Macron) risque d’être le grand perdant du 4 mars. Il y a un an, il avait perdu le référendum de la réforme constitutionnelle de 20 points. 20 points ! Une véritable déculottée ! Il ne s’avouait pas vaincu et avait perdu le contrôle de son parti. Hyperactif, égocentrique, obsédé par les réactions immédiates des réseaux sociaux, Renzi a été victime d’une ambition mal gérée. Macron avant Macron.
Albert Rivera, qui veut être Macron après Macron, s’est entretenu ce mardi à Rome avec un Renzi tourmenté à la recherche d’une influence internationale. Le florentin n’est pas un cheval gagnant, mais il fait toujours partie du club des chemises blanches européennes. Il évoque un style qui rappelle celui de Pedro Sanchez avant que ce dernier ne se rapproche de Podemos.
Chemises blanches sans cravate, dynamisme gestuel, réseaux sociaux et pragmatisme. Renzi, qui ne supporte pas Rajoy, a invité Albert Rivera à un repas, mais il n’a pas voulu voir des journalistes devant la porte de l’hôtel Bristol à Rome. Il est clair et net qu’ils ont parlé de Macron.
Article traduit de l’anglais au français par Cheikh DIENG, rédacteur en chef et fondateur du site d’information www.lecourrier-du-soir.com
Article traduit de l’espagnol au français.
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