(Une analyse de Kareem Salem, étudiant en relations internationales)
Depuis la révolution de 2011, la Libye se trouve dans un chaos politique et sécuritaire. Aux lendemains de la révolution, le Conseil national de transition (CNT), avait peiné à désarmer les milices qui ont combattu contre Kadhafi. Parmi ces milices, certaines sont islamistes et commettent des assassinats politiques et des kidnappings (Toaldo 2015).
Dans la sphère politique libyenne, les députés proches des Frères musulmans notamment Abdurahman Al Sewelli ainsi que les milices islamistes eurent une grande influence dans la transition libyenne, faisant pression (souvent physiquement) à la classe politique pour favoriser leurs intérêts (Bravin et Almarache 2013). Ce fut notamment le cas lors du vote pour la loi d’isolation politique en 2013, qui visait l’exclusion de tous ceux qui avaient servi le régime Kadhafi. Ainsi, le président du Parlement et chef d’État par intérim Mohammad Mugariaf ainsi que Mahmoud Jibril le dirigent de l’Alliance des forces nationales, furent destitués de leurs fonctions (Toaldo 2015).
La dégradation de la vie politique libyenne s’est accentuée après les élections législatives pour le nouveau parlement libyen en 2014, où les partis islamistes étaient sortis affaiblies et décidèrent de rétablir le CGN à Tripoli, dans lesquels ils avaient plus de pouvoir et de constituer un gouvernement. Les vainqueurs anti-islamistes avaient décidé de constituer leur majorité à Tobrouk et de mettre le maréchal Haftar leur chef d’état-major. Ce dernier, depuis, mène une lutte armée contre les groupes islamistes dont ceux qui soutiennent le gouvernement d’union nationale de Fayez el-Serraj, basé à Tripoli.
Les acteurs étrangers
La guerre civile libyenne fait partie d’un contexte dans lequel les puissances étrangères cherchent à influencer les principaux acteurs du conflit, ainsi ruinant les efforts de l’ONU pour endiguer les puissances étrangères.
Avec l’espoir de regagner une zone d’influence en Afrique du Nord, le Qatar et la Turquie soutiennent militairement certaines des milices affiliées au gouvernement de Tripoli (Mikhaïl 2015). Les Émirats arabes unies, l’Arabie Saoudite et l’Égypte cherchent à apporter un soutien militaire à Haftar pour éviter que la Libye se trouve dans la ligne politique de l’axe Ankara-Doha (Mikhaïl 2015). De plus, le soutien d’al-Sissi à Haftar est destiné à être en cohérence avec les intérêts sécuritaires de l’Égypte, de mieux sécuriser ses frontières avec la Libye et combattre l’islamisme radical (Djaziri 2018).
Le conflit libyen a aussi montré l’incapacité des puissances européennes à être politiquement alignées. L’Italie soutient le gouvernement d’el-Serraj. En soutenant le pouvoir de Tripoli, l’Italie sécurise son important terminal pétrolier de Melittah, cogéré par la NOC et le groupe ENI. La positionne française en Libye est plus ambiguë (Durand de Sanctis 2019). Alors que des communiqués de l’Élysée souligne le soutien de la France au gouvernement d’el-Serraj, il est cependant avéré que la France apporte également un soutien logistique et matériel à Haftar dans sa lutte contre les islamistes (Liabot). En effet, des forces de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE), apportent un soutien de renseignement aux opérations anti-djihadistes menées par Haftar (Guibert, Bobin et Semo 2019). Paris veut empêcher qu’un État libyen soit sous le contrôle des groupes terroristes, pour éviter un effet de contagion autour des pays de la région, où la France détient des intérêts économiques et stratégiques (Semo 2019).
La menace Daech
La fragmentation politique ne fait qu’accentuer la menace des organisations internationales terroristes en Libye. L’arsenal abondant qui circule au sein du pays ainsi que les récentes escalades de violences entre les forces du maréchal Haftar et les forces loyales du gouvernement d’union nationale offrent aux organisations terroristes internationales un terreau favorable à leur développement. Les récentes attaques perpétrées par Daech contre le siège de la commission électorale à Tripoli et sur les forces de Haftar soulignent la menace que représente cette entreprise terroriste en Libye.
L’initiative politique d’el-Serraj
Pour sortir la Libye de l’impasse politique et sécuritaire, le chef du gouvernement d’union nationale avait annoncé le 16 juin une initiative politique prévoyant notamment des élections avant la fin de l’année. En coordination avec la mission d’appui de l’ONU en Libye, el-Serraj a proposé la tenue d’un « forum libyen » pour réunir « les forces nationales influentes sur les plans politique et social ».
Or étant donné que l’axe Doha-Ankara apporte un soutien aux milices affiliées au gouvernement de Tripoli, il est peu probable que le maréchal Haftar ait l’intention d’entamer les négociations avec el-Serraj. À l’heure actuelle il semble être impossible d’envisager la fin du chaos politique et sécuritaire en Libye.