(Une analyse de Kareem Salem, étudiant en Relations Internationales)
Après trois décennies au pouvoir et ayant tenu le pays d’une main de fer, l’ancien président du Soudan Omar el-Béchir (allié de l’axe Doha-Ankara), fut destitué de ses fonctions présidentielles le 11 avril dernier et assigné à résidence. Durant les mouvements de contestation contre le pouvoir d’Omar el-Béchir, le Qatar et la Turquie, les principaux alliés du Soudan, avaient apporté leur soutien à ce dernier.
Depuis la destitution de l’ancien dictateur par l’armée, le pouvoir militaire gère les affaires du pays. Il convient donc de sonder si Doha et Ankara seraient les grands perdants géopolitiques du changement de régime au Soudan.
Renforcement de l’axe Riyad-Abou Dhabi au Soudan
Alors que des milliers de Soudanais manifestent depuis plus d’un mois maintenant pour réclamer un gouvernement civil, d’importants alliés arabes du Soudan ont décidé de soutenir les militaires au pouvoir. En effet le chef du Conseil militaire Abdel Fattah Al-Burhan et son adjoint Mohamed Hamdan Dagalo sont très fortement soutenus par l’axe Riyad-Abou Dhabi. Les autorités saoudiennes et émiratis avaient promis, suite à la chute du régime d’Omar el-Béchir un soutien financier de 3 milliards de dollars aux dirigeants intérimaires soudanais. Le Conseil militaire avait récemment affirmé leur soutien à l’axe Riyad-Abou Dhabi contre toutes les menaces et attaques de l’Iran.
Pour l’axe Riyad-Abou Dhabi, la destitution du régime d’Omar el-Béchir et la mise en place d’un pouvoir militaire ne peut que permettre à cette alliance de réduire l’influence Turque et Qatari au Soudan. En effet l’axe Doha-Ankara possède des facilités militaires notamment à Port Soudan et sur l’île de Suakin. Le président Turc Erdogan s’est parvenu à négocier avec l’ancien dictateur soudanais à céder l’île de Suakin pour 99 ans à la Turquie, faisant craindre à Riyad et à Abou Dhabi un renforcement de la présence militaire Turque dans la région.
Cet accord prévoit la possibilité d’Ankara de transformer l’île en complexe touristique à l’intention des pèlerins en route pour La Mecque. De plus, sous le régime d’Omar el-Béchir, le Qatar était parvenu à inclure Khartoum dans sa sphère d’influence à travers leurs divers plans d’aide de développement pour le régime. En échange d’investissements sur leur territoire, le Soudan concluait des traités migratoires avec l’émirat, permettant à Doha d’acquérir de la main d’ouvre soudanais.
Dans un contexte dans lequel le Qatar est toujours sous la prise d’un blocus mise établi par l’axe Riyad-Abou Dhabi, le rapprochement de ces derniers avec le Conseil militaire soudanais, risquent de réduire l’influence du Qatar et d’aggraver son isolement régional. De plus, la demande de fermeture du bureau d’Al Jazeera à Khartoum par le Conseil militaire est un coup dur pour Doha, qui est le porte-voix du Qatar au Soudan. Enfin pour Ankara, la destitution d’Omar el-Béchir est un véritable coup dur pour Erdogan qui a perdu un allié diplomatique et économique en Afrique.
Vers le soutien des partis politiques islamiques par l’axe Doha-Ankara ?
Avec le renforcement de l’axe Riyad-Abu Dhabi au sein du pouvoir militaire soudanais, il est probable que l’axe Doha-Ankara se tourne vers le soutien des partis politiques islamiques au sein de l’Alliance pour la liberté et le changement (ALC), comme le parti al-Umma de l’ancien Premier ministre Sadek el-Mahdi, proche des frères musulmans. En effet ce dernier avait noué des liens étroits avec le Qatar, ayant souvent été invité sur les émissions médiatiques d’Al Jazeera.
Les récentes heurtent violentes entre les civiles et les forces de l’ordre qui ont entraîné le lundi 3 juin 2019 à un bilan de 108 morts civils soulignent que les pouvoirs militaires soutenus par l’axe Riyad-Abou Dhabi sont incapables de maintenir la paix et la stabilité. Par conséquent, il est important que les puissances occidentales réitèrent leur soutien aux opposants laïques du mouvement de contestation afin de faire barrage aux partis politiques islamistes de gagner le pouvoir.