(Une analyse du chercheur Sidy Touré, basé aux Etats-Unis)
En 2002, alors Ministre des Mines, de l’énergie, de l’hydraulique, Macky Sall avait eu à faire du forcing pour voter puisque n’ayant pas sa pièce d’identité. Cela dit tout sur le personnage à la tête du Sénégal qui traverse aujourd’hui un épisode très sombre de son histoire marquée par des détentions arbitraires et politiques.
En briguant le suffrage des Sénégalais, le Président Sall promettait une justice équitable et un Sénégal prospère avec son plan Yonu Yokouté. Il était allé même jusqu’à s’engager à réduire de deux ans le mandat de sept ans si toutefois il était élu. « J’ai décidé de ramener à 5 ans mon mandat de 7 ans pour lequel je suis élu », disait-il juste après son élection. Alors que le pays reste en suspense pour quatre longues années pour voir le respect de cet engagement se matérialisé soit par un vote à l’Assemblée Nationale soit par une consultation populaire, rien de tel ne se ne produira.
En effet, le Chef de l’État a entretenu le suspense pendant longtemps avant de décider de faire volte-face sous le couvert d’un simple avis du Conseil Constitutionnel « incompétent » sur toutes les questions importantes pour le peuple. Celui qui déclarait vouloir « une gouvernance sobre et vertueuse » déchire ainsi toute la confiance que le peuple et l’opinion internationale plaçaient en lui. Voilà ce que Martin Shultz, Président du Parlement Européen, disait de Macky Sall : « Vous êtes un exemple, dans ma vie politique, c’est la première fois que je vois un homme élu réduire son mandat ». Il doit être déçu !
Dès les premières heures de son élection, Macky Sall engage une bataille « judiciaire » contre les banditisme économique et financier durant les douze années de règne de Wade avec comme cible particulier Karim Wade. Cela ressemble fort à une volonté de règlement de compte, et le déroulement du procès n’a pas prouvé le contraire. Karim sera reconnu coupable et sanctionné d’une peine de 6 années derrière les barreaux et une amende de 138 milliards de Fcfa.
Après le procès de Wade fils, « La traque des biens mal acquis » s’estompa donnant ainsi raison à ceux qui y voyaient un acharnement et une volonté de créer les conditions d’une réélection plus aisée de Macky Sall en 2019. Crédit peut être accordé à ses soupçons, puisque le constat est que la fameuse traque est commencée et est arrêtée sur K. Wade même si ce dernier sera, plus tard, libéré en catimini et expulsé vers le Qatar. Le bonhomme est presqu’interdit du territoire sous peine de retourner à prison. C’est un exil politique forcé en échange à une liberté certainement négociée.
Toujours sur la lignée de la promesse d’une « gouvernance sobre et vertueuse », le Président créé l’Office nationale de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC) et déclarait haut et fort qu’il ne protégerait personne contre Dame justice. Donc cette création sous-entend que le Président soupçonnait de potentiels malfaiteurs financiers dans son propre camp. Aujourd’hui, l’Ofnac n’est qu’est une institution de plus dont les actes sont téléguidés par le gouvernement. Monsieur Sall a lui-même reconnu qu’il avait mis des dossiers qui ont épinglés certains de ses alliés sous le coude.
Au lieu de s’attaquer à la corruption qui gangrène l’économie de notre pays, ou de créer des emplois pour la classe grandissante de jeunes chômeurs, le pouvoir lance sa machine judiciaire sur le Maire de la capitale pour mieux baliser le chemin de 2019. Khalifa est poursuivi pour avoir utilisé une caisse d’avance trouvée sur place. Mais comme c’était avec Karim, Khalifa constitue une menace et un danger futur pour le chef de l’APR. Le député-maire est un candidat costaud qui peut faire très mal à un régime très peu sûr de son destin.
Alors déjà en détention temporaire lors des élections législatives, le maire remporte les élections dans la capitale devant la coalition du parti au pouvoir. Alors pour le pouvoir et ses partisans, il faut écarter cette menace que constitue Khalifa avec ses réalisations sociales, sa domination sur Dakar et ses ambitions futures. En rejetant la main tendue du pouvoir, le Maire de Dakar devra subir le même sort que Karim Wade.
Pourtant cité par les enquêteurs de l’État pour l’excellence de son travail, il sera accusé d’escroquerie et malversations. Le tribunal de Dakar le condamne à cinq ans de prison ferme pour « escroquerie et détournement de deniers publics ». Malgré les nombreuses tentatives de ses avocats, l’État se résigne à écarter la candidature du Maire de Dakar en le maintenant en détention. Même l’arbitrage de la Cedeao en faveur du Maire semble n’y pouvoir rien.
Une série de faits écornant l’image de la démocratie sénégalaise se sont passés sous le règne du Président Sall qui s’apparente de plus en plus à une dictature. Nous constatons la radiation de hauts fonctionnaires comme le Colonel Abdou Aziz Ndao, l’inspecteur des impôts et domaines Ousmane Sonko, de même que le Commissaire Cheikhna Keita, et tout dernièrement le Capitaine Dièye, qui dans d’autres cieux seraient pris comme des exemples qui lancent les alertes pour l’intérêt de tout un peuple. Ils ont tous commis la même turpitude, défendre l’intérêt général par la dénonciation mais aussi l’arrestation de Barthélémy Diass, lieutenant de Khalifa, et celle de Assane Diouf déporté des Etats-Unis à cause de fausses accusations de l’État contre lui.
Le régime de Macky Sall excelle dans la manipulation et l’utilisation de la justice à des fins particulièrement politiques puisque sachant que le bilan social est jusqu’à présent insuffisant et peu convaincant. L’émergence tant chantée tarde à se concrétiser et les Sénégalais sont de plus en plus frustrés avec un pouvoir sans vision concrète et qui tâtonne et subordonne l’économie à des étrangers. Le régime ne fait pas le distinguo entre urgences, priorités, et nécessités c’est pourquoi on voit des projets comme le TER, la nouvelle ville de Diamniadio ou encore La salle de conférence Abdou Diouf.
Le plan Yonu Yokouté ne suit aucune vision claire et n’est qu’un brouillon qui ne mérite pas une place sur le Web, et le Plan Sénégal Émergent, une chimère qui sera rangée dans le tiroir des slogans. Alors, le régime mène une guerre sans merci contre les candidatures les plus menaçantes par la manipulation de la justice et des lois par le biais de l’Assemblée Nationale jusqu’à même sombrer vers la dictature. Le débat sur la double nationalité de certains potentiels candidats, la traque des biens mal acquis et les modifications taillées sur mesure du code électoral et le parrainage qui viole le secret du vote suivent tous le même objectif : permettre à Macky Sall de rempiler en 2019.
Sans une justice indépendante et impartiale, il n’y a point de démocratie. Aujourd’hui, nous avons une justice qui rend des décisions pour la plupart non seulement impopulaires mais contestables et contestées défendues par des intellectuelles qui ne nourrissent que le rêve d’une carrière au sommet quid à monnayer leur dignité.
Sidy Moukhtar Touré
Diplômé de l’Université Laval
USA, Juillet 2018